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Touchez pas à mon utérus!

Chaque année, 60.000 Canadiennes, dont 15.000 Québécoises, subissent l’ablation de l’utérus. Une intervention médicale de dernier recours qu’on pratique beaucoup moins qu’avant…

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Chaque année, 60 000 Canadiennes, dont 15 000 Québécoises, subissent l’ablation de l’utérus. Une intervention médicale de dernier recours qu’on pratique beaucoup moins qu’avant… mais encore trop souvent.

« La totale »

Le corps médical a longtemps considéré l’hystérectomie comme une intervention de routine. Au point qu’un tiers des Nord-Américaines de plus de 50 ans ont un jour subi « la totale ». L’ablation de la « poche à bébés jetable après usage » a connu ses années de gloire : en somme, elle a longtemps été présentée comme une super méthode de contraception face à un arsenal contraceptif encore trop peu répandu et diversifié. « Ça peut sembler drôle aujourd’hui, mais durant tout un temps, on l’a perçue comme quelque chose de positif! Arrivées à la quarantaine, les femmes supprimaient d’un seul coup leurs règles et la peur de retomber enceinte », explique Francine Léger docteure à la Clinique de médecine familiale de l’Est, à Montréal, une généraliste spécialisée depuis 18 ans en obstétrique. Aujourd’hui, on sait que l’amputation irréversible n’est pas aussi bénéfique qu’on a bien voulu le croire — les recherches de la clinique Mayo de Rochester, dans le Minnesota, ont entre autres démontré que les femmes qui ont subi une hystérectomie présentent trois fois plus de risques de développer la maladie de Parkinson.

Réflexe bistouri

Bien qu’on y pense désormais à deux fois avant d’opter pour la « grande opération », le réflexe du bistouri semble encore trop courant, estime le docteur Robert Sabbah, chef du département d’obstétrique-gynécologie de l’hôpital du Sacré-Cœur. De nos jours, 60 000 Canadiennes, dont 15 000 Québécoises, subissent chaque année l’hystérectomie. « Selon moi, plus de la moitié des hystérectomies qui sont pratiquées en Amérique du Nord ne s’imposent pas. La principale justification pour enlever l’utérus a longtemps été l’existence de saignements anormaux. Mais les saignements, ça peut se régler autrement. Si l’organe est sain, il n’y a absolument pas lieu de l’enlever. » Des propos que corrobore une étude menée en 1998 par le Collège ontarien des médecins (Understanding the variation in hysterectomy rates in Ontario) qui allait même jusqu’à conclure qu’une majorité de ces interventions ont lieu parce qu’elles s’avèrent bien plus « payantes » pour les chirurgiens que des traitements alternatifs moins brutaux!

Et même en France, le pays occidental où cette intervention est pourtant le moins pratiquée (14 % des femmes de 50 ans ont subi cette chirurgie comparativement à 50 % aux Pays-Bas et à 32 % en Grande-Bretagne), une récente étude de l’Union des caisses d’assurance-maladie de Bretagne révèle que « dans de trop nombreux cas, l’hystérectomie est réalisée d’emblée sans qu’aucun traitement médical ait au préalable été proposé aux patientes. » Il y a en effet lieu de se poser des questions quand on sait que les provinces canadiennes les moins riches et les moins pourvues en gynécologues battent des records quant au taux d’hystérectomies : une Terre-Neuvienne court 61 % plus de risques de passer par là qu’une résidente de Saskatchewan!

Les temps changent

Du début des années 70 à aujourd’hui, le taux d’hystérectomies au Québec a chuté de 58 % (!), selon l’Institut de la statistique du Québec. « Les temps ont changé. On se tourne dans la mesure du possible vers des traitements alternatifs plus simples, beaucoup moins invasifs », dit la docteure Francine Léger.

Les temps ont changé parce que tout a concordé en ce sens. « D’abord sous la pression des groupes de femmes, l’information s’est mise à circuler : les patientes ne reçoivent plus passivement les diagnostics qu’on leur assène, elles s’en parlent entre elles, consultent plusieurs spécialistes, s’informent sur les traitements alternatifs. La féminisation de la profession médicale a aussi beaucoup joué. Et la science médicale a évolué, les mentalités également : dans tous les domaines médicaux, on s’en va de moins en moins vers de lourdes interventions chirurgicales. Avant d’enlever, on réfléchit. »

Pas touche!

Aujourd’hui, l’hystérectomie est, en règle générale, considérée comme le geste chirurgical de dernier recours. Quand un cancer des organes génitaux met la vie en danger. Ou quand les traitements médicaux ne viennent pas à bout de fibromes utérins multiples. Plus de 30 % des femmes en âge de concevoir en sont porteuses, souvent sans s’en rendre compte. Car dans la plupart des cas, ce sont des tumeurs bénignes situées dans le muscle de l’utérus, indolores et vouées à disparaître d’elles-mêmes après la ménopause sans qu’aucune chirurgie ne soit nécessaire. Sauf qu’un fibrome peut devenir très envahissant. Avec l’alimentation sanguine et sous l’action des œstrogènes, le volume de ces masses de tissus fibreux très denses et très dures peut tellement augmenter qu’il finit par provoquer de grosses hémorragies, gêner les organes voisins, atteindre parfois la grosseur d’un bébé. Et considérablement déformer le bas du ventre.

Les outils de diagnostic et la technologie médicale ont beaucoup progressé dans le traitement des fibromes très hémorragiques. Il existe déjà la myomectomie, l’ablation du fibrome par les voies naturelles — abdominale et utérine —, quand sa taille et sa localisation le permettent. Aujourd’hui, on pratique aussi l’embolisation par radiologie de l’artère utérine. Au lieu de charcuter toute une région saine, c’est l’envahisseur qu’on pulvérise en coupant son alimentation sanguine pour qu’il se résorbe et disparaisse. Sous péridurale, on atteint à l’aide d’un cathéter les vaisseaux sanguins qui nourrissent justement les fibromes et on les obstrue avec des minuscules particules de plastique. L’intervention se fait sans hospitalisation et le risque de complications postopératoires est pour ainsi dire inexistant, alors qu’il demeure de l’ordre de 30 % à 40 % dans le cas de l’hystérectomie.

L’autre raison courante pour procéder à une hystérectomie, c’est l’endométriose, cause d’hémorragies à répétition, de douleurs, souvent d’infertilité. De 7 % à 10 % de la population féminine en souffre. À la pré-ménopause, la proportion atteint presque 50 %! Cette maladie survient lorsque de petits fragments de l’endomètre, la muqueuse qui tapisse l’intérieur de l’utérus, se développent dans des endroits anormaux : sur les trompes de Fallope, les ovaires et, parfois, sur d’autres organes comme la vessie et les intestins. Dernière trouvaille médicale pour régler ce problème sans enlever l’utérus? La méthode NovaSure qui consiste à introduire une électrode qui brûle l’endomètre en l’espace de 90 secondes. « On élimine ainsi la source du problème », dit le docteur Robert Sabbah, chef du département d’obstétrique-gynécologie de l’hôpital du Sacré-Cœur. « Aujourd’hui on le sait : il faut tout faire pour préserver l’utérus d’une femme. »

Pour en savoir davantage : Mon utérus et mes ovaires m’appartiennent, la décision aussi, une excellente brochure de vulgarisation publiée par le Centre de santé des femmes de Montréal.