Aller directement au contenu

Les Huronnes au tambour

Mini-révolution sexuelle. Cinq femmes de Wendake, près de Québec, entonnent des chants traditionnels wendats en s’accompagnant du tambour-chef. Un instrument sacré dont seuls les hommes avaient le pouvoir de jouer. Jusqu’à maintenant.

Date de publication :

Auteur路e :

Mini-révolution sexuelle. Cinq femmes de Wendake, près de Québec, entonnent des chants traditionnels wendats en s’accompagnant du tambour-chef. Un instrument sacré dont seuls les hommes avaient le pouvoir de jouer. Jusqu’à maintenant.

Fait de peau d’orignal, le grand tambour, aussi appelé « tambour de groupe », a toujours été le privilège exclusif des hommes autochtones, que ce soit dans les cultures wendat, innue, attikamek ou crie. Considéré comme un objet sacré, on le manipule avec déférence, lors de cérémonies de guérison ou pour accompagner des chants incantatoires avant les chasses collectives. « C’est comme le cœur de la nation », explique Gaétane Picard, fondatrice du Groupe de tambours des femmes.

Pour elle, l’aventure a commencé il y a une dizaine d’années, alors qu’elle dansait dans une troupe et jouait du petit tambour. Un jour, elle s’approche des hommes qui jouaient du grand tambour en leur disant: « Ça serait le fun de jouer avec vous ». Refus net. « Même les filles se le faisaient interdire dans les cours de culture wendat donnés à l’école de la communauté »!

Il y a deux ans, Gaétane Picard réitère sa demande lors d’une cérémonie de guérison sous la tente à sudation (sweat lodge). « Les esprits ont d’abord répondu, puis les hommes ». Il semble que les esprits ont été plus cléments et, cette fois, sa requête a été bien accueillie.

C’est ainsi qu’a été créé le Groupe de tambours des femmes de Wendake, composé de quatre Huronnes et d’une Blanche de Wendake. « Nous voulons faire connaître les femmes et la culture wendats. Et un jour… jouer avec les hommes », explique Line Romain Descombes, membre du groupe qui s’occupe du calendrier des spectacles. Gaétane Picard insiste sur la notion d’inclusion: « Il s’agit de prendre notre place et non pas de « partir » une guerre et de tasser les hommes en voulant prendre toute la place ».

Le groupe travaille dans un esprit de guérison. « Il faut laisser parler le tambour, qui dégage une énergie très forte », explique Line Romain Descombes. « Le son pénètre le corps par le plexus solaire », ajoute Gaétane Picard. À la recherche de leur culture, les joueuses de tambour, qui sont aussi chanteuses, ne s’inspirent que des chants traditionnels. Ce qui n’est pas une mince tâche, car la langue wendat s’est perdue. Elles travaillent donc à partir des 400 chants traditionnels wendats que l’ethnographe Marius Barbeau a conservés sur des rouleaux de cire, aujourd’hui entreposés au Musée des civilisations à Hull. « Nous tentons de reproduire ces chants le plus fidèlement possible… même si nous ne comprenons pas toujours exactement ce que nous chantons », dit Gaétane Picard.

Le succès du Groupe de tambours des femmes, qui a joué à Toronto et qui va se rendre dans le sud-ouest de la France, en Floride et au Nouveau-Mexique, dépasse toute espérance. En septembre dernier, il a même lancé son premier disque compact, intitulé Ondatonnhara, ce qui veut dire: « les personnes qui sont rendues à une certaine maturité ». Tous des chants traditionnels en langue wendat, sauf un, Anicouni. Eh oui, « le » Anicouni que nous avons tous fredonné enfants! Line Romain Descombes explique qu’il s’agit d’un chant intertribal que revendiquent toutes les nations. Ce chant de lamentation composé par des femmes était entonné lorsque les gens devaient quitter leurs terres, à la suite de maladies ou de guerres. « Quand le soir est descendu au village indien, le sorcier a disparu dans la forêt en touchant le sol de ses mains », récite-t-elle.

L’exemple des Huronnes de Wendake pourrait bien créer un effet d’entraînement. Ainsi, des femmes attikameks ont récemment demandé à jouer du grand tambour. « Je n’aurais jamais imaginé que nous irions aussi loin que ça », se réjouit Line Romain Descombes, elle-même une autochtone dite « 6.2 » qui ne peut transmettre le statut d’Amérindien à ses enfants (voir l’article « Le sang « impur » des Amérindiennes »). « J’ai vécu du racisme et pleuré beaucoup. Aujourd’hui, notre génération de femmes a décidé de reprendre sa place. L’énergie qui était stagnante recommence à circuler ».