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25 ans de la Gazette des femmes – 25 idées lumineuses pour le féminisme

Un quart de siècle à témoigner de la vie des femmes d’ici et d’ailleurs. Un quart de siècle à penser le présent… et à rêver l’avenir.

Date de publication :

La Gazette des femmes a 25 ans. Un quart de siècle à témoigner de la vie des femmes d’ici et d’ailleurs. Un quart de siècle à penser le présent… et à rêver l’avenir. Ressasser le passé ? Nous avons préféré fêter en recueillant 25 idées lumineuses, comme les chandelles d’un gâteau, qui montrent que le féminisme est bien vivant.

1. Filles, un nouveau monde

Cinq continents, dix femmes, autant de façons d’améliorer le sort de l’humanité ; voilà ce que Karina Marceau et Elisabeth Daigle projettent de présenter sur nos écrans télé l’an prochain. Armées d’un sac à dos et d’une caméra, ces Québécoises de 32 ans partiront à la rencontre de Dora Akunyili, une Nigérienne qui lutte contre le trafic de faux médicaments, de Dita Sari, fondatrice du Front national pour la lutte ouvrière en Indonésie, et de huit autres femmes dont l’action dérange l’ordre établi. Politique, justice, environnement, affaires, leurs champs d’action diffèrent. « Mais, pacifiques et altruistes, elles travaillent toutes pour que le monde tourne mieux », résume Elisabeth.

Un projet à la hauteur de l’enthousiasme des jeunes femmes ! Pour mener à bien Le 5e Monde, qui comprendra 10 épisodes de 30 minutes, Karina a quitté son poste d’animatrice de l’émission d’affaires publiques J.E. à TVA, et Elisabeth, son travail en diplomatie parlementaire à l’Assemblée nationale du Québec. Ensemble, elles ont fondé leur boîte de production, Intégral I.T., et recueilli les fonds nécessaires à la série — près de 1 million $ !

Elles veulent une seule chose : rétablir l’équilibre. « La télévision n’offre presque jamais de points de vue féminins sur les questions internationales, dit Elisabeth. Que pensent les femmes et comment s’y prennent-elles pour changer les choses ? Nous souhaitons montrer une autre façon d’agir, fondée sur l’entraide, le consensus. »

Le 5e Monde sera diffusé à l’automne 2005 sur les ondes de TV5. Ses productrices-réalisatrices espèrent qu’il redonnera espoir. « Nous voulons offrir une vision lumineuse du monde. Partout sur la planète, des femmes et des hommes tentent de changer les choses. Et ils font la différence », conclut Karina Marceau.

2. Objectif parité

L’an 2010 : voici la date que s’est fixée le Centre des femmes l’Héritage de Louiseville, en Mauricie, pour atteindre la parité dans les 45 organismes décisionnels de la MRC de Maskinongé. L’originalité du projet ? Il s’adresse autant aux hommes qu’aux femmes.

Comme dans d’autres régions, les femmes de cette MRC ne forment qu’un maigre 26 % des conseils d’administration des caisses populaires, de la Table des maires, du Centre local d’emploi et des conseils municipaux. Au contraire, les hommes, à 26 %, sont sous-représentés dans les conseils d’établissements scolaires. « Je suis convaincue que le mode de fonctionnement de ces structures va s’améliorer si le pouvoir est mieux partagé entre hommes et femmes », croit Christine Boulet, coordonnatrice du Centre des femmes l’Héritage et initiatrice du projet.

Pour atteindre l’équité, son équipe pousse les hommes en poste à solliciter des femmes de leur région pour qu’elles siègent à leurs côtés, plutôt que de piger dans le boys’ club habituel. Elle pourrait même, éventuellement, encourager certains à céder leur place à une consœur ! Tous les organismes de Maskinongé doivent s’engager par écrit à favoriser l’égalité. Chaque année, le 8 mars, un rapport statistique dévoilera le nombre d’hommes et de femmes qui y siègent, afin que le public puisse faire pression sur les conseils d’administration moins égalitaires. « Les organismes qui ne s’engageront pas vont vraiment avoir l’air fous », remarque une des participantes au projet, de façon anonyme pour ne pas heurter les sensibilités. On espère atteindre ainsi une juste représentation des sexes, sans passer par une loi sur la parité, comme en France.

3. Comment je suis devenue rabine

Quand Maya Leibovich est devenue la première Israélienne à être ordonnée rabbine, en 1993, les juifs orthodoxes ont éclaté de colère. Manifestations haineuses, lettres de menaces, la garderie de sa congrégation a même été la cible d’un incendie criminel ! « D’après le premier chapitre de la Genèse, hommes et femmes sont nés égaux, à l’image de Dieu. Or, ça ne s’est pas traduit dans la vie d’aujourd’hui », regrette la résidante de Mevasseret Zion, banlieue de Jérusalem.

Fille d’émigrés tchèques, Maya Leibovich enseigne un judaïsme réformiste qui prône l’égalité des sexes. Comme aucune des 40 synagogues de Mevasseret Zion, toutes orthodoxes, ne permet aux femmes de participer à l’office, elle prêche dans une école, après la classe. Ses sermons inspirés ont attiré 180 familles dans sa congrégation, qui en comptait 6 au départ ! Bientôt, cette quinquagénaire charismatique inaugurera une nouvelle synagogue, le Centre du judaïsme progressiste. Un petit miracle, financé par des organisations juives d’Amérique du Nord : en Israël, les réformistes n’ont droit à aucune subvention gouvernementale. « Notre société est très conservatrice. Les gens sont plus préoccupés par les conflits avec le monde arabe que par les changements à opérer à l’intérieur de la société », déplore-t-elle de sa voix forte et grave.

Membre du mouvement international Women of Reform Judaism « Femmes pour un judaïsme réformé », Maya Leibovich invite les croyantes à réinterpréter la Torah. « Les femmes ont une approche plus patiente, plus tolérante, plus spirituelle », dit-elle, convaincue qu’il leur appartient de « réinventer les structures de la société ». Bonne nouvelle : pendant ses études rabbiniques au Hebrew Union College de Jérusalem, vers 1990, il y avait seulement quatre étudiantes ; aujourd’hui, elles sont une trentaine. Et la majorité vient d’Israël.

4. Le camp de la relève

Elles ne sont surtout pas des féministes de salon. Pour elles, les connaissances théoriques s’appliquent sur le terrain — et elles veulent les transmettre aux nouvelles générations. « Si j’avais appris plus tôt les notions féministes qu’on m’a enseignées pendant mon bac en études des femmes, j’aurais certainement passé une adolescence plus sereine ! » lance la Franco-Ontarienne Rachel Gouin, membre de l’organisme national et bilingue Filles d’action. « Par exemple, à l’université, je me suis rendu compte que j’avais vécu, plus jeune, une certaine violence sexuelle. Analyser et comprendre mon expérience dans un contexte social plus vaste et savoir que je n’étais pas la seule à avoir subi ce genre de choses m’a rendue plus forte. »

C’est en 1995 que trois étudiantes au baccalauréat en études des femmes, à l’Université d’Ottawa, ont lancé le Power Camp National. Première action : un camp de jour offert aux adolescentes de 11 à 18 ans afin de leur apprendre à remettre en question les rôles sexuels. La première année, 30 filles y assistaient. Cinq ans plus tard, leur nombre avait quadruplé ! Parmi les sujets de discussion : la violence et les stéréotypes. « Rapidement, l’idée d’un camp de jour d’éducation populaire, critique et féministe a attiré l’attention des femmes partout au Canada », se rappelle Rachel Gouin, maman d’une fillette de 4 ans. Depuis, 70 organismes ont commandé la trousse conçue pour adapter le modèle de Filles d’action dans chaque communauté.

Maintenant installé à Montréal, Filles d’action poursuit entre autres sa mission dans la classe de sixième année de l’école primaire anglophone Verdun. Une fois par semaine, les élèves se réunissent pour leur girls’ club. « La plupart viennent de milieux peu favorisés. Pendant une heure, on discute avec elles de leurs problèmes, on fait de l’art dramatique ou de la danse. Notre but est de réduire la violence dans leur vie et de les encourager à se soutenir entre elles. » Mieux connu dans le milieu communautaire anglophone pour l’instant, Filles d’action espère compter bientôt davantage de groupes francophones.

filles d’action

5. Avoir le beau rôle

« À l’Union des artistes, on est un peu arriérés ! » Manifestement, Marie-Eve Gagnon ne digère pas l’écart salarial d’environ 30 % qui sépare les actrices de leurs collègues masculins. La dramaturge siège à un comité de l’Union des artistes (UDA) qui vient de publier un rapport dévastateur sur les conditions de travail des femmes interprètes. « Le comité a obtenu l’appui d’une chercheuse aguerrie, Francine Descarries, sociologue à l’Université du Québec à Montréal, pour analyser les données de l’UDA et produire un rapport incontestable scientifiquement. On veut vraiment que les choses changent », précise la jeune auteure.

La recherche montre que la publicité et le doublage emploient jusqu’à deux fois moins de femmes que d’hommes. Et celles-ci sont souvent moins bien rétribuées pour leur travail : dans le secteur du film et des téléséries, seulement 1,7 % des actrices tirent un revenu annuel supérieur à 25 000 $, contre 2,6 % des acteurs. « Plusieurs producteurs invoquent la rareté des comédiens masculins pour les payer davantage. C’est faux : ils sont plus nombreux. Les femmes ne représentent que 47 % des membres de l’UDA. » Leur salaire moyen, toutes catégories confondues ? En 2003, il se chiffrait… à 13 263 $, comparé à 17 601 $ pour les hommes. Un écart salarial de 32,7 %.

Comment renverser la vapeur ? « En amenant la direction de l’UDA à faire de ce dossier un cheval de bataille. » Marie-Eve Gagnon sait bien que les auteurs se braqueraient si le syndicat imposait des quotas pour des rôles féminins. Mais pourquoi ne pas féminiser quelques rôles secondaires, ce qui permettrait d’ailleurs de mieux refléter la présence accrue des femmes dans la police, la magistrature, la médecine d’aujourd’hui ? Le comité compte solliciter les idées des membres de l’UDA dès cet automne.

6. L’union fait la force

« T’as beau avoir tout le savoir-faire du monde, si la société ne te suit pas, t’as un problème », affirme Denise Tremblay, coordonnatrice de La Séjournelle. La maison d’hébergement pour femmes victimes de violence de Shawinigan a donc fait du mot « partenariat » son leitmotiv. Depuis plusieurs années, elle collabore avec des policiers, des chercheurs universitaires, même avec un groupe d’aide aux conjoints agresseurs. « Au début des années 1990, notre démarche en laissait plusieurs sceptiques », se rappelle Denise Tremblay. Aujourd’hui, on cite La Séjournelle comme un modèle à suivre.

D’abord, la maison a contacté la sécurité publique pour améliorer l’accueil des femmes qui se présentaient au poste de police. Un protocole d’entente a vu le jour. Puis, après mûre réflexion, elle a accepté de siéger au conseil d’administration d’Accord-Mauricie, un centre d’aide pour conjoints violents. « Tout homme qui veut recevoir les services d’Accord-Mauricie doit accepter que La Séjournelle contacte sa femme pour lui offrir du soutien. Par ailleurs, si nous pressentons qu’une femme est en danger, nous les avertissons, et c’est à eux de jouer. » C’est aussi en duo, femme et homme, que se donnent les ateliers de sensibilisation à la violence conjugale dans les écoles. Une approche unique au Québec.

Accord-Mauricie participe également à un comité mis sur pied par La Séjournelle, avec le Département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières, pour améliorer la sécurité des victimes sur le territoire. Le projet a reçu du Centre national de prévention du crime une subvention de 300 000 $ pour élaborer une grille d’évaluation de dangerosité des conjoints violents. « Cette grille servira aux membres du système judiciaire (policiers, procureurs, service de libération conditionnelle, etc.) à travers le Québec. Elle pourrait aussi être exportée ailleurs au Canada. »

7. L’autre info

Avant d’être une journaliste admirée, l’Américaine Rita Henley Jensen a vécu la misère. Mère à 18 ans, elle a quitté un mari violent et élevé deux enfants en vivant de l’assistance sociale. Une bourse d’études lui a permis, à 24 ans, d’entrer au collège, de devenir reporter, de faire connaître les problèmes sociaux des femmes. Quand l’organisation féministe NOW Legal Defense lui a demandé de diriger un service de nouvelles dans Internet, Women’s eNews, en 1999, elle était prête.

Magazine féministe doublé d’une agence de presse (qui dessert notamment le Washington Post), Women’s eNews publie chaque jour de nouveaux articles sur les enjeux touchant les femmes. « Nous ne nous intéressons pas à qui fait la vaisselle dans le couple, mais aux politiques publiques », précise Henley Jensen, la rédactrice en chef. Par exemple : aux logements sociaux pour jeunes filles dans les quartiers chauds de New York, aux intentions de vote des Américaines à l’élection présidentielle, à la participation des Irakiennes à la politique. « Nous donnons aux femmes l’information qui leur permettra de participer pleinement au développement de leur société. Et d’apprendre les unes des autres, par des articles sur les groupes féminins en Afghanistan, au Pakistan, en Israël. »

Aujourd’hui, Women’s eNews rejoint deux millions de personnes chaque mois. Avec un budget annuel d’environ 800 000 $CA constitué surtout de dons, le webzine new-yorkais emploie six femmes et une centaine de journalistes pigistes dans le monde. Depuis 2003, il propose même une version en arabe ! Et chaque semaine, le site publie une caricature d’Ann Telnaes, lauréate du prix Pulitzer. Pas étonnant qu’il ait reçu 11 prix, dont celui du meilleur site Internet décerné par l’Association nationale des femmes journalistes, en 2003.

8. Des hommes d’honneur

Leur message, ils l’ont affiché partout l’an dernier. Une affiche-choc : 10 personnalités masculines du Nouveau-Brunswick (le lieutenant-gouverneur Herménégilde Chiasson, le premier ministre Bernard Lord, l’animateur de Radio-Canada Abbé Lanteigne, etc.) nous regardaient droit dans les yeux. Au-dessus d’eux, ce texte efficace : « Il n’est pas suffisant pour nous, en tant qu’hommes, de ne pas être violents. Nous ne tolérons pas le manque de respect et la violence autour de nous. »

Le Réseau des hommes du Nouveau-Brunswick pour un monde sans violence, créé en 2002, est une première au Canada. « Nous voulons convaincre un maximum d’hommes d’oser se lever pour dire non à la violence. Au travail, avec leur amis, partout ! » explique Miguel LeBlanc, directeur général du Conseil consultatif de la jeunesse du Nouveau-Brunswick et membre du Réseau. « Plusieurs hésitent à la dénoncer, par honte, par sentiment de culpabilité, par peur d’être ridiculisés par les autres mâles. Il faut pourtant parler pour que la violence cesse. C’est ce que nous disons aux hommes. Dans leur langage. »

Au départ, les fondateurs craignaient d’être perçus comme des intrus par les groupes de femmes, dit Terrance Trites, président du mouvement. « On nous a très bien accueillis. Nous travaillons maintenant solidairement et nous en sommes fiers. » Le Réseau compte plusieurs femmes parmi sa centaine de membres.

Par contre, des hommes leur reprochent d’avoir vendu leur âme au féminisme. « Nous essayons plutôt de définir une manière masculine de faire face au problème ! Le patriarcat a laissé des traces, croit Miguel LeBlanc. Certains jeunes jugent encore que dans un couple, c’est à l’homme de tout décider. » C’est pourquoi le Réseau constitue partout au Nouveau-Brunswick de petits groupes de discussion entre hommes et femmes. Pour qu’un jour, la violence s’arrête.

9. Soeurs de sang

« La violence à coups de pied et à coups de poing, ça va faire ! » Voici le cri du cœur que Françoise Ruperthouse colporte de maison en maison dans le village algonquin de Pikogan, près d’Amos, en Abitibi. Cette travailleuse sociale amérindienne amène l’espoir aux femmes de sa communauté, affligées par la violence : depuis un an, elle participe au programme Action Ikwe (« femme » en algonquin), mené par le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel à Amos. Fondé en janvier 2002, Calacs-Abitibi Action Ikwe est le premier organisme du genre à avoir un conseil d’administration composé surtout d’autochtones (trois personnes sur cinq), ce qui encourage leurs consœurs à aller y chercher de l’aide.

Au Canada, une Amérindienne sur deux aurait déjà subi une agression sexuelle ; un plus grand nombre auraient été maltraitées par leur conjoint. « J’ai moi aussi été victime de violence et j’ai presque cru que je ne m’en sortirais pas, raconte Françoise Ruperthouse, ex-toxicomane. Les gens de ma communauté qui m’ont vue “ paquetée ”, irresponsable, comprennent que le changement est possible. »

Lorsqu’elle et les deux autres administratrices autochtones d’Action Ikwe rencontrent leurs sœurs de sang, elles disposent d’une arme de taille : leur connaissance du milieu. Sans faire de vagues, elles aident les habitantes de Pikogan à sortir du silence, alors que la violence conjugale demeure un sujet tabou dans ce village de 500 habitants.

« Je crois beaucoup au pouvoir des femmes », affirme Louise Magnan, intervenante blanche au Calacs-Abitibi et l’une des initiatrices du projet. Lorsqu’elles le souhaitent, les femmes agressées peuvent aussi la rencontrer à son bureau d’Amos, qui offre un anonymat impossible à Pikogan. L’équilibre financier du centre reste cependant précaire.

10. Mères et monde

De jeunes mères de famille monoparentale de Québec ont réussi un coup d’éclat : transformer une école désaffectée en centre communautaire et résidentiel de 23 logements destinés à leurs semblables. « Le projet Mères et monde prouve que nous valons bien plus que le cliché “ jeunes-mères-monoparentales-pauvres-en-difficulté-et-battues-par-leur-chum ” », se réjouit Catherine Bolduc, 25 ans, blonde maman d’Alix, 4 ans, et présidente du conseil d’administration de la coopérative. « C’est bon pour le moral. »

Au Québec, 75 % des familles monoparentales avec enfant de moins de 6 ans vit de l’aide sociale. Au fil de rencontres menées par le CLSC Basse-Ville, l’idée a germé, inspirée de l’initiative Mères au pouvoir, à Montréal. « Pourquoi ne pas nous donner un lieu ? Des logements subventionnés, mais aussi des activités communautaires, du gardiennage, bref, une foule de services sur mesure ? » En janvier dernier, grâce au soutien financier de nombreux partenaires, Mères et monde accueillait ses premières locataires, à Limoilou.

N’entre pas à Mères et monde qui veut. Il faut avoir un projet de vie : un travail en vue, un retour aux études, etc. Environ une centaine de jeunes mères, résidantes ou membres de l’extérieur, profitent de la coopérative et participent à sa gestion. « Les services sont gratuits mais, en retour, elles doivent s’impliquer, dit Catherine Bolduc. Ça contribue à leur empowerment. En animant une réunion ou en concevant un budget d’affaires, plusieurs se découvrent des forces insoupçonnées. » La formule devrait faire des petits.

11. Lady festive

« Le Ladyfest est la formule idéale pour combiner art et féminisme ! » Anna Wagner est ravie. En mai dernier, cette écolo de 30 ans a organisé avec deux amies un « festival des dames » à Malmö, dans le sud de la Suède. Dédié à la création féminine, cet événement présentait des musiciennes de la scène marginale (punk, grunge, indie) et aussi des danseuses, des comédiennes, des écrivaines et des artistes en arts visuels. « Nous voulions inciter les filles à poser un regard plus positif sur elles-mêmes, tout en offrant aux créatrices une scène pour présenter leurs projets », explique la Suédoise. La fête a attiré 500 personnes, une foule honorable pour un événement non commercial.

Invention américaine, le Ladyfest est un concept de festival « à faire soi-même » destiné aux amatrices d’art. C’est aux riotgirrrls, membres d’un courant féministe punk auquel appartenait la chanteuse Courtney Love, qu’on doit la première édition, tenue en l’an 2000, à Olympia, dans l’État de Washington. Pour favoriser l’émergence de talents féminins, elles ont encouragé les femmes d’ailleurs à reprendre la formule. Un succès : en quatre ans, pas moins de 50 festivals ont eu lieu, des États-Unis à l’Europe, en passant par le Canada anglais (qui en est à sa troisième année), Hawaï et l’Indonésie !

Pour Anna Wagner, cette fête culturelle permet de contrer la piètre image de la femme que véhiculent les médias. « Les attentes qu’ils créent sont complètement destructrices. Les femmes ne font plus les choses pour elles-mêmes, mais pour répondre à certains idéaux, comme l’apparence. » Au Ladyfest, elles peuvent s’exprimer à leur manière, sans obéir à l’image de la chanteuse sexy derrière son micro.

12. Un beau parti

Un nouveau parti progressiste, écologiste, altermondialiste. Passe encore. Mais féministe ? « L’affirmation en a étonné plusieurs et apeuré certains ! constate Françoise David, cofondatrice d’Option citoyenne. Nous voulons simplement promouvoir l’égalité femmes-hommes : des pas très importants ont été faits, mais tout n’est pas gagné. C’est ensemble qu’on changera le monde. »

L’essence d’Option citoyenne, Françoise David la résume dans Bien commun recherché, paru au printemps dernier. La bible de la nouvelle gauche ? « J’espère bien que non ! objecte l’auteure en riant. Pas plus qu’un programme électoral. C’est un bref essai politique. La vision d’une société où il ferait bon vivre. » L’ex-présidente de la Fédération des femmes du Québec, que certaines personnes accusent de prêcher pour un État omniprésent, affirme rêver seulement d’un gouvernement qui ferait respecter les droits individuels et collectifs. « Pour l’instant, la libre entreprise est… libre de faire n’importe quoi. Cela aboutit à des inégalités sociales et à des problèmes environnementaux criants. »

Option citoyenne préconise un équilibre des forces. Notamment entre hommes et femmes. « En partant, nous visons une représentation mixte 50-50. Et que des candidates de calibre ! Sauf qu’elles sont difficiles à convaincre. Plusieurs craignent d’être traquées par les médias jusque dans leur vie privée… »

Un autre Québec est possible, Françoise David en est convaincue. Utopie ? « Je me définis comme une idéaliste lucide. Idéaliste parce qu’autrement je ne me lancerais pas dans cette aventure ! Lucide parce que je suis parfaitement consciente que le défi sera exigeant. Mais j’y crois. J’invite les gens à venir débattre des enjeux avec nous. » Une rencontre nationale aura lieu en novembre.

13. Prêtes à postuler

Non, la sénatrice Lucie Pépin, la députée libérale Margaret F. Delisle, la vice-présidente du Parti québécois Marie Malavoy et l’ex-mairesse de Mont-Royal Vera Danyluk ne porteront jamais les mêmes couleurs politiques. Mais elles partagent une chose : la présidence d’honneur d’un organisme qui veut voir davantage d’élues accéder au pouvoir. « On ne prétend pas que les femmes font de la politique de façon plus transparente que les hommes, mais que c’est une nécessité pour la société d’utiliser leur expérience de vie », lance Élaine Hémond, présidente de Femmes, Politique et Démocratie. Fondé en 1998, ce groupe est le premier au Canada à soutenir les candidates de tous les partis et paliers gouvernementaux.

En 2003, Femmes, Politique et Démocratie lançait une fondation du même nom, qui réunit femmes d’affaires, universitaires, syndicalistes et autres afin de recueillir les dons pour financer ses activités. En juin, avec l’École nationale d’administration publique de Québec, le groupe offrait une première formation d’une semaine à 25 femmes, bien décidées à remporter les élections municipales de 2005. Ateliers sur les règlements municipaux et sur l’éthique, échanges avec des conseillères et mairesses, activités de réseautage, voilà quelques-uns des plats proposés aux aspirantes politiciennes.

Pourquoi s’attaquer d’abord au municipal ? « C’est inacceptable que seulement 10 % des municipalités soient actuellement dirigées par une mairesse, dit Élaine Hémond, car il s’agit du palier de gouvernement le plus proche de la communauté et de la famille, traditionnellement associées aux femmes. Il pourrait donc constituer une école de la politique pour celles qui désirent aller plus loin. » Son groupe compte offrir une autre formation en démocratie municipale à l’été 2005, avant d’entrer dans les arènes provinciale et fédérale. Prêtes à postuler ?

femmes politique et democratie

14. Mon arménie

L’Arménie, pays de la région du Caucase et ex-plus petite république soviétique, passe un dur moment depuis l’effondrement de l’URSS. Aujourd’hui, une majorité de gens y vit sous le seuil de la pauvreté. C’est dans ce contexte difficile que la Montréalaise d’origine arménienne Lara Aharonian a décidé de s’installer à Yerevan, la capitale, avec son mari et ses deux fillettes. Cette diplômée en psychoéducation et en littérature féministe ouvrira en septembre le tout premier centre de ressources pour femmes, le Kanayq Hayots Center (« Centre des femmes arméniennes »), à l’Université d’État de Yerevan.

« Depuis l’effondrement de l’URSS, l’État fait peu pour aider les femmes. À l’époque soviétique, les droits des femmes étaient protégés, mais celles-ci ne les connaissaient pas puisqu’ils ne leur étaient pas enseignés. Il n’y a donc pas aujourd’hui de base politique féministe en Arménie. » Avec ses acolytes Shushan Avagyan, étudiante en littérature, et Gohar Shahnazaryan, doctorante en sociologie, l’énergique et créative trentenaire compte livrer deux batailles : sauver de l’oubli l’histoire des Arméniennes, occultée par des siècles de dominations étrangères, et tenter d’améliorer leur piètre situation en intervenant auprès des jeunes. Par exemple, elles organiseront des discussions sur les relations hommes-femmes et publieront dans leur site Internet des portraits d’Arméniennes remarquables.

Pour établir les principes du Kanayq Hayots Center, les fondatrices se sont inspirées du Regroupement des centres de femmes du Québec. « La manière d’intervenir auprès des clientes nous convient. En Arménie, nous sommes le premier centre de femmes à avoir une loi écrite sur l’ouverture à toutes, peu importe l’orientation sexuelle. Ça, c’est notre côté le plus québécois ! » C’est en septembre, lors de l’ouverture du centre, que la militante saura si les jeunes femmes du pays sont prêtes à la suivre.

15. Baise majesté

« Les générations précédentes de féministes ont mené les batailles sur la place publique en pensant que les victoires personnelles suivraient. Mais la bataille de l’intime s’avère souvent plus délicate et plus difficile. » Selon la réalisatrice Francine Pelletier, les femmes vivent encore beaucoup de tiraillements dans le secret de leur chambre à coucher. C’est un des sujets de Baise majesté, documentaire de six heures sur la sexualité féminine d’aujourd’hui qui sera diffusé cet automne à Canal Vie et à CBC. En interviewant des dizaines de femmes de tous âges, Francine Pelletier a découvert que, souvent, leur vie intime ne correspond pas à la sexualité féminine débridée que colportent les émissions comme Sexe à New York et les livres érotiques de Catherine M. « On est entre le vieux et le nouveau. Certaines jeunes femmes ont des désirs sexuels très affichés, tandis que d’autres, sous des allures modernes, veulent avant tout faire plaisir à l’autre. »

« Les femmes ont le don de soi jusque dans le cul, ajoute Julie Châteauvert, interrogée dans la série. Les insatisfactions sexuelles sont les mêmes d’une femme à l’autre. Et lorsqu’on leur demande ce qu’elles voudraient, c’est le noir total. Ça fait peur ! » Avec quatre filles, cette artiste (elle fait de la danse et de l’installation) a fondé en février 2003 un groupe de discussion, Sex/e Activism/e, pour libérer l’imaginaire érotique féminin. Pour elle, tant que les stéréotypes régneront dans l’intimité, il sera impossible d’établir des rapports vraiment égalitaires dans la sphère publique. « La sexualité est politique. Il faut que les femmes se prennent en main et osent dire ce qui les excite ! » Sex/e Activism/e prépare un documentaire sur le sujet qui pourrait être diffusé prochainement. En attendant, les filles organisent des ateliers de discussion à Montréal, Toronto et Québec.

16. Sus aux mutilations

« Tant qu’on n’a pas pris quelqu’un le couteau sur le clitoris, on ne sait pas ce qui se passe », lance Aoua Bocar Ly-Tall, présidente du réseau québécois Femmes africaines Horizon 2015. On pense souvent que le phénomène de l’excision se limite à certains pays d’Afrique. Erreur. Même s’il manque de statistiques à ce sujet, de récents faits divers — une fillette excisée à Toronto, un mari exigeant qu’on réinfibule sa femme après accouchement à Montréal — montrent que des immigrants pratiquent les diverses formes de mutilation génitale féminine au Canada. Horizon 2015 s’est donné la mission d’éradiquer cette coutume d’ici 10 ans au Québec.

Depuis sa fondation, en 1994, le réseau organise des rencontres afin de sensibiliser les Québécoises d’origine sénégalaise, somalienne ou camerounaise aux dangers des mutilations génitales, interdites par la législation canadienne. Il s’efforce aussi d’informer le personnel de la santé. « Certains médecins ont une attitude de recul lorsqu’ils découvrent les mutilations de leur patiente qui, du coup, se referme sur elle-même. Il faut dédramatiser la situation », explique Aoua Bocar Ly-Tall, chercheuse associée à l’Institut d’études des femmes de l’Université d’Ottawa. Horizon 2015 appuie également les femmes demandant le statut de réfugiées parce que leurs filles risquent l’excision, notamment en témoignant devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Cependant, sa fondatrice, émigrée de Mauritanie en 1989, sait bien que la fin des mutilations génitales ne suffira pas à intégrer les Africaines dans leur pays d’accueil. Le réseau travaille donc à faire tomber les préjugés en organisant des colloques publics sur le rôle des femmes en Afrique. Il accompagne aussi les jeunes Québécoises d’origine africaine dans la recherche de leur nouvelle identité culturelle.

17. Au nom de toutes les autres

Membre de la Commission de la migration, des réfugiés et de la population au Conseil de l’Europe, Ruth-Gaby Vermot a visité des camps de réfugiés en Bosnie, en Serbie, en Azerbaïdjan et en Arménie. Là-bas, cette Hollandaise d’origine, représentante socialiste au Parlement suisse, a été impressionnée par toutes les femmes travaillant pour la paix, la reconstruction de leur pays et le bien-être de leurs enfants. C’est ainsi que lui est venue l’idée de permettre à 1 000 femmes, de différents pays et milieux, de recevoir le prix Nobel de la paix en 2005. « Depuis 1901, seulement 11 femmes ont reçu ce prix. Pourquoi leur travail n’est-il pas reconnu ? », demande avec vigueur cette doctoresse en philosophie, âgée de 63 ans.

C’est en février prochain, après la sélection de 20 coordonnatrices régionales, qu’un conseil international de femmes, présidé par Ruth-Gaby Vermot, se rendra à Oslo pour remettre au comité Nobel les noms de 3 femmes qui représenteront les 997 autres (seulement 3 personnes pouvant partager la distinction). Si elles l’obtiennent, l’argent du prix sera versé dans un fonds pour la paix, dont profiteront les 1 000 lauréates. Sinon, une exposition itinérante — réalisée par des journalistes, des photographes et des cinéastes — présentera tout de même leur travail au public. De cette initiative résultera aussi une étude sur les stratégies particulières aux femmes pour ramener la paix et la sécurité en temps de guerre, qui sera publiée en 2006 par une chercheuse de l’Université de Berne.

Peace women

18. Charte mondiale des femmes

En l’an 2000, la Marche mondiale des femmes, menée par la Fédération des femmes du Québec, avait forcé de nombreux États à s’intéresser à la condition féminine. « Cette incroyable mobilisation avait beaucoup accru la visibilité et la solidarité du mouvement. Cependant, elle avait donné peu de gains gouvernementaux », rappelle Julie Bégin, porte-parole de l’événement. Plus déterminées que jamais, les femmes du monde entier marcheront à nouveau en 2005 pour réclamer l’égalité des droits, la fin de la violence et la liberté.

Plus politique, cette nouvelle édition — désormais pilotée par la Marche mondiale des femmes, organisme distinct de la Fédération des femmes du Québec, mais toujours basé à Montréal — entend adresser aux gouvernements de plusieurs pays des demandes concrètes pour améliorer la condition féminine. Lors de cette marche à relais sur les cinq continents, les femmes se transmettront aussi un document : la Charte mondiale des femmes pour l’humanité, que plus de 5 700 groupes (organismes sans but lucratif, syndicats, collectifs féminins) participent actuellement à rédiger et qui se veut un texte fondateur du monde à construire selon les féministes. Elle tourne « autour de cinq valeurs essentielles : la liberté, l’égalité, la solidarité, la justice et la paix », précise Brigitte Verdière, qui travaille à synthétiser les commentaires des unes et des autres. Sa version définitive sera adoptée le 10 décembre 2004, à Kigali, au Rwanda. Quant à la Marche, elle partira du Brésil le 8 mars 2005 pour arriver le 17 octobre en Afrique, dans un pays qui reste à déterminer. Ce jour-là, une manifestation mondiale de solidarité féministe aura lieu à midi de chaque fuseau horaire.

19. Des filles qui ont du culot!

Les filles d’Axis of Eve vendent des petites culottes, mais ne font pas dans la dentelle. Et c’est bien là le secret de leur succès. Depuis l’hiver dernier, les membres du groupe — dont le nom est inspiré du célèbre axis of evil (« axe du mal ») de George W. Bush — protestent dans les rues de Washington et de New York, vêtues de leurs culottes aux slogans à double sens. Weapon of mass seduction (« Arme de séduction massive »), My cherry for Kerry (« Ma cerise pour Kerry », le candidat démocrate) et Give Bush the finger (qui signifie à la fois « dénoncer » et « tripoter », le mot bush désignant le sexe féminin)…

« Zazel et Tasha ont eu l’idée des culottes de protestation en janvier, alors que de nouveaux scandales se produisaient dans la politique américaine », raconte la New-Yorkaise Eden Eve (un surnom), ministre de la Presse et de la Propagande des culottes, mais aussi professeure d’histoire féministe. Leurs culottes multicolores de coton, vendues 10 $ la pièce, se sont envolées rapidement lors de la marche des femmes à Washington, en avril dernier. Les profits des ventes vont à la fondation sans but lucratif Daughters of Eve qu’elles ont aussi lancée, et qui se consacre pour l’instant à la création d’une vidéo incitant les jeunes à aller voter. Intéressées à la prochaine performance des Eves ? Rendez-vous à la convention du Parti républicain à New York, le 1er septembre. Plus d’une centaine de femmes en collants et en culottes rigolotes s’envelopperont dans le drapeau américain en signe de protestation à l’administration Bush.

20. One of the boys

Lorsque Jean-Michel Roy, étudiant en informatique à l’Université Laval, a vu l’image d’une infirmière en minijupe et talons aiguilles placardée dans sa faculté en guise d’invitation au party d’Halloween, son sang n’a fait qu’un tour. Sa réaction ? Il a offert cette affiche ainsi que quelques autres… à des étudiantes préparant une exposition sur les images sexistes ! « Les images ou le matériel pornos facilement disponibles incitent à concevoir la femme comme objet sexuel », clame cet oiseau rare de 23 ans, adhérent au Collectif masculin contre le sexisme, un organisme d’hommes proféministes.

Que les machos se tiennent bien : Jean-Michel Roy a décidé d’agir pour promouvoir les rapports égalitaires — dans son couple et ailleurs. Aux responsables d’une soirée étudiante où l’on présentait un calendrier mettant en valeur des filles en bikini ou en déshabillé, il a carrément demandé d’annuler cette « activité sexiste » ! « Ils m’ont répliqué que la porno, ce n’était pas grave, et que l’égalité entre hommes et femmes était atteinte », déplore-t-il. Peu après, il a dénoncé une tournée des bars de danseuses organisée par des étudiants en génie informatique et électrique de l’Université Laval. L’activité a eu lieu malgré ses protestations.

Nullement découragé par ces rebuffades, ce partisan de l’égalité espère qu’il a pu sensibiliser au passage certaines personnes. Selon lui, son statut d’étudiant en informatique empêche ses détracteurs de le traiter avec le même mépris dont ils accablent les filles féministes. Malgré tout, le jeune homme continue d’inciter les rares filles de son département à investir les associations étudiantes, pour changer ces stéréotypes si tenaces.

21. L’école des femmes

Elles sont chercheuses dans des universités québécoises ou européennes, militantes dans des groupes de femmes, membres de syndicats ou de ministères. Ou encore, de simples particulières intéressées par la condition féminine. Elles, ce sont les participantes à l’Université féministe d’été, organisée par le Groupe de recherche féministe de l’Université Laval, à Québec. Une rencontre basée sur le partage d’idées et d’analyses, qui laisse une grande place à la discussion.

Certains sujets abordés au cours de la deuxième édition, qui a eu lieu en juin dernier, ont provoqué une véritable onde de choc, comme le film sur les mutilations sexuelles. Les exposés sur la violence des femmes, donnés par trois chercheuses d’horizons différents, ont également nourri la discussion. « Ce thème a fait l’objet de recherches très pointues entre lesquelles il faut faire des liens, précise Huguette Dagenais, responsable de l’événement et professeure d’anthropologie à l’Université Laval. On sait que le taux de criminalité des femmes augmente depuis quelques années, mais les recherches de Dominique Damant sur la violence des femmes toxicomanes et prostituées, et de Marie-Marthe Cousineau sur les filles dans les gangs, permettent de replacer ces statistiques dans un contexte plus large. »

La formule des demi-journées consacrées à un thème unique, décliné par différentes chercheuses, facilite l’échange de points de vue. Les participantes en apprennent davantage sur l’économie solidaire, la conciliation emploi-famille ou les défis du féminisme actuel. Comme le formulait l’une d’entre elles : « C’est comme des vacances, je peux enfin m’asseoir pour penser ! »

22. Une saison provocante

Ginette Noiseux a le cœur à la fête. L’Espace Go, dont elle est directrice artistique et générale depuis 1981, fête sa 25e saison. C’est justement sous le thème « Portraits de femmes » que la directrice a élaboré la programmation anniversaire de la compagnie montréalaise, issue du Théâtre Expérimental des Femmes (TEF). « Il y a 20 ans, les filles du TEF se questionnaient au sujet des relations hommes-femmes, mais en matière d’oppression ou de patriarcat, se rappelle Ginette Noiseux. Depuis, les femmes ont pris leur place, la société s’est radicalement transformée et maintenant, ce sont les hommes qui ont à redéfinir leur rôle. C’est pourquoi je suis pour un féminisme inclusif, qui invite tous ses partenaires à se nommer, à se définir et à admettre leurs différences. »

La saison débutera par une question volontairement provocante : Les hommes aiment-ils le sexe, vraiment, autant qu’ils le disent ?, pièce coécrite par Évelyne de la Chenelière, Marie-Eve Gagnon, Normand Canac-Marquis et François Létourneau. « On a tellement parlé de la sexualité des femmes dans les 25 dernières années — en 1985, le TEF organisait même la Soirée des murmures, où 50 femmes artistes étaient invitées à créer une performance autour de leur érotisme —, mais la sexualité des hommes est encore taboue », soutient Ginette Noiseux.

D’autres pièces s’attarderont à l’univers féminin, comme Gertrude, le cri, de Howard Barker. Un Shakespeare revisité, dans lequel Hamlet est scandalisé par la fascination qu’exerce sa mère, Gertrude, auprès des hommes. « Cette pièce récente montre les transformations qui ont eu lieu dans la vie sexuelle des femmes et, chose rare, elle parle de pouvoir plutôt que de séduction. » Et que dire de la pièce de clôture de cet anniversaire, Top Girls, écrite au début des années 1980 par la dramaturge féministe britannique Caryl Churchill ? « Marlène, jeune femme venant d’être promue à son agence, échange avec des personnages historiques sur leurs aspirations et leurs sacrifices, explique la directrice générale. La pièce aborde le prix à payer pour se réaliser professionnellement et la conciliation famille-travail-amour. » Une saison anniversaire qui fera jaser !

Espace go

23. La route pacifique

Les activistes colombiennes sont dures à joindre par les temps qui courent, occupées qu’elles sont à remettre sur les rails leur pays affecté par 50 ans de guerre entre les forces armées, les groupes paramilitaires et la guérilla. C’est qu’il y a deux ans, près de 300 organisations colombiennes ont formé le Mouvement des femmes contre la guerre et élaboré un Agenda pour la paix. Depuis, les actions nationales se succèdent. « L’objectif de notre Agenda est de résoudre le conflit colombien par une négociation politique qui impliquerait la société civile », explique Lucia Olga Ramirez, membre du Mouvement des femmes contre la guerre et coordonnatrice nationale de Ruta Pacífica (« Route pacifique »), un des organismes initiateurs du Mouvement. « Nous demandons aussi que les responsables des crimes contre la population civile soient punis conformément au droit international humanitaire, et que les victimes soient dédommagées. C’est très difficile puisque notre action est contraire à la stratégie militaire du gouvernement et à son désir d’amnistier les coupables. »

En août dernier, à Bogotá, le Mouvement organisait une rencontre contre la guerre, rassemblant des sénateurs colombiens et des activistes de 15 pays pour discuter, entre autres, des effets de la guerre sur la vie des femmes. « Nous ne voulons pas répéter l’erreur du Salvador, où les femmes n’ont pas assisté aux négociations de paix entre le gouvernement et les groupes armés, explique Lucia Olga Ramirez. Avec la paix, il nous faudra exiger des lois contre les violences conjugale et sexuelle, par exemple, qui ont été exacerbées par la violence politique des dernières années. » C’est pour cette raison que le slogan du Mouvement est « Ni guerre qui nous tue ni paix qui nous opprime ! ».

Prochaine action inscrite à l’Agenda pour la paix : établir des liens avec les femmes du Chocó, département très pauvre où les groupes armés se disputent mines d’or et corridors stratégiques pour le trafic d’armes et de drogues vers le Panamá. « Jusqu’à maintenant, notre mouvement a réussi à démontrer les effets néfastes de la guerre dans la vie des Colombiennes. Nous sommes aussi très fières d’avoir conscientisé plusieurs femmes provenant de milieux populaires à la politique et au féminisme. Maintenant, elles sont plus en mesure de dénoncer. »

24. On ne me fera pas taire

L’Irakienne Yanar Mohammed, 43 ans, ne sort pas de chez elle sans un garde du corps et un revolver. Le regroupement qu’elle a fondé à Bagdad à la fin de la guerre, en mai 2003, dérange. « Notre organisme (Organisation of Women’s Freedom in Iraq [OWFI] — Organisation pour la libération des femmes en Irak) est laïque, radical et confronte violemment les groupes islamistes politiques ; c’est ce qui nous distingue des autres associations de femmes irakiennes. »

Avec d’autres militantes, cette architecte de profession, qui a vécu à Toronto pendant huit ans, se bat pour préserver la liberté menacée de 10 millions d’Irakiennes. « Aujourd’hui, une femme sort rarement sans voile. Les groupes islamistes ont de plus en plus de pouvoir. » Pas étonnant qu’elle ait reçu des menaces de mort du groupe islamique Army of Sahaba. Ses membres n’ont pas du tout apprécié son discours contre la charia. Une campagne de mobilisation internationale, en février dernier, a d’ailleurs réussi à faire échec au projet du Conseil intérimaire du gouvernement irakien de remplacer le code irakien de la famille, plutôt progressiste, par la charia.

Pas question pour elle de fléchir. « Nous ne faisons pas de compromis avec les groupes religieux. Même si cette position nous fait perdre des possibilités de financement. Nous voulons l’entière égalité et la liberté pour les Irakiennes. » À preuve, le courageux journal que dirige Yanar, Al Mousawat (« L’égalité »), est le seul au pays à prôner l’égalité entre les hommes et les femmes et la mise en place d’une constitution non basée sur la charia. Ce journal a tellement choqué la société irakienne qu’après seulement trois parutions, il a fait face à une poursuite judiciaire pour un article contre le port du voile. Ce qui laisse Yanar songeuse. « Un homme qui dit avoir été heurté dans ses sentiments religieux a entamé une poursuite contre moi. Les millions de femmes à qui les islamistes imposent le port systématique du voile ne seraient pas heurtées, elles. Mais lui peut l’être et m’amener en cour… »

25. Course aux affaires

La popularité de la Compagnie F tient-elle à son atmosphère chaleureuse, à l’enthousiasme de son personnel, à la qualité de ses services ? Depuis sa création, en 1997, cet organisme à mi-chemin entre le milieu communautaire et celui des affaires a aidé plus de 500 femmes de la région de Montréal à créer leur entreprise ou à réorienter leur carrière. « Ici, on parle de la personne et non de l’entreprise, explique Joni Simpson, l’accueillante directrice. On évalue les résultats en matière d’argent, mais aussi d’épanouissement personnel. »

La Compagnie F s’enorgueillit de deux grands succès : Soad Benkirane, une chimiste nouvellement arrivée du Maroc, a développé ses produits d’hygiène et de beauté, et Marie-France Cyr, qui souhaitait devenir auteure, en est à son deuxième best-seller. Justement, elles sont nombreuses, les écrivaines, peintres et artisanes à s’adresser à la Compagnie F pour savoir comment faire de l’argent avec leur art sans être en contradiction avec leurs valeurs. D’ailleurs, dans le cadre d’une formation, certaines d’entre elles ont eu l’idée de la Course aux affaires pour les femmes entrepreneures, tenue pour la première fois en mai dernier, et qui a rassemblé plus de 400 participantes d’horizons divers. « Les artistes, plus particulièrement, voulaient savoir comment se présenter, comment promouvoir leur travail et le vendre », raconte Joni Simpson. Vingt et un ateliers pratiques étaient offerts lors de cette formation d’une semaine, qui sera reprise l’an prochain.

« Pour nous, “Course aux affaires” ne veut pas dire s’essouffler ou jouer les superwomen, mais plutôt faire de petits sprints et être confortable dans ses chaussures tout au long de son itinéraire. » En attendant le prochain départ, des femmes se réunissent à l’année au mignon Café Réseau, propriété de la Compagnie F, pour établir des contacts, présenter leur travail et s’épauler dans une ambiance amicale et non compétitive.