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Conjointe plus riche, problèmes de couple ?

Aujourd’hui, une Québécoise sur quatre a un revenu d’emploi supérieur à celui de son conjoint. Un phénomène croissant auquel les couples doivent s’ajuster.

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Aujourd’hui, une Québécoise sur quatre a un revenu d’emploi supérieur à celui de son conjoint. Un phénomène croissant auquel les couples doivent s’ajuster. En , la proportion de Québécoises qui gagnaient plus que leur conjoint s’élevait à 6,8 %. Elle atteint maintenant 25,2 %! « Ce pourcentage recouvre une réalité multiple, sans qu’il signifie pour autant que les femmes vont bientôt devenir plus riches que les hommes », souligne Francine Descarries, sociologue à l’Université du Québec à Montréal. En , le salaire des Québécoises (travail à temps plein et à temps partiel) équivalait à 67,1 % seulement de celui des hommes. N’empêche. Le nombre de femmes qui ramènent à la maison la plus grosse partie du revenu familial s’accroît. Et ce renversement des rapports de force crée des tensions chez certains couples. Comme personne n’a encore sondé leurs cœurs de façon scientifique, les spécialistes consultés livrent ici leurs propres réflexions et observations.

Des données qui parlent

Très exactement 25,2 %: voilà la proportion des femmes dont le salaire représente de 51 à 100 % des revenus d’un couple au Québec. Le premier pourcentage exclut les familles monoparentales, mais comprend autant les conjoints de fait que les couples dûment mariés. Les données de base sont tirées des déclarations d’impôts fédérales pour l’année et compilées par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). On n’y tient compte que des revenus provenant d’un emploi. Parmi celles qui gagnent plus que leur conjoint, 7,2 % rapportent l’unique salaire du couple. « Il s’agit surtout de conjointes de retraités; la plupart d’entre elles ont 55 ans et plus », fait remarquer Sylvie Jean, statisticienne à l’ISQ. En , le salaire moyen d’un couple dans lequel seule la conjointe avait un emploi atteignait 20 500 $ contre 37 700 $ dans la situation inverse. Les compilations de l’ISQ permettent de diviser les 18 % résiduels (du 25,2 %) en deux catégories?: 13,7 % des femmes gagnent entre 51 et 75 % du revenu d’emploi du couple et seulement 4,3 %, entre 76 et 99 %. Cette répartition ne permet pas de faire une analyse fine, mais elle indique que, le plus souvent, la différence entre les deux salaires est mineure. En , le revenu d’emploi des Québécoises vivant en couple (travaillant à temps plein et à temps partiel) ne correspondait qu’à 59 % de celui de leur conjoint, rappelle Sylvie Jean. Le psychologue François St-Père précise d’entrée de jeu que, pour beaucoup de ses clients, la disproportion des revenus entre conjoints ne pose aucun problème. Chargé de cours à l’Université de Montréal et attaché depuis huit ans à l’une des rares cliniques de consultation conjugale du Québec, il a pu constater, chez d’autres, trois types de répercussions négatives?: l’abus de pouvoir exercé par le plus riche des conjoints, les problèmes d’estime de soi du plus pauvre et les frustrations liées aux dépenses. Selon lui, les femmes plus aisées que leur conjoint sont peu enclines à tirer avantage de leur position. « Depuis que je fais de la thérapie de couple, je n’ai jamais rencontré une femme dans cette situation qui abuse de la dépendance de son conjoint ou qui exerce du chantage sur lui, comme je le vois parfois chez les hommes. Je ne nie pas que ça existe, mais je pense que c’est peu fréquent. » Par contre, les problèmes d’estime de soi s’avèrent plus courants. « Certains hommes se sentent humiliés s’ils ne rapportent pas le revenu principal, surtout quand des membres de leur entourage leur répètent?: “T’es gras dur”, “Tu te fais vivre par ta femme”… » Le stéréotype du mâle pourvoyeur semble avoir la vie dure, surtout chez les 50 ans et plus, note le psychologue. La plus grande difficulté survient toutefois lors de la prise de décisions relatives à la consommation. « L’apport d’argent est intimement lié au pouvoir de dépenser. C’est à ce moment-là que les valeurs des conjoints risquent de s’opposer. » François St-Père cite l’exemple d’une femme qui achète des vêtements griffés pour les enfants, ce que le mari considère comme un pur gaspillage. « Comme la dame a un salaire élevé, elle refuse que cette dépense soit remise en question. » Par contre, les décisions concernant le patrimoine familial (véhicule, résidence, etc.) sont prises en collégialité. Selon le psychologue, les couples trouvent souvent la solution dans un partage équitable des dépenses (au prorata du revenu), accompagné d’une pratique égalitaire du pouvoir décisionnel. Un objectif idéal que tous n’atteignent pas, avoue-t-il. On pourrait croire, remarque Francine Descarries, que l’apport de la femme au revenu du couple s’avère un levier de négociation dans tous les aspects de la vie conjugale. « Depuis que les femmes travaillent, on assiste certainement à un nouveau partage de l’autorité dans le couple. » Cependant, les hommes continuent de s’impliquer moins qu’elles dans les tâches domestiques. Comme quoi le pouvoir que confère l’argent a ses limites?! Et puis, gagner plus que l’autre ne veut rien dire en soi. Encore faut-il savoir si les deux salaires sont décents et à quel point ils sont disproportionnés. « En fin de compte, le plus important, c’est que chaque femme jouisse d’une autonomie financière suffisante pour éviter d’être captive d’une situation conjugale intolérable, entre autres, si le conjoint est violent », conclut la sociologue.