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Le passe-montagne

Au lieu de s’extasier sur leurs jambes de gazelle ou leur grâce féline, les journalistes sportifs feraient mieux d’insister sur le talent des athlètes féminines.

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Au lieu de s’extasier sur leurs jambes de gazelle ou leur grâce féline, les journalistes sportifs feraient mieux d’insister sur le talent des athlètes féminines. « Elle, est-tu sexy ? Non, mais t’as vu cette paire de… Regarde celle-là avec sa perche ! » Bienvenue sur la galerie de presse du Stade olympique d’Athènes ou du Stade de tennis Jarry. Pendant ce temps, la télévision nous passe en boucle des gros plans de fesses brésiliennes pour le volley-ball de plage et 19 cadrages différents d’Anna Kournikova en train d’exécuter son service. La complicité entre l’homme des tavernes et le montreur d’images n’est plus à prouver ! Pourquoi parler de joueuse « sexy » ou de « mère de famille » pour une athlète alors que le contraire n’existe pas ? Pourquoi, sur 159 parutions, le célèbre magazine américain Sports Illustrated a-t-il dédié seulement 11 couvertures à des athlètes féminines ? Pourquoi les plus importants journaux canadiens ne consacrent-ils que 3 % de leur couverture sportive aux femmes ? Le chiffre s’élève à un gros 10 % (!) chez les télédiffuseurs canadiens. Et encore, la sélection est vite faite. La sauteuse à la perche plutôt que la lanceuse de poids, la coureuse du 100 mètres plutôt que l’haltérophile. Au petit écran, l’homme est toujours décrit dans l’action et la femme récolte les qualificatifs esthétiques. « Quelle grâce, belle et féminine, son joli sourire, ses adorables jambes… » Couvert à 90 % par une colonie journalistique mâle, le monde du sport est encore sous la gouverne de vieux aristocrates, persuadés que les vertus d’une athlète sont dans ses attributs physiques ou, pire, que le sport virilise les femmes ! Plusieurs se rangent toujours derrière les idées du créateur des Jeux olympiques modernes, le baron Pierre de Coubertin. « Techniquement, les footballeuses ou les boxeuses qu’on a déjà tenté d’exhiber çà et là ne présentent aucun intérêt, ce seront toujours d’imparfaites doublures », disait-il. Ce sont ces mêmes esprits obscurs qui dictent leurs lois aux télédiffuseurs et dirigent les destinées des fédérations sportives. Comment faire progresser les mentalités quand des générations entières de jeunes avalent ces images et ces commentaires ? Il serait peut-être temps que les journalistes sportifs présentent de vraies joueuses de tennis plutôt que les atours d’Anna Kournikova, qui continue de faire les manchettes même si elle n’a presque jamais rien gagné dans sa carrière. Certaines athlètes pourraient aussi riposter. Comme les joueuses de volley-ball qu’on oblige à porter des vêtements moulants en plus d’aller chercher leur médaille en bikini, alors que les hommes ont droit au peignoir. Les femmes ont remporté des batailles, notamment en boxe, où elles ont réussi à obtenir la tenue d’un championnat du monde au même titre que les hommes. Mais la lutte reste à finir, puisque la boxe féminine n’est toujours pas admise comme discipline olympique. Il faudra cependant plus que la volonté féminine pour venir à bout des tabous. Quand des golfeuses ont déclaré vouloir jouer avec les hommes, les dinosaures se sont réveillés. Le golfeur français Jean Van de Velde a déclaré que c’était une belle blague et que pour jouer avec les femmes, il s’habillerait en kilt et se raserait les jambes en guise d’équité. Tout un poète ! Pourquoi un beau coup de départ ou un superbe roulé auraient-ils un sexe ? Faire évoluer les mentalités relève de la course à obstacles. Les sportives, en effet, se butent à de nombreux stéréotypes. Par exemple, on accepte les différences morphologiques chez les hommes, mais on exige l’uniformité chez les femmes. À entendre certains, une lanceuse de poids devrait avoir la fluidité de la gazelle et la grâce d’un paon, alors que le lanceur, lui, peut rivaliser avec tous les sumos du monde sans que personne n’y trouve à redire. Il est clair que LA solution ne consistera pas à transformer les Pom Pom Girls en Pom Pom Boys, pas plus qu’à montrer les fesses des joueurs de football en gros plan pour justifier une quelconque équité. Plus fondamentalement, il faut s’interroger sur le genre de couverture sportive que nous voulons. Le nombre de femmes journalistes est un facteur clé pour faire bouger les choses. La présence accrue des femmes dans les lieux de décision, comme le comité des athlètes du Comité international olympique ou les administrations sportives, contribuerait aussi au changement. Pour certaines, la bataille est plus profonde. Se réunir entre femmes pour faire du sport relève déjà de l’exploit. À Téhéran, par exemple, les 4es Jeux islamiques, en septembre 2005, ont permis à des athlètes féminines de se confronter. On peut évidemment critiquer le caractère sectaire d’une telle rencontre, mais c’est peut-être là un point de départ pour échanger entre sportives dans un monde peu favorable à ce genre d’évènements. Les choses évoluent tout de même. La participation des femmes aux Jeux olympiques est montée en flèche dans le dernier quart de siècle. À Athènes, en 2004, 41 % des 10 866 athlètes étaient de sexe féminin. La délégation canadienne avait 134 femmes contre 132 hommes. Il n’est donc pas utopique d’espérer que soit mis en valeur le talent des athlètes féminines plutôt que leur physique. Si je dois avoir un seul rêve, c’est que l’on bannisse tous les passemontagnes idéologiques qui empêchent d’avoir une vision plus équitable du sport.