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La Corriveau pour aider les détenues

Elles logent près de nous: à la prison provinciale de Tanguay (à Montréal) ou d’Orsainville (à Québec), ou encore à la prison fédérale de Joliette. Pourtant, on ne sait rien des femmes criminalisées. Heureusement, un nouvel organisme se consacre à les comprendre et à les aider.

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Elles logent près de nous: à la prison provinciale de Tanguay (à Montréal) ou d’Orsainville (à Québec), ou encore à la prison fédérale de Joliette. Pourtant, on ne sait rien des femmes criminalisées. Heureusement, un nouvel organisme se consacre à les comprendre et à les aider. Car les détenues purgent des peines trop sévères, et trop peu est fait pour les soutenir à leur sortie de prison, jugent les chercheuses du collectif La Corriveau.

Né il y a tout juste un an, le collectif défend la cause des détenues, qui représentent 5 % de la population carcérale canadienne. Le nom de cet organisme, constitué d’une cinquantaine d’intervenantes et de chercheuses francophones, n’a rien d’anodin. « On cherchait un nom qui disait tout », raconte la présidente, Nathalie Duhamel, ancienne directrice de la Société Elizabeth Fry de Montréal (qui vient aussi en aide aux femmes accusées d’un crime). « Or, la Corriveau a été condamnée au gibet parce qu’on la soupçonnait du meurtre d’un mari qui la battait. Pour s’assurer de leur autorité sur une population tout juste conquise, les autorités britanniques ont suspendu son cadavre dans une cage en fer ».

Selon le collectif, les femmes criminalisées sont souvent des marginales, et c’est en grande partie cette condition qui les incite à passer à l’acte. Une écrasante proportion de détenues (80 %) ont connu la violence physique ou sexuelle. Elles sont également nombreuses à diriger une famille monoparentale (60 % des détenues sont mères et, parmi elles, 70 % élèvent seules leur enfant) ou à s’identifier comme autochtones (25 %). Or, le système judiciaire pénalise les femmes incarcérées en ne prenant en compte ni leur histoire familiale ni leurs besoins.

Pour l’heure, les membres de La Corriveau travaillent principalement sur deux questions qui soulèvent leur ire et leur inquiétude. D’abord, elles veulent que les Services correctionnels cessent de prendre eux-mêmes en charge les problèmes de santé mentale des femmes. « Le rôle du système pénal est de gérer une peine, pas d’intervenir en santé mentale », souligne Nathalie Duhamel. Le personnel soignant doit rester indépendant des établissements carcéraux pour garantir la confidentialité et la qualité de la relation d’aide, renchérit Sylvie Frigon, professeure en criminologie à l’Université d’Ottawa et également fondatrice de La Corriveau.

Les deux chercheuses doutent que la prison soit l’endroit approprié pour recevoir des soins d’ordre psychique. Peut-on punir et guérir à la fois ? Selon elles, les programmes de réhabilitation dans les prisons fédérales sont plus nombreux depuis la réforme de 1996, mais les ressources se font rares à l’extérieur de celles-ci. Et c’est précisément dans la communauté que les femmes criminalisées devraient pouvoir recevoir de l’aide, notamment lorsqu’elles sortent de prison.

Ensuite, les membres du collectif veulent abolir la politique d’« équité » entre les sexes voulant que les femmes reconnues coupables de meurtre purgent les deux premières années de leur peine dans une unité à sécurité maximale, peu importe la violence conjugale ou les mauvais traitements dont elles ont été l’objet. « C’est là un effet pervers de l’égalité de traitement des sexes, puisqu’il s’agit souvent de règlements de comptes dans le cas des hommes », soutient Nathalie Duhamel, alors que les femmes sont davantage coupables d’homicides conjugaux découlant de la violence du conjoint. « Autant chez les hommes que chez les femmes criminalisés, il faut tenir compte du contexte de vie et des circonstances entourant l’homicide pour juger de la sévérité de la peine », tient à préciser Sylvie Frigon.

En octobre dernier, à Montréal, Nathalie Duhamel et Sylvie Frigon ont organisé leur premier colloque, intitulé « De la marginalisation à la criminalisation des femmes », qui a réuni une cinquantaine de spécialistes en criminologie — professeures, avocates, travailleuses sociales, représentantes d’établissements carcéraux. Déjà, elles préparent leur prochain colloque, prévu à l’automne 2004. Le collectif est d’autant déterminé à durer qu’il a reçu un accueil chaleureux de la part des organismes communautaires féministes. « Les femmes veulent aller au bout de leur engagement en aidant celles qui se trouvent à l’autre extrémité du spectre de la société, oubliées et marginalisées », conclut Nathalie Duhamel.