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Université féministe d’été

Du 12 au 18 juin dernier, l’Université Laval organisait à Québec la troisième édition de son Université féministe d’été.

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Du 12 au , l’Université Laval organisait à Québec la troisième édition de son Université féministe d’été. Sur le thème Féminisme et institutions démocratiques : des besoins à combler, des acquis à préserver, des stratégies à développer, quelques conférenciers et une trentaine de conférencières, surtout des professeures, ont présenté les résultats de leurs recherches et réflexions. Morceaux choisis.

Dissidentes suprêmes

Les femmes juges sont plus dissidentes que leurs collègues masculins.

L’arrivée de femmes juges à la Cour suprême du Canada a-t-elle changé quelque chose aux décisions prises par cette vénérable institution ? Chose certaine, elles sont plus souvent en désaccord avec les jugements rendus que leurs collègues masculins, selon une étude menée par Marie-Claire Belleau, professeure de droit à l’Université Laval. Depuis Bertha Wilson, la première à avoir siégé à la Cour suprême à partir de , six autres femmes ont été nommées (Bertha Wilson, Claire L’Heureux-Dubé et Beverley McLachlin se sont chacune montrées beaucoup plus dissidentes Claire L’Heureux-Dubé (), Beverley McLachlin (), Louise Arbour (), Marie Deschamps (), Rosalie Silberman Abella (), Louise Charron ()… Elles sont aujourd’hui quatre sur un total de neuf juges : Marie Deschamps, Rosalie Silberman Abella, Louise Charron et la juge en chef de la Cour, Beverley McLachlin. Marie-Claire Belleau a analysé l’adhésion des différents juges aux décisions de la Cour depuis et les opinions dissidentes qu’ils ont émises. En effet, lorsqu’une décision n’est pas rendue à l’unanimité, les juges en désaccord ont la possibilité de publier un document qui, même s’il n’a pas la force d’une loi, influence souvent les décisions futures de la Cour. Bien que largement minoritaires entre et , les femmes juges ont été responsables de la majorité des dissidences. Trois juges sur les 28 qui se sont succédé pendant cette période ont signé à elles seules 40 % de ces avis : Bertha Wilson, Claire L’Heureux-Dubé et Beverley McLachlin se sont chacune montrées beaucoup plus dissidentes que la moyenne des juges. Au fil du temps, leur désaccord est cependant devenu de plus en plus rare, au fur et à mesure que la Cour s’est féminisée, soupçonne Marie-Claire Belleau. Deux autres juges furent aussi dissidents plus souvent qu’à leur tour, peut-être en raison de leur appartenance à d’autres minorités : l’un, Bora Laskin, fut le premier juge juif de la Cour suprême; l’autre, John Sopinka, le premier d’origine étrangère! La chercheuse a commencé à analyser dans le détail les motifs des dissidences et a déjà constaté que dans plusieurs cas, les femmes juges se sont montrées plus sensibles aux problèmes vécus par des femmes. Elle a notamment étudié les différents points de vue à propos de l’affaire Chantal Daigle contre Jean- Guy Tremblay, entendue en . La cause opposait une jeune femme enceinte et son ex-conjoint, père du fœtus, qui refusait qu’elle avorte. À cette occasion, Beverley McLachlin affirmait clairement que la Cour avait besoin d’une variété de points de vue et peut-être, dans ce cas, de celui d’une femme. Chantal Daigle remporta la cause, la Cour ayant statué qu’aucun fondement juridique ne justifie l’argument voulant que l’intérêt d’un père en puissance puisse servir à légitimer le veto qu’il oppose aux décisions d’une femme relativement au fœtus qu’elle porte. « Ce n’est pas qu’un homme n’aurait pu voir les choses de cette manière, mais ce n’était pas ainsi que cela les [ses collègues masculins] avait immédiatement frappés », expliqua alors la future juge en chef. « L’affaire Daigle a permis de réaffirmer l’importance de multiples perspectives dans le processus décisionnel judiciaire et de montrer que la présence de plusieurs voix ouvre l’espace aux autres décideurs », précise Marie-Claire Belleau. Dans les prochains mois, la chercheuse continuera d’analyser les décisions et dissidences rendues par les juges de la Cour suprême dans le but de mieux comprendre leur évolution et ce qui les motive.
  • Les femmes-juges feront-elles véritablement une différence ? Réflexions sur leur présence depuis 20 ans à la Cour suprême du Canada, Marie-Claire Belleau, Université féministe d’été, .

Papes en délire

Les féministes n’ont rien à attendre du nouveau pape

selon Patrick Snyder, professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Sherbrooke, qui a analysé les écrits de Jean-Paul II et s’est aussi penché sur ceux de son successeur Benoît XVI. Le premier a laissé un lourd héritage. « L’Église catholique est une institution hiérarchique dominée exclusivement par des hommes prêtres et Jean-Paul II n’a rien fait pour modifier la structure et le fonctionnement de cette institution, malgré les revendications de la majorité des femmes dans l’Église. Sa conception de la femme et de son rôle incruste dans cette structure hiérarchique des rapports de sexe inégalitaires et son impossible démocratisation », affirme le chercheur. Patrick Snyder ne mâche pas ses mots : selon lui, la ferveur et la constance qu’a déployées Jean-Paul II pour imposer sa conception de la femme sont sans pareilles à notre époque. « Pour le Saint-Père, tout l’être de la femme la destine à son ultime but, la maternité. » Et son successeur partage le même point de vue. En , dans un texte sur la collaboration hommes-femmes dans l’Église et la société, le cardinal Ratzinger critiquait aussi vertement le féminisme. « C’est le nouveau chien de garde de l’idéologie catholique. Son passage de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi à pontife, dans un conclave très court, démontre que l’ensemble des cardinaux partagent et soutiennent les orientations conservatrices de cette institution monarchique », affirme Patrick Snyder.
  • Jean-Paul II, rapports entre les sexes et démocratie, Patrick Snyder, Université féministe d’été .
  • La femme selon Jean-Paul II, Patrick Snyder, Éditions Fides, .

Mes pères et mes mères

Les nouvelles lois sur l’union civile et le mariage des conjoints de même sexe bousculent les liens de filiation. Imbroglio.

Les nouvelles lois sur l’union civile et le mariage des conjoints de même sexe redéfinissent les liens entre parents et enfants, compte tenu de l’éventail de possibilités désormais offertes à un couple homosexuel pour adopter ou concevoir un enfant. Après avoir étudié leurs implications, Ann Robinson, professeure de droit retraitée de l’Université Laval et militante lesbienne de la première heure, propose de redéfinir totalement la notion de parent pour mieux coller à ce que vivront de plus en plus d’enfants. « Actuellement, un enfant peut avoir un père et une mère, ou deux pères, ou deux mères. Ce n’est pas suffisant pour décrire la réalité de leur filiation », explique la chercheuse. En s’appuyant sur des personnages fictifs, Ann Robinson a bâti un scénario qui montre que les lois actuelles pourraient conduire à des impasses et engendrer bien des souffrances pour les enfants concernés. Elle prend l’exemple d’Henriette et Nathalie, unies civilement, qui souhaitent toutes deux devenir mères. Nathalie accouche de Mathieu après une insémination artificielle avec le sperme d’un donneur anonyme. Avec l’accord de Nathalie, Henriette a une relation sexuelle avec Jean, un grand ami du couple, et donne naissance à Lisa. Compte tenu des lois actuelles, Mathieu aura automatiquement Henriette pour deuxième parent. Lisa, elle, aura pour deuxième parent Nathalie seulement si Jean ne réclame pas sa paternité durant l’année de sa naissance. Benoît et Charles, également unis, font quant à eux appel à deux mères porteuses domiciliées dans une province canadienne qui admet la notion de mère de substitution. Les deux femmes acceptent d’être inséminées, l’une avec le sperme de Benoît, l’autre avec celui de Charles. Elles donnent chacune naissance à une fille, Alice et Amélie. Les deux fillettes auront chacune deux pères inscrits dans leur acte de naissance, Benoît et Charles. La nouvelle loi sur l’union civile permet également aux gais et lesbiennes, seuls ou en couple, d’adopter des enfants au Québec. Un père ou une mère peut aussi donner son consentement spécial à l’adoption de son enfant par son conjoint ou sa conjointe de même sexe. Les deux couples précédents pourraient ainsi adopter chacun un enfant québécois — Julie dans le cas d’Henriette et Nathalie, Maurice pour Benoît et Charles — abandonné par ses parents biologiques. Par ailleurs, si Henriette avait déjà une fille — appelée Jade — née d’une relation hétérosexuelle antérieure à sa rencontre avec Nathalie, ou si Benoît avait déjà adopté seul Arianne, ces deux enfants pourraient respectivement être adoptés par Nathalie et Charles. « Enfin, si Nathalie et Henriette comme conjointes avaient fait le projet d’avoir un enfant et que Nathalie avait mis au monde un fils à la suite d’une insémination artificielle avec donneur anonyme avant l’entrée en vigueur des dispositions sur l’union civile, un mécanisme transitoire prévu dans la loi permet de modifier l’acte de naissance de cet enfant en y ajoutant une co-mère, Henriette. » Malgré ces amendements primordiaux, il reste tout de même quelques questions sans réponse, dit Ann Robinson. Qu’arrivera-t-il si Jean revendique sa paternité dans l’année de la naissance de Lisa ? Qui seront les parents juridiques d’Alice et d’Amélie si leurs mères porteuses refusent de les rendre à leurs pères biologiques Benoît et Charles ? Qu’adviendra-t-il de Jade, née dans le cadre d’une relation hétérosexuelle entre Henriette et un homme qui s’est déclaré père de l’enfant ? Mais surtout, que se passera-t-il lorsque tous ces enfants arriveront à l’adolescence et voudront à tout prix connaître la vérité et les circonstances de leur naissance ? « Il est déplorable que le législateur n’ait pas intégré dans le Code civil le principe du droit fondamental de l’enfant à connaître toutes les circonstances de sa naissance. Auraient dû surgir dès lors les notions de pluriparenté et de pluriparentalité », affirme Ann Robinson. Pour y remédier, la chercheuse propose que la loi reconnaisse les notions de parent de naissance et de parent social, ce qui donnerait à chaque enfant la possibilité légale d’avoir plus de deux parents. Mathieu et Lisa auraient ainsi chacun un père de naissance, une mère de naissance et sociale et une mère sociale. Alice et Amélie auraient une mère de naissance, un père de naissance et social et un père social. « Pourquoi cacher la vérité à des enfants qui de toute façon sauront rapidement que leur filiation homoparentale est nécessairement fictive ? Pourquoi ne pas devancer les questions de Julie et Maurice et leur éviter sans doute des problèmes à l’adolescence ? » Ainsi Julie et Maurice auraient respectivement chacun un père et une mère de naissance. Julie aurait en plus deux mères sociales adoptives, et Maurice, deux pères sociaux adoptifs. Jade, née dans le cadre d’une relation hétérosexuelle, devrait avoir comme parents un père de naissance, une mère de naissance et sociale et une mère sociale adoptive. Quant à Arianne, elle aurait un père et une mère de naissance, et deux pères sociaux adoptifs. Pour la chercheuse, il est urgent que le droit intègre ces notions, qui permettront de mieux établir les liens de filiation de ces enfants. Sans compter que, tout comme ceux nés de couples hétérosexuels, ils n’échapperont peut-être pas à la séparation de leurs parents et à la recomposition de leur famille…
  • L’homoparentalité en droit québécois ou la filiation réinventée, Ann Robinson, dans Homoparentalité. État des lieux, sous la direction de Martine Gross, éditions Érès, Paris, .