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Pas de fumée sans femmes

Le tabac est nocif pour tous. Mais les femmes sont les premières ciblées par les campagnes de marketing de l’industrie, et ce sont elles que devrait avant tout viser la lutte au tabagisme.

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Le tabac est nocif pour tous. Mais les femmes sont les premières ciblées par les campagnes de marketing de l’industrie, et ce sont elles que devrait avant tout viser la lutte au tabagisme.

Dans les dernières années, les poursuites de plusieurs États américains contre les compagnies de cigarettes ont permis de rendre publiques plus de 40 millions de pages de documents internes de l’industrie, que les équipes de recherche commencent tout juste à analyser. Ce qu’elles y découvrent est lourd de conséquences pour la santé des femmes.

« Les compagnies de tabac ont commencé à cibler les femmes dans les années et elles continuent, partout dans le monde », explique Roxane Néron, médecin responsable de la lutte au tabagisme à la Direction de la santé publique des Laurentides. Leurs techniques de marketing ont toujours été très efficaces. En , environ 5 % des Nord-Américaines fumaient. En , elles étaient 12 %, puis 18 % en . Dès , les compagnies ont incité les femmes à fumer pour contrôler leur poids. Selon Stella Bialous, chercheuse pour l’organisme Tobacco Policy International, à San Francisco, les ventes de Lucky Strike augmentèrent de 215 % entre et avec la campagne « Prenez une cigarette plutôt qu’un bonbon » !

Les firmes suivent étroitement l’évolution du statut social des femmes et révisent leurs messages en conséquence. En Amérique du Nord, leurs documents les plus récents décrivent une « vraie femme », qui se considère l’égale de l’homme mais ne veut pas s’adapter à son monde. Le message se décline selon les différentes « clientèles » ciblées. Les jeunes femmes d’ici sont attirées par des images reliées à leur sensualité, les Latino-Américaines par la beauté et la féminité, les Africaines par la liberté…

Pourquoi les compagnies visent-elles autant les femmes ? « Elles savent depuis le milieu des années que les femmes sont plus affectées par la nicotine, qu’elles deviennent plus rapidement dépendantes et qu’elles ont plus de mal à cesser de fumer », explique Roxane Néron. Des faits que les chercheurs indépendants, dont les budgets sont négligeables à côté des 28 millions de dollars dépensés chaque jour en marketing par les cigarettiers, viennent seulement de prouver. Depuis six ans, Jennifer O’Loughlin, chercheuse à l’Université McGill, suit 1 300 jeunes de 10 écoles secondaires de Montréal, âgés de 12 ou 13 ans au début de l’étude. Au cours des 3,5 premières années, 480 jeunes ont commencé à fumer, dont 65 % de filles. Et parmi eux, 34 % des filles et 22 % des garçons sont devenus dépendants. Le tabac fait aussi plus de ravages dans l’organisme féminin. Une étude récente a ainsi montré qu’à consommation égale, les femmes présentent un risque de cancer du poumon de 20 à 70 % plus élevé que les hommes. En plus de leur plus grande vulnérabilité biologique au tabagisme, les femmes sont aussi socialement plus à risque, car elles sont plus souvent isolées, sans emploi, faiblement scolarisées et pauvres. Elles sont aussi les plus susceptibles de transmettre cette mauvaise habitude aux enfants, dont elles restent les premières responsables. Tout cela, les compagnies de tabac le savent bien.

Résultat : même si la lutte au tabagisme a permis d’enrayer le fléau dans les pays riches, les femmes sont toujours plus difficiles à convaincre. En , au Canada, 18 % des femmes fumaient, contre 23 % des hommes. Mais 32 % des femmes de 15 à 24 ans sont déjà accros à la cigarette, contre 30 % des hommes du même âge. Dans les pays industrialisés, alors que la mortalité due au tabagisme est en déclin chez les hommes, elle continue d’augmenter chez les femmes. Dans les pays pauvres, où le tabagisme était jusqu’à récemment un fléau presque exclusivement masculin, les compagnies font tout pour séduire les femmes. Aujourd’hui, elles sont 12 % à fumer dans le monde. Elles seront 20 % en si rien n’est fait, prévoit l’OMS.

Comment mieux protéger les femmes ? Encore une fois, les archives de l’industrie sont éloquentes. Plusieurs équipes en santé publique et marketing analysent actuellement les stratégies des compagnies pour mieux les détourner. Aux États-Unis, le National Cancer Institute vient de lancer une importante étude sur le sujet, confiée à Susan Middlestadt, professeure à l’Université de l’Indiana. Dans les Laurentides, la Direction de la santé publique a lancé fin une campagne de sensibilisation visant les jeunes filles, axée sur le message « Le tabac tue la beauté. Et pas que la beauté. » La campagne, dont l’affiche montre le visage d’une femme s’appliquant un rouge à lèvres ayant l’apparence d’une cigarette allumée, est accompagnée de distribution de bâtons de rouge à lèvres. Menée à petite échelle, faute de moyens, elle s’est avérée très efficace.

« Pour savoir ce qui marche, il suffit de regarder ce qui inquiète les compagnies », explique Roxane Néron. Les hausses de taxes et la généralisation des espaces sans fumée sont actuellement les deux avenues à privilégier, surtout au moment où le Québec s’apprête à réviser la Loi sur le tabac. « Nous demandons qu’il soit interdit de fumer dans les cours d’école et dans les bars et restaurants, où la fumée secondaire intoxique notamment les nombreuses jeunes femmes qui travaillent comme serveuses dans ces établissements », dit Roxane Néron. Selon le médecin, les femmes doivent aussi se mobiliser pour mieux lutter contre le tabagisme. « Ne croyez jamais les compagnies, qui font tout pour se faire passer pour des citoyens responsables, par exemple en finançant des groupes de femmes ou des campagnes de prévention dans les écoles », prévient-elle. Interdire de fumer à la maison et dans la voiture, sensibiliser ses enfants, écrire à son député… chaque geste compte pour enrayer l’épidémie.