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L’homme d’une seule femme

Sociologue diplômé de l’Université de Dakar au Sénéga, Racine Diongue vit à Montréal depuis 1997. Marié et père d’une petite fille, l’homme de 43 ans est fils de polygame.

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Sociologue diplômé de l’Université de Dakar au Sénéga, Racine Diongue vit à Montréal depuis 1997. Marié et père d’une petite fille, l’homme de 43 ans est fils de polygame. Son père, un enseignant, avait trois femmes. Lui a choisi d’être monogame. Il nous livre ses réflexions sur la polygamie.

Quels avantages un homme retire-t-il de la polygamie ?

Tout d’abord l’honnêteté. Je suis monogame, mais entre une maîtresse et une deuxième épouse, je préfère cette dernière éventualité. Tromper sa femme, c’est lui mentir. Au profit de l’homme, il y a aussi la concurrence que se font les femmes pour lui plaire. En zone rurale, l’avantage réside dans le nombre de bras supplémentaires que procure la polygamie. La richesse se mesure au nombre d’enfants : si la famille travaille bien, elle produit plus qu’elle ne consomme.

N’est-ce pas une lourde charge pour le mari, surtout en zone urbaine, où tout coûte plus cher ?

Gérer trois ou quatre familles est une gageure pour un mari responsable. Même si les femmes sont davantage sur le marché du travail, c’est généralement l’homme qui est le soutien financier. À ce compte, peut-on vraiment avoir une qualité de vie ? Mais, parfois, la polygamie peut aussi devenir une charge pour les Africaines, qui deviennent de plus en plus indépendantes financièrement. Plusieurs dépensent beaucoup pour plaire à leur mari : bonne bouffe, beaux atours, etc. Les hommes irresponsables peuvent en profiter.

Y a-t-il d’autres désavantages liés à la polygamie ?

Il est très difficile de traiter ses épouses de façon parfaitement équitable, comme l’exige l’islam. La jalousie peut miner une famille entière. À la limite, pour respecter le Coran, il faut rester monogame ! Et puis en se partageant entre plusieurs familles, le père n’a pas nécessairement le temps de bien connaître tous ses enfants.

Est-ce que cela a été votre cas ?

Non, j’étais très proche de mon père. Pendant une période de sa vie, il a occupé un poste de directeur dans une école à l’extérieur de Dakar et il m’a amené avec lui. J’avais mon père pour moi tout seul.

Les hommes moins nantis sont-ils condamnés au célibat ?

Dans les Émirats arabes, les nantis ont des harems. Les femmes deviennent plus rares et ce qui est rare est cher… Certains hommes n’ont pas le loisir de se marier. Au Sénégal, par contre, les riches et les gens qui ont un certain niveau d’études ont plutôt tendance à adopter un mode de vie occidental, donc monogame. La pratique de la polygamie est davantage ancrée dans les milieux traditionnels, pauvres et ruraux.

On a l’impression que l’union polygame est un mariage de raison, est-ce le cas ?

Attention, il y a bel et bien des mariages d’amour. Cependant, plusieurs raisons peuvent inciter une femme à épouser un homme déjà marié, dont des motifs d’ordre financier. Il y a aussi certains hommes qui deviennent polygames sous la pression du groupe. Une mère peut y pousser son fils : si celui-ci aime une autre femme, elle lui conseillera de faire un second mariage plutôt que de divorcer. Le mariage lie non seulement à une personne, mais à toute une famille. En Afrique, l’importance donnée à l’amour n’est pas la même qu’en Occident, où il y a la notion de plaisir et de satisfaction individuelle. La femme africaine cherche surtout un statut social. Elle se marie pour fonder un foyer et être respectée.

En bout de ligne, les hommes polygames ont-ils le beau rôle ?

Pour répondre à cette question, il faut avoir une vision historique. À une époque, sur tous les continents, on mariait les femmes sans leur consentement. Cela faisait l’affaire des parents et des hommes. L’Occident porte souvent un regard biaisé sur les autres cultures et oublie qu’il est passé par tout un processus pour arriver à la modernité. Il faut laisser le temps aux autres de digérer les changements. Il y a des femmes que la polygamie arrange. D’autres aimeraient avoir leur homme à elles seules. Comme l’a dit Albert Jacquard, avec la globalisation, des gens qui ne savaient pas qu’ils souffraient souffrent aujourd’hui. Il faut donner aux femmes une information objective et leur laisser le libre choix.

Et vous, pourquoi avez-vous choisi la monogamie ?

La polygamie ne cadre pas avec ce que je suis, les études que j’ai faites, mon style de vie plutôt occidental. Même lorsque je vivais au Sénégal, je me sentais l’homme d’une seule femme. Mais il ne faut jamais dire jamais…