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Accros au bistouri

Accumuler les chirurgies esthétiques peut dénoter un mal sournois : la dysmorphophobie, un trouble mental qui mène à l’obsession.

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Accumuler les chirurgies esthétiques peut dénoter un mal sournois : la dysmorphophobie, un trouble mental qui mène à l’obsession. Augmentation mammaire, lifting, liposuccion : les techniques de remodelage du corps se multiplient. Aux États-Unis, des émissions comme Extreme Makeover en font la promotion. Dans certains pays, comme au Brésil ou au Venezuela, il n’est pas rare que des jeunes filles reçoivent une chirurgie mammaire en cadeau d’anniversaire. Ce qu’on ignore, c’est que certaines développent une dépendance au bistouri. Spécialiste de la chirurgie plastique à Montréal, la Dre Johanne Pelletier affirme avoir reçu en consultation des personnes ayant subi une vingtaine d’interventions ! « Nous ne recherchons pas ces patients, car nous savons qu’ils ne seront jamais satisfaits, affirme-t-elle. Nous essayons plutôt de les orienter vers des services psychologiques. » En fait, ces patients (souvent des patientes) souffrent probablement de dysmorphophobie, un trouble inclus dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, la bible nord-américaine de la psychiatrie. Ce trouble mental, qui s’apparente au trouble obsessif-compulsif, conduit ses victimes à entretenir une préoccupation excessive pour un léger défaut corporel, même imaginaire. Littéralement obsédées par une cuisse de cheval proéminente, par des seins trop petits — ou trop gros — ou par une paupière tombante, ces personnes ne manquent aucune occasion de se regarder dans le miroir, pensent continuellement à leur « tare » et en viennent à se retirer de la vie sociale par peur du regard des autres. Décrite pour la première fois par le psychiatre génois Enrico Morselli en , cette condition ne date pas d’hier. Selon Ariel Stravynski, professeur de psychologie clinique à l’Université de Montréal, « seule une minorité des patients atteints de dysmorphophobie font appel à la chirurgie ». Il n’empêche que ces gens peuvent se mettre à consulter des plasticiens de façon compulsive. « Une personne bien dans sa peau se sentira plus belle, en principe, après une intervention visant à améliorer son apparence. Pas les personnes dysmorphophobiques. C’est pourquoi les chirurgiens devraient refuser de les opérer. » Les émissions telles que S.O.S. Beauté ne font rien pour calmer les obsessions des victimes. Mais ce ne sont pas les médias qui causent le problème, précise Stravynski. « Ce trouble, qui apparaît généralement à l’adolescence, est lié au processus de développement et est plutôt de nature individuelle. Évidemment, la pression sociale intensifie cette préoccupation pour la beauté. » Dans la population en général, les articles sur les starlettes qui sont passées sous le bistouri et les émissions consacrées à la chirurgie esthétique ont une nette influence sur la demande. La chirurgienne Johanne Pelletier le confirme : la clientèle n’a pas cessé de croître au cours des dernières années. Et avec la panoplie d’interventions qui sont offertes aujourd’hui, « il n’est pas rare qu’une cliente qui a déjà fait l’expérience d’une chirurgie se décide à en subir une deuxième, puis une troisième », dit-elle. Combien de Québécoises sont passées sous le bistouri ? On l’ignore. Contrairement aux États-Unis, où des statistiques sont compilées sur le nombre et le type de chirurgies esthétiques pratiquées, le Québec ne dispose d’aucune donnée sur ces questions. Ni sur les conséquences à court et à long terme de ces interventions. Pour remédier à cette situation, le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes mène un sondage qui permettra de mieux cerner l’ampleur du phénomène. Ce sondage fait partie d’une campagne nationale sur l’image corporelle visant entre autres à sensibiliser les femmes aux dangers de la chirurgie esthétique. Avoir des implants mammaires est associé à un risque accru de se suicider. C’est ce que révèle une étude, récemment publiée dans l’American Journal of Epidemiology, qui a permis de suivre 24 500 femmes pendant 15 ans. En effet, les chercheurs ont constaté que les femmes qui ont eu une chirurgie des seins pour des raisons esthétiques présentent un taux de suicide 73 % plus élevé que celui de la population en général. Ce taux se situe à 55 % dans le cas des femmes passées sous le bistouri pour une chirurgie plastique autre que l’implantation mammaire. Selon Jacques Brisson et Louis Latulippe, deux chercheurs de la Faculté de médecine de l’Université Laval qui ont participé à l’étude, ces résultats rappellent que les chirurgiens devraient toujours porter attention aux raisons pour lesquelles leurs patientes veulent recourir à une opération. « Si ces motivations reflètent des problèmes que ne peut résoudre la chirurgie plastique, souligne le Dr Brisson, les médecins devraient diriger ces patientes vers des personnes qui peuvent les aider sur le plan psychologique. » Nuance importante : malgré leur risque accru de suicide, ces femmes affichent un taux de mortalité moins élevé que la moyenne. D’abord, elles doivent être en bonne santé pour subir une chirurgie esthétique. Ensuite, elles proviennent généralement de milieux socioéconomiques favorisés, un facteur de longévité.