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Porno ravageuse

Dans les 15 dernières années, la pornographie a complètement les mœurs sexuelles et les fantasmes… Aujourd’hui à l’aube de la trentaine, les premières « victimes » en ont encore gros sur le cœur.

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Dans les 15 dernières années, la pornographie a complètement les mœurs sexuelles et les fantasmes… Aujourd’hui à l’aube de la trentaine, les premières « victimes » en ont encore gros sur le cœur. Magalie s’est étouffée avec le sperme d’un garçon à qui elle faisait une fellation. Sarah en a eu plein le visage lorsque son partenaire a délibérément éjaculé sur elle. Émilie a fait un trip à trois avec le chum de sa meilleure amie, qu’elle a perdue. Sophie et Isabelle n’ont pas oublié la fois que leur chum les a sodomisées « à sec ». Aujourd’hui âgées de 25 à 30 ans, ces jeunes femmes confessent avoir eu du mal à se réconcilier avec la sexualité de leur adolescence. Sont-elles les premières victimes de la banalisation de la pornographie ?
« Oui, probablement, puisque depuis environ 15 ans, la pornographie est devenue le modèle sexuel dominant, omniprésent, oppressant et… normalisé et banalisé, répond Jocelyne Robert, sexologue et auteure de plusieurs livres dont Le Sexe en mal d’amour, publié en . J’ai toujours travaillé avec des adolescents et des adultes de plus de 40 ans, mais depuis un certain temps, je suis sollicitée par les adultes de cette tranche d’âge, contaminés par l’invasion porno. »
Des jeunes couples qui ont du mal à s’engager, des hommes de 28 ans qui ne peuvent plus avoir une érection sans faire appel à des images pornographiques, des femmes qui font difficilement confiance à leur partenaire quand vient le temps de passer sous la couette : tout cela est lié à l’intoxication par la pornographie, selon Jocelyne Robert. « Pour traverser le temps et s’inscrire dans une histoire, le désir doit s’alimenter de la fascination qu’une personne exerce sur une autre. Avec un modèle sexuel mettant en situation des femmes-objets ou instruments au service d’un homme-machine, il est peu surprenant que les relations humaines, de sujet à sujet, soient difficiles, voire inexistantes », déplore-t-elle. Les jeunes adultes d’aujourd’hui seraient donc les premiers modèles produits par la société hyper pornographique. Des prototypes, en quelque sorte. Les premiers à s’être installés devant la télé ou l’ordi, à n’importe quelle heure du jour, un sac de popcorn dans une main et une boîte de mouchoirs dans l’autre, pour visionner des films XXX. « C’est pire que jamais ! » s’indigne la sexologue Andrée Matteau, auteure du livre Dans la cage du lapin. De la porno graphie à l’érotisme, publié en . D’après elle, les premiers impacts de la consommation de pornographie remontent à la parution du premier magazine Playboy en . Dès lors, les femmes se sont vues contraintes de répondre aux désirs sexuels des hommes fabriqués par la pornographie. « C’est vrai depuis les calendriers de filles toutes nues dans les garages », illustre-t-elle. Aujourd’hui âgée de 73 ans, Andrée Matteau est la première Québécoise à avoir exercé le métier de sexologue. Au cours de sa carrière, elle a vivement dénoncé les effets de la porno graphie sur la violence sexuelle et conjugale subie par les femmes. Elle a aussi reçu dans son cabinet de nombreux couples aux prises avec des problèmes d’ordre sexuel et émotif très souvent liés, selon elle, à l’influence qu’a la porno dans leur vie. « J’ai reçu un homme qui voulait divorcer parce que sa femme n’avait pas d’assez gros seins. J’ai essayé de lui expliquer qu’il y avait d’autres formes de sexualité, rien à faire. Quand je lui ai demandé comment il avait fait son éducation sexuelle, il a répondu : “En regardant de la pornographie.” »

Sexualité précoce et porno : un lien pervers

Rencontrée lors d’un colloque sur la pornographie contemporaine tenu à l’Université d’Ottawa le , Sophie, 27 ans, s’inquiète. La généralisation de la consommation de pornographie chez un public de plus en plus jeune et maintenant composé de filles lui fait réaliser qu’elle aussi en a été victime. « Je savais que mon chum de l’époque regardait des films pornos de temps en temps, mais je n’avais pas pensé, jusqu’à aujourd’hui, que c’est de là que venaient probablement ses idées. Il voulait introduire des objets dans mon vagin, comme des cubes de glace, des bibelots et même, une fois, un popsicle ! Laissez-moi vous dire qu’aujourd’hui, pour moi, c’est le missionnaire ou rien ! » lance la participante à la blague. Consommation de pornographie, hypersexualisation et sexualité précoce sont-elles liées ? Pour le sociologue Richard Poulin, organisateur du colloque, le lien est évident, mais pas suffisamment dénoncé. « Certains commencent à le faire, mais il faut être convaincant ! » estime le professeur qui se dit incapable, à cause du lobby pro-travail du sexe, d’obtenir des subventions pour mener des recherches sur la pornographie. Une de ses étudiantes à la maîtrise, Mélanie Claude, a toutefois réalisé une enquête auprès de 213 universitaires âgés en moyenne de 22 ans. Elle a découvert que, chez ces répondantes et ces répondants, l’âge moyen de la première consommation de pornographie était de 12 ans chez les hommes et de 13 ans chez les femmes. Plus du quart ont affirmé consommer régulièrement. Presque la moitié trouvent dans la pornographie de quoi alimenter leur imaginaire sexuel et un peu moins y puisent des idées « à essayer à la maison ». Sexe en groupe, échange de partenaires, sodomie, sexe avec un ou plusieurs objets sont des pratiques directement liées à la consommation de pornographie, toujours selon l’étude de Mélanie Claude. Les personnes interrogées qui ont consommé leurs premières images avant l’âge de 14 ans sont plus susceptibles de pratiquer la sodomie et le sexe avec objets, sans compter qu’elles ont un éventail plus large de pratiques sexuelles. « Les psychiatres sont assez clairs là-dessus : lorsque l’on consomme très jeune, il y a un grand risque de cristallisation des fantasmes tirés de la porno. Cela veut dire qu’il est pratiquement impossible de vous en débarrasser : ils sont imprimés définitivement dans le cerveau. Cela a donc des impacts majeurs chez les jeunes », explique Richard Poulin. Faudrait-il partir en croisade contre l’industrie du sexe ? Certainement, répond le sociologue. Les sexologues Jocelyne Robert et Andrée Matteau préconisent aussi une meilleure éducation à la sexualité, dénonçant au passage l’abolition des cours offerts dans les écoles. Pour Sarah, 28 ans, qui confie avoir cédé, lorsqu’elle était plus jeune, aux pressions de certains de ses petits amis pour « faire des pipes » ou « se faire éjaculer dans la face », l’heure est grave. « Avant de me sentir à l’aise avec un gars et de ne plus craindre de me faire imposer des choses que je ne voulais pas, ça a pris un petit moment. J’imagine les jeunes filles d’aujourd’hui à qui on demande d’avoir des relations sexuelles à plusieurs ou des pénétrations dans tous les “trous”, comme ils disent… Je trouve ça terrifiant ! » Peut-être que finalement, ce sont elles, ces jeunes femmes à l’aube de la maternité, qui réussiront le mieux à dénoncer ce qu’elles ont subi. Aux aguets à , elles intercepteront leurs ados qui, boîte de mouchoirs en main, se dirigeront vers le téléviseur ou l’ordinateur… Quitte à regarder le film en leur compagnie, question de leur expliquer que ce n’est pas ça, la vraie vie !