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En arrière toutes!

Avant son élection, le Parti conservateur du Canada avait promis de mieux faire respecter les droits des femmes. Pourquoi ses politiques vont-elles en sens inverse ?

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Avant son élection, le Parti conservateur du Canada avait promis de mieux faire respecter les droits des femmes. Pourquoi ses politiques vont-elles en sens inverse ?

Stephen Harper apprécie les femmes. La preuve : chaque fois qu’il arrive à la Chambre des communes pour la période des questions, c’est presque toujours en compagnie de sa secrétaire parlementaire, Sylvie Boucher. Il invite rarement la députée de Beauport-Limoilou aux réunions stratégiques tenues dans son bureau; il la laisse attendre à la porte. Mais il aime bien descendre l’escalier avec elle devant les caméras de télévision.

Cette anecdote, relatée par l’analyste politique Manon Cornellier dans Le Devoir, en dit long sur la vision de l’égalité des sexes à Ottawa. Depuis son assermentation, le 6 février 2006, le premier ministre a adopté plusieurs mesures hasardeuses pour les Canadiennes. Séparément, elles peuvent passer pour des décisions mineures, motivées par des principes de saine gestion. Ensemble, elles dessinent une tendance inquiétante quant à l’attitude du gouvernement envers ses citoyennes.

Pendant sa campagne, le chef des conservateurs avait pourtant juré de s’attaquer aux iniquités de genre qui persistent. « Si je suis élu, je prendrai des mesures concrètes et immédiates, tel que recommandé par les Nations Unies, pour m’assurer que le Canada respecte entièrement ses engagements envers les femmes », avait-il promis le 18 janvier.

Aux dernières élections, le Parti conservateur a présenté 38 candidates féminines sur 308, contre 79 pour le Parti libéral et 108 pour le Nouveau Parti démocratique. Le cabinet actuel ne compte que six députées, la plupart cantonnées à un rôle mineur.

  1. Annuler le plan fédéral de garderies

    « Nous pensions que la situation ne pouvait pas être pire… jusqu’à ce que Harper arrive. » Marlo Shinwei, cofondatrice du mouvement féministe The Women Are Angry (« Les femmes sont en colère »), à Halifax, en a marre. Chez elle, en Nouvelle-Écosse, une place en garderie coûte maintenant 600 $ par mois, et le délai d’attente peut excéder deux ans. La déduction fiscale pour frais de garde ne suffit pas. « Quand on doit débourser 1 200 $ pour deux enfants, ça ne vaut plus la peine que la femme aille travailler. Le message est clair : restez au foyer ! »

    Deux mois. C’est le temps que Stephen Harper a mis pour jeter aux poubelles le plan fédéral de garderies élaboré par le précédent gouvernement — et avec lui, des décennies de revendications féministes. Les libéraux avaient promis cinq milliards de dollars sur cinq ans pour créer 100 000 nouvelles places en garderie. Le 31 mars, les conservateurs ont annoncé qu’ils verseraient plutôt une prestation annuelle de 1 200 $ aux parents d’enfant de moins de 6 ans. Depuis, la croissance des garderies est laissée aux bons soins des citoyens (employeurs, organismes, groupes religieux), que le gouvernement croit stimuler en distribuant chaque année 250 millions de dollars en prêts et en crédits fiscaux. Une approche déjà testée en Ontario et rejetée pour son inefficacité — notamment par le Québec, qui possède son propre réseau.

    De toutes les Canadiennes qui élèvent un enfant de moins de 6 ans, 72 % conjuguent famille et travail. La politique fédérale a donc durement frappé les travailleuses, surtout dans les provinces qui ne soutiennent pas les services de garde. Et cela, au moment même où le Canada fait face à une grave pénurie de main-d’œuvre !

    Si l’allocation directe de 1 200 $ a plu à de nombreux parents, elle est loin de couvrir les frais de garde d’un petit. La ponction des taxes fédérale et provinciale fait souvent fondre le montant de moitié. Il en reste peu — surtout dans les poches des mères seules… Pour un revenu familial de 40 000 $, par exemple, un couple encaisserait 697 $, contre 567 $ pour un parent célibataire. Ce bonus « pro-famille » se révèle inéquitable envers tous les chefs de famille monoparentale dont le revenu excède 28 000 $.

  2. Réduire Condition féminine Canada

    Le 25 septembre, Stephen Harper mettait la hache dans Condition féminine Canada. L’organisme dédié à l’égalité entre les sexes perd cinq millions de dollars par an, soit 40 % de son budget de fonctionnement. Le nombre d’employées passe de 131 à 70. Douze des 16 bureaux disparaissent, sauf ceux de Moncton, Montréal, Ottawa et Edmonton.

    « C’est un massacre ! Trente ans d’expertise en condition féminine partent en fumée », s’insurge Charlotte Thibault, responsable bénévole des relations gouvernementales à l’Alliance canadienne féministe pour l’action internationale. Condition féminine Canada guidait notamment les ministères fédéraux dans leurs études d’analyse comparative entre les sexes et conseillait des organismes internationaux, telles les Nations Unies. Faute de moyens, ses forces vives iront désormais à gérer les subventions aux groupes de femmes.

    Le Programme de promotion de la femme, qui verse 10,8 millions de dollars par an aux groupes féministes, n’est pas touché. Enfin, pas financièrement. Mais les règles d’attribution des subventions ont changé. Depuis septembre, les sommes peuvent aller à une entreprise (disons, pour hausser son taux de cadres féminins) ou à un groupe religieux (pour encourager la spiritualité). En revanche, tout organisme qui mène des recherches sur la condition féminine ou qui promeut des lois plus égalitaires est exclu. Explication officielle : le gouvernement préfère investir dans l’aide directe aux femmes.

    À Ottawa, l’Association nationale de la femme et du droit, qui analyse l’impact des lois canadiennes sur la vie des femmes, a obtenu de chaude lutte un sursis d’un an. Après, elle devra s’autofinancer — une mission quasi impossible. La Fédération des femmes du Québec, elle, risque environ 20 % de son budget.

    « On peut s’attendre à ce que plusieurs organismes ferment leurs portes dans les années à venir, estime Charlotte Thibault. Ça ne fera pas tomber le mouvement des femmes au Québec, mais ça le fragilise. Le mouvement canadien est dans une situation plus critique. » Faute de soutien de leur province, certains collectifs se finançaient jusqu’à 98 % par le fédéral.

    La cerise sur le gâteau : toute référence à l’égalité des sexes a disparu du mandat de Condition féminine Canada, lequel se contente maintenant de « faciliter la participation des femmes à la société canadienne »…

  3. Abolir le programme de contestation judiciaire

    Pour 5,6 millions de dollars par an, le Programme de contestation judiciaire permettait à des minorités (homosexuels, autochtones, etc.) de s’assurer que la loi respecte bien leur droit à l’égalité. C’est ainsi que le Women’s Legal Education and Action Fund, qui vise à améliorer la condition féminine par des réformes législatives, a fait reconnaître l’impact des mythes sexistes dans les procès pour agression sexuelle. Dans le cas Ewanchuk, un accusé prétendait que l’habillement d’une femme peut indiquer si elle consent à coucher avec son employeur. La Cour suprême a rejeté l’argument. Ce programme efficace, qui a aussi servi à statuer sur le droit à l’équité salariale, a disparu le 25 septembre.

  4. Enterrer l’équité salariale

    « Harper me doit 29 ¢ ! » C’est le slogan martelé par le nouveau mouvement féministe The Women Are Angry, fondé par cinq Néo-Écossaises. Selon Statistique Canada, les femmes gagnent 71 ¢ pour chaque dollar obtenu par les hommes. Le refus du gouvernement fédéral de garantir l’équité salariale, contrairement au Québec et à d’autres provinces, a fait monter la moutarde au nez des fondatrices du groupe. « Vu les chiffres, il est assez scandaleux que Harper considère l’égalité atteinte », s’indigne Marlo Shinwei.

    Parmi les 29 pays les plus industrialisés, le Canada traîne au 25e rang quant à l’écart salarial entre les sexes, devant l’Espagne, le Portugal, le Japon et la Corée. Son laisser-aller lui a valu des réprimandes du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes des Nations Unies, en 2003.

    Il n’est pas dit que les libéraux auraient entamé les procédures, complexes et onéreuses, pour corriger cette injustice. Les conservateurs portent néanmoins l’odieux d’avoir dit non, le 18 septembre. « Je ne veux pas dire que les gouvernements précédents en avaient fait assez pour les femmes, précise Marlo Shinwei. Mais Harper nous ramène en arrière. »

  5. Récompenser les couples traditionnels

    Dès 2007, les couples retraités pourront fractionner leurs revenus de pension aux fins d’impôt. C’est ce qu’a décrété le ministre des Finances, Jim Flaherty, le 31 octobre.

    Cette réforme fiscale — ne bâillez pas ! — permet au conjoint plus aisé de verser une partie de ses revenus de pension dans la déclaration de l’autre, donc de baisser d’échelon d’imposition. Pour un couple dont les avoirs sont inégalement répartis, les économies sont réelles. Prenez Maurice et Gisèle, qui touchent 40 000 $ par an (juste en revenus de pension) : ils paieront 5 507 $ en impôt si Maurice déclare la somme entière et seulement 2 832 $ si Gisèle en prend la moitié.

    De prime abord, cette mesure semble favoriser les aînées. En effet, de nombreuses retraitées n’ont que peu ou jamais travaillé. Elles n’ont donc pas de fonds de pension. L’argent économisé en impôt peut bonifier leur quotidien. À condition, toutefois, que l’époux partage ses billets aussi également dans la vie que sur papier. Et que l’épouse ne doive pas acquitter elle-même les impôts sur la somme versée par son mari, qui gonfle artificiellement son revenu. Notons aussi que cette mesure n’aide en rien les 43 % de femmes âgées qui vivent seules, et qui comptent parmi les plus démunies.

    Le danger, c’est que cette mesure soit étendue aux couples d’âge actif et à tous leurs revenus. Ce à quoi songerait actuellement Jim Flaherty. « C’est un des éléments que nous considérons en préparant notre budget 2007, confiait-il au journal Le Devoir en novembre. Cette mesure soutient les familles. » Précisons : les familles traditionnelles, où l’un des époux (devinez lequel) gagne l’essentiel du revenu de la maisonnée ! Pour permettre à Maxime d’épargner, Julie pourrait bien décider de moins travailler, voire de quitter son emploi. Surtout que sa contribution au marché du travail lui coûte cher en frais de garde, de transport, de nourriture, etc. Une telle réforme n’encouragerait guère les couples à se partager également la carrière et la vie domestique.