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Implants « réchauffés »

Santé Canada a levé le moratoire sur les implants mammaires au gel de silicone. Sont-ils moins dangereux qu’avant ?

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Santé Canada a levé le moratoire sur les implants mammaires au gel de silicone. Sont-ils moins dangereux qu’avant ? Pierre Blais a été conseiller scientifique principal à Santé Canada jusqu’en 1990. À ce titre, il a analysé des milliers d’implants mammaires. À la suite de ses recommandations, les implants au gel de silicone furent retirés du marché en 1992. Le spécialiste a cependant quitté le ministère, en désaccord avec ses nouvelles politiques, à son avis moins soucieuses de la protection des patients. Aujourd’hui, Pierre Blais est consultant privé et président de Innoval Failure Analysis, son entreprise de Toronto spécialisée dans l’analyse des produits médicaux.

En octobre dernier, Santé Canada a levé le moratoire sur les implants au silicone. Ceux vendus aujourd’hui sont-ils différents de ceux interdits en 1992 ?

Absolument pas ! Les mêmes brevets sont toujours utilisés pour produire ces implants « réchauffés ». Leur qualité de fabrication est identique à celle des années 1970. Bien qu’on ait désormais des implants au gel « cohésif », cela veut juste dire qu’il durcit plus vite que les précédents gels de silicone. Les prothèses mammaires vendues actuellement sont aussi dangereuses qu’avant. Nous en analysons tous les jours et elles causent des problèmes similaires. Elles se brisent, durcissent, provoquent des douleurs ou se détériorent au point que le gel de silicone peut se répandre dans l’organisme. En moyenne, une porteuse devra changer trois fois d’implants en 20 ans, et chaque fois, le nouvel implant se détériore plus vite.

Le ministère fédéral s’est pourtant appuyé sur 2 500 articles scientifiques pour rendre son verdict.

Le comité chargé de conseiller le ministre a fait une revue d’information technique à partir d’une majorité de vieilles études qu’on connaissait déjà. Très peu de nouvelles études ont été présentées. Il est difficile de prouver que les implants provoquent des maladies systémiques impliquant le système immunitaire, ou le cancer. Mais la plupart des effets locaux sur la santé sont bien connus (rupture, infection, douleur). D’ailleurs, le site Internet de Santé Canada indique les complications qui peuvent survenir et on sait qu’elles existent dans 50 % des cas.

Est-ce que cela change vraiment quelque chose à la situation, puisque des milliers de femmes ont obtenu une dérogation pour se faire poser des implants au silicone pendant le moratoire ?

Il est vrai que le Programme d’accès spécial de Santé Canada a permis d’offrir des prothèses à 24 000 personnes depuis 1993. Mais au moins il obligeait les médecins à mettre leurs patientes en garde et à les prévenir que les implants n’étaient pas officiellement approuvés. Certaines s’en méfiaient davantage. La décision du ministère ouvre la porte à une promotion sans borne. Parmi les femmes qui ont des implants, moins de 6 % y ont eu recours à la suite d’un cancer du sein. La majorité en réclame pour des raisons esthétiques. Je m’attends à ce que les ventes de prothèses augmentent ainsi que le nombre de patientes affectées par les problèmes.

Les compagnies devront tout de même instituer un suivi sur 10 ans pour rendre compte des complications chez leurs patientes. Qu’en pensez-vous ?

Je n’y crois pas. Déjà aux États-Unis, où la réglementation est plus sévère, près d’une patiente sur quatre est perdue de vue dans les trois ans suivant la chirurgie. Comment peut-on juger de la qualité d’un produit à long terme quand on en perd la trace ? Alors 10 ans, c’est une exigence de nature cosmétique. Santé Canada n’a pas le personnel suffisant pour vérifier que les entreprises vont respecter les conditions qui leur sont imposées.

Les instances publiques affirment que les femmes prennent leur décision en connaissance de cause…

Les implants mammaires sont régis par la Loi sur les aliments et drogues. En principe, la Loi garantit la sécurité des produits. Or, rien n’a vraiment changé depuis 1992. La décision de Santé Canada est incompréhensible. Ce qu’on demande aux femmes maintenant, c’est d’accepter que les prothèses — classées « à risque élevé » — puissent nuire à leur santé pour le reste de leur vie.