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Parole donnée

Elles n’avaient jamais écrit. L’artiste Diane Trépanière leur a mis un crayon entre les mains. L’aventure s’est avérée un puissant exorcisme.

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Elles n’avaient jamais écrit. L’artiste Diane Trépanière leur a mis un crayon entre les mains. L’aventure s’est avérée un puissant exorcisme. « Je ne suis pas une écrivaine, je suis une femme qui aime donner la parole », précise d’emblée Diane Trépanière, photographe et militante engagée dans plusieurs causes. L’envie d’écrire sur les femmes lui est venue en 2003, alors que les travailleuses des maisons d’hébergement entraient en grève pour obtenir de meilleures conditions salariales. L’artiste a alors fait le tour du Québec pour recueillir des témoignages d’intervenantes, qu’elle a réunis dans Des pas sur l’ombre, un livre paru aux Éditions du remue-ménage en 2004. Trois ans plus tard, la directrice artistique de l’organisme culturel Les Filles électriques, D. Kimm, l’invitait à participer au projet Les mots appartiennent à tous, qui incite des gens de divers horizons à prendre la plume. Sa mission : animer des ateliers d’écriture dans une maison d’hébergement pour femmes. Certains textes seraient ensuite rassemblés en un livre. L’Arrêt-Source, un centre de la région de Montréal qui accueille des filles de 18 à 30 ans, s’est vite imposé : 2006 marquait son 20e anniversaire et la directrice voulait souligner l’évènement. C’est ainsi qu’a débuté l’aventure d’Écrire et sans pitié, ouvrage collectif dont le titre est extrait d’un poème de Roxanne, une des participantes. En tout, 26 femmes ont signé un texte du recueil : résidantes — actuelles et anciennes —, intervenantes, stagiaires, et même la directrice de L’Arrêt- Source. Les ateliers d’écriture se sont échelonnés sur six mois, réunions bouleversantes où les femmes partageaient leurs épreuves tout en découvrant leurs aptitudes à jouer avec les mots. Invitées à lire leurs textes à la fin de chaque séance, « les participantes avaient du plaisir à entendre les autres et à se faire entendre. Ça les faisait exister à leurs propres yeux. Elles s’étonnaient même souvent de leur talent », souligne fièrement Diane Trépanière. Bon nombre de textes d’Écrire et sans pitié prennent la forme de poèmes. Certains tiennent de l’exhortation au combat ou de l’ode à la vie. Pour quelques auteures, l’écriture est une occasion de formuler un vœu. Plusieurs impriment leurs blessures dans le papier, espérant sans doute les y laisser. Pour d’autres enfin, écrire est un appel d’air, une porte de sortie vers un autre univers où elles s’engouffrent avec voracité. « Pour la première fois/ Je découvre que mon cœur est capable d’amour/Que mon cœur aime/Plus qu’il ne désire être aimé », écrit Karine, une ancienne résidante. La mise en page épurée fait aussi place à des photographies, sortes d’« autoportrait symbolique » de chacune des participantes (celles-ci devant conserver l’anonymat). Ici et là, des pages manuscrites, parfois balafrées de ratures. Sur la tranche du livre, des lignes bleutées comme sur un cahier d’école. Si Diane Trépanière a donné la parole aux auteures du recueil, ce n’était pas seulement pour dire la douleur du passé, mais aussi pour inventer des mondes nouveaux. Pour surmonter la difficile réalité en explorant d’autres possibilités. « L’imagination est une forme de résistance, note-t-elle. L’art est une énergie active, à l’opposé de la mort. Et le fait de produire un livre nous inscrit dans l’histoire. C’est différent de garder ses cahiers pour soi. » Car il ne suffit pas d’écrire : il faut s’assurer d’être lue, d’être entendue. Telle est l’essence du projet Écrire et sans pitié : donner la parole aux femmes, pour qu’en la libérant, elles s’émancipent.