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Chacun pour soi

Suzie, le nouveau film de Micheline Lanctôt, arrive sur nos écrans, abordant sans tabou mais avec beaucoup de sensibilité le mal du siècle : notre difficulté à communiquer.

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Suzie, le nouveau film de Micheline Lanctôt, arrive sur nos écrans, abordant sans tabou mais avec beaucoup de sensibilité le mal du siècle : notre difficulté à communiquer. Rencontre avec sa réalisatrice, une femme volontaire et déterminée qui n’a vraiment pas la langue dans sa poche. À sa seule poignée de main, on le sent : Micheline Lanctôt est une femme de caractère. Rien ne semble lui faire peur. Que ce soit dans ses paroles ou dans ses films, la cinéaste et actrice a toujours fait preuve d’un franc-parler et d’une audace rares dans un paysage culturel au conformisme parfois démoralisant. Son nouveau-né, Suzie, qui relate l’histoire d’une chauffeuse de taxi (qu’elle joue) aux prises avec un petit garçon autiste abandonné par ses parents un soir d’Halloween, ne fait pas exception. Dur, audacieux et vivant, il est à l’image de sa réalisatrice.

Comment est née l’histoire de Suzie ?

D’abord de mon désir de jouer. J’ai passé un certain âge et, depuis quatre ans, je ne travaille plus comme actrice. C’est très difficile pour les femmes de plus de 60 ans d’avoir accès à des personnages à part entière, pas juste des grands-mères. Notamment à la télévision, avec l’avènement de la haute définition. Comme si on arrêtait brutalement d’être séduisantes ou dynamiques après 40 ans ! La culture du jeunisme, dans ce milieu, est très nocive. Pour moi, il est très important que les films mettent en scène des modèles de femmes différents. J’ai écrit Suzie dans cet état d’esprit, en inventant un personnage de mon âge, brisé par la vie et paumé. Le reste de l’histoire s’est ensuite imposé très vite. C’est une histoire très linéaire que j’ai gardée la plus simple possible pour coller à ce que je voulais : un fi lm très intime, très proche de la vie et des personnages, sans effets spectaculaires.

Le rôle de Suzie est très difficile. Vous l’avez écrit, mais pouvez-vous comprendre ce personnage ?

Oh oui ! Suzie est issue de mon expérience. En apparence, elle est bourrue et refuse le contact avec les autres parce qu’elle souffre trop, et ça, je connais (rires). C’est ma façon de me défendre. Elle est une survivante. Même si je n’ai pas vécu sa vie, c’est un genre de personnage très proche de moi. Quant à l’enfant, il a les mêmes traits de caractère que Suzie. Je n’ai pas voulu parler de son autisme en particulier, mais l’utiliser comme une métaphore du monde d’aujourd’hui. Ces deux personnages représentent le déficit de communication, l’impossibilité d’entrer en relation avec les autres, le repli sur soi. Ils portent également ce qui était essentiel pour moi : le refus de la sentimentalité. Ils ne sont ni sympathiques ni attachants et m’ont permis, j’espère, d’approcher une part de vérité. Jean Renoir disait : « Ne soyons pas sentimentaux, soyons vrais. » C’est une règle pour moi.

Le film brise également plusieurs tabous quant à la représentation traditionnelle de la mère au cinéma…

Après Le Piège d’Issoudun, qui évoquait le suicide d’une femme avec ses enfants, j’ai encore une fois voulu régler mes comptes avec la maternité. C’est une question dont on ne parle pas, sinon avec un sentimentalisme très loin de la vérité, incarné par exemple par l’image de la « maman tarte aux pommes ». Pourtant, la maternité peut être très difficile à vivre. J’ai eu de très beaux moments avec mes enfants, mais j’ai trouvé ça très dur et je ne suis pas la seule. C’est important de rappeler qu’on passe toutes par là. Je me souviens que, quelques jours après son accouchement, ma fille m’a appelée, paniquée, en me disant : « Maman, j’ai le goût de jeter mon bébé par la fenêtre ! C’est normal ? » Et je lui ai répondu : « Ma fille, tu es sauvée. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que tu te dis ça. Ça va arriver au moins 150 fois, mais dis-le. » Il faut le dire. Moi, je l’ai pensé, mais j’avais trop honte. Tellement de femmes sont coincées par leur milieu, leur éducation ou leur conscience qu’elles n’arrivent pas à avouer leur détresse. Alors qu’en parler, communiquer, c’est déjà un premier pas vers la solution. C’est certain que la société dans laquelle on vit n’aide pas à faire ce genre d’aveux. L’accent est mis sur la performance et rien, ou presque, n’est fait pour aider à diminuer le stress des familles. La pression mise sur les parents est effrayante. En France, il existe des tarifs familiaux préférentiels, des crèches dans les entreprises, sans compter que tout le monde a un mois et demi de vacances par année… Comment se fait-il qu’ici, dans notre société dite évoluée, ça n’existe pas ? Les enfants et les familles sont une richesse sociale. La société doit prendre ses responsabilités, elle aussi.

Pensez-vous maintenant avoir réglé vos comptes avec la maternité, comme vous dites ?

Peut-être. Une chose est sûre, mon prochain projet ne traite pas du tout de ce sujet. Je suis en train de finir un scénario dont je suis très fi ère. C’est un très beau projet, original et encore une fois autobiographique, qui relate l’histoire d’un triangle amoureux entre une petite fille de 12 ans, une religieuse et un père dominicain en 1958. Pour l’écrire, j’ai relu le missel; j’ai été frappée par la force et la beauté du langage liturgique. Mon scénario en est empreint et vise à faire ressortir la grandeur des religieux, dont la sérénité et le courage me semblent aussi admirables que fascinants. Au Québec, concernant la religion, on a jeté le bébé avec l’eau du bain, alors qu’on aurait pu en garder les aspects plus lumineux. J’aimerais vraiment que ce soit mon prochain film.

Après Sonatine en 1983 et Deux Actrices en 1993, vous retrouvez Pascale Bussières dans Suzie. Quel lien entretenez-vous avec cette actrice ?

Honnêtement, chaque fois que j’écris un film, la première personne à laquelle je pense, c’est elle. De plus, juste avant que je n’écrive Suzie, nous venions de jouer ensemble pour la première fois dans la série Belle-Baie. Cette expérience et la complicité rare qu’on a eue sur le plateau m’ont tellement émue que j’ai eu envie de recommencer. Pour mon plus grand bonheur, elle a accepté de jouer le rôle de Vivianne, la mère du petit autiste. Pascale, c’est vraiment une nature. Même à 13 ans et demi, dans Sonatine, il était évident qu’elle était faite pour ce métier. En plus, c’est une belle fille. Elle rend tout le monde jaloux : elle est belle, fi ne, intelligente, drôle ! Et elle a cette photogénie extraordinaire qu’ont toutes les grandes actrices, comme Juliette Binoche ou Geneviève Bujold. La caméra l’adore. Pourquoi je me priverais d’un tel talent ?