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Pas de pardon pour l’excision

Le Burkina Faso redouble d’efforts pour éradiquer les mutilations génitales féminines. Les exciseuses et leurs complices aboutissent maintenant en prison. Mais la lutte aux couteaux rouillés est loin d’être terminée…

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Le Burkina Faso redouble d’efforts pour éradiquer les mutilations génitales féminines. Les exciseuses et leurs complices aboutissent maintenant en prison. Mais la lutte aux couteaux rouillés est loin d’être terminée… À la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou, deux vieilles femmes sont assises dans un coin avec des vêtements trop grands, les mains sales et l’air piteux. Elles sont là à attendre, chacune avec son mari. Depuis plus d’une heure, personne n’a dit un mot. Personne n’a même levé les yeux du sol. La veille, les policiers de la gendarmerie ont arrêté le quatuor au village de Zibako, à une quinzaine de kilomètres au nord de la capitale. Sawadogo Zoundou, 73 ans, est soupçonnée d’avoir excisé une adolescente de 14 ans qui est morte d’une hémorragie quatre jours après l’intervention. Son mari et les parents de la victime étaient complices. Ils ont tous été embarqués. Au Burkina Faso, il n’y a plus de pitié à l’égard des exciseuses ! Depuis 1996, ce pays d’Afrique de l’Ouest s’est doté d’une loi pour réprimer l’excision. Elle impose des sanctions pénales à toute personne reconnue coupable d’atteinte à l’intégrité de l’organe génital de la femme. Et elle est appliquée avec une conviction croissante. Sawadogo risque donc une peine allant de six mois à trois ans de prison ferme. Dans son cas, la peine à purger pourrait atteindre de 5 à 10 ans puisque la jeune fille est morte des suites de ses blessures. Sawadogo ne réalise toujours pas les conséquences de son geste. Lorsqu’on lui demande, en moré, si elle savait que l’excision était criminelle, elle répond : « Oui. » — Alors, pourquoi l’avez-vous fait ? — C’est la tradition, parvient-elle à dire en se tournant les pouces. — Vous aviez déjà été avertie ? — Oui, mais je ne savais pas que j’allais être arrêtée. — Et vous, pourquoi avez-vous fait exciser votre fille ? — Parce que c’est la tradition, répond aussi la mère. À une quinzaine de kilomètres de là, dans un luxueux salon de la résidence présidentielle, la première dame du Burkina Faso s’insurge contre cette tradition qu’elle qualifie de « barbare ». Chantal Compaoré discute autour d’un café avec ses amies — Monique, Mouna et Salimata — du combat qui reste à mener pour abolir réellement l’excision. La femme du président Blaise Compaoré s’est personnellement engagée dans la longue bataille contre les mutilations génitales. Malgré les apparences, c’est une femme de terrain. Toujours bien maquillée et coiffée, vêtue de ses plus beaux boubous, elle n’hésite jamais à se rendre dans les villages pour informer les habitants des risques liés à l’excision et sensibiliser les chefs. « L’excision est un geste dégradant pour la femme, qui touche directement à sa féminité, et qui a de graves conséquences sur sa santé physique et psychologique, lance Chantal Compaoré. Il n’y a que l’éducation qui permettra d’enrayer cette pratique rétrograde ! » Pour faire bouger les choses, la première dame a toujours usé de son influence sur le gouvernement burkinabé ainsi que sur les bailleurs de fonds étrangers. Depuis le milieu des années 1990, elle a convaincu des États comme le Canada, le Danemark et les Pays-Bas de financer des campagnes de sensibilisation contre l’excision. Des activités ont été organisées pour les chefs coutumiers, les leaders religieux, les forces de l’ordre, les travailleurs de la santé, les exciseuses, les jeunes… Environ 6 des 15 millions de Burkinabés auraient été informés des risques liés aux mutilations génitales. Ce qui a permis à des milliers de fillettes d’éviter de passer sous le bistouri — ou, plutôt, sous le vieux rasoir rouillé. En effet, les chiffres indiquent une importante diminution du phénomène. Selon la plus récente étude de l’Organisation mondiale de la santé, au Burkina Faso, 75,4 % des femmes de plus de 20 ans sont excisées, contre 43,6 % des filles de 11 à 20 ans et 16,3 % des fillettes de 5 à 10 ans. Mais Chantal Compaoré n’est pas du genre à se réjouir trop vite. Depuis quelques mois, malheureusement, la pratique regagne de l’ampleur au Burkina Faso. « Nous avons fait beaucoup de progrès au pays, mais dès qu’il y a un relâchement en matière de sensibilisation, les excisions reprennent, déplore-t-elle. Nous ne pouvons pas nous permettre de baisser les bras tant et aussi longtemps qu’une seule fillette risque d’être excisée ! » En septembre 2007, une histoire a défrayé la chronique dans les médias africains et étrangers. Une vingtaine de filles âgées de 4 à 14 ans ont été opérées clandestinement dans trois villages de la commune de Pabré, à une vingtaine de kilomètres au nord d’Ouagadougou. Une adolescente de 14 ans est morte. Sept autres fillettes ont dû être hospitalisées pour infection. Dans ce pays, où environ 80 % des gens sont analphabètes et où seulement 15 % des filles fréquentent l’école, les traditions sont fortement enracinées. En 2007, les policiers de la gendarmerie sont intervenus 548 fois après avoir reçu un appel sur la ligne SOS Excision. « Nous nous rendons souvent dans les villages lorsque des rumeurs circulent à propos d’une fillette sur le point d’être excisée », raconte Mohamadi Ouedraogo, le gendarme qui répond aux appels d’urgence. Ces affaires ne se concluent pas toutes par des arrestations. Toutefois, 395 personnes (exciseuses, parents ou proches des victimes) ont été appelées à comparaître devant la justice l’an dernier. De ce lot, 50 ont été condamnées à des peines de prison : au moins un an pour les exciseuses et quelques mois pour leurs complices. « C’est très difficile de convaincre les vieilles femmes d’arrêter de pratiquer l’excision puisque cette coutume se perpétue de mère en fille, explique M. Ouedraogo, membre du Comité national de lutte contre l’excision. Malgré nos avertissements, elles recommencent presque tout le temps. Et le pire, c’est qu’elles acceptent de faire le sale boulot pour à peine 500 francs CFA, soit 1 $ ! » Douze années ont passé depuis l’interdiction de l’excision au Burkina Faso. Douze années de campagnes de sensibilisation. Au début, des caravanes parcouraient les villages en projetant un documentaire-choc du Comité interafricain de lutte contre l’excision. On y voit une fillette en train de se faire opérer. L’enfant hurle et se débat, en pleurs. Kondobo Sibiri Dinaba Tigre, le chef de Nanoro, village agricole situé à 200 kilomètres d’Ouagadougou, n’oubliera jamais ces images trou blantes qu’il a vues en 2000. Il avoue avoir été marqué à jamais. « La douleur que cette enfant a pu ressentir devait être atroce, dit-il. Nos filles ne méritent pas de souffrir comme ça. » Et pourtant… L’impression n’a pas été assez vive pour que le problème se règle. Il a fallu qu’une petite du village meure d’une hémorragie pour que la pratique soit vraiment interdite, il y a moins d’un an. Cette fois, Nanoro a vraiment été ébranlé. « Tout le village avait déjà entendu parler des risques de l’excision. On savait que cette pratique était mal, mais là, on en a eu la preuve. » Le sujet demeure tabou. Si le chef de Nanoro, âgé de 85 ans, accepte d’en parler, la douzaine d’hommes qui l’entourent ne savent plus où regarder tellement la discussion les met mal à l’aise. Ils savent que leur mère, leurs sœurs, leur femme et leurs filles ont toutes été excisées. « C’était une affaire de femmes, dont les hommes ne se mêlaient pas », explique M. Tigre. Il assure toutefois que les choses ont changé. « J’ai bien averti les villageois qu’ils devaient maintenant signaler tout cas d’excision. Plus une fillette ne sera excisée tant que je serai vivant ! » Les familles conservatrices continuent néanmoins à faire opérer leurs filles clandestinement. Elles les envoient soit dans la brousse, où personne ne peut entendre leurs cris, soit au Mali, où aucune loi n’interdit les mutilations génitales. La nouvelle tendance est d’ailleurs d’exciser des gamines de plus en plus jeunes, voire des bébés. L’opération perd donc son « sens » d’origine, celui d’un rite de passage par lequel la jeune fille en voie de devenir femme apprend à affronter la douleur pour pouvoir faire face aux accouchements futurs et aux souffrances de la vie. Pourquoi pratiquer l ’excision ? Certains affirment qu’elle rend le sexe féminin plus hygiénique. D’autres, qu’elle permet de contrôler les pulsions sexuelles des filles, qui demeurent ainsi vierges jusqu’au mariage. Il se trouve même des gens pour croire que le clitoris contient des vers et peut rendre l’homme impuissant, ou qu’il peut tuer un bébé à la naissance s’il y a contact avec la tête du nouveau-né. Après avoir parcouru presque toute l’Afrique en tant qu’ambassadrice du Comité interafricain de lutte contre l’excision, Chantal Compaoré a entendu plus d’une histoire d’horreur. Et elle ne se fait pas prier pour les raconter. « Au Bénin, une femme a déjà été excisée alors qu’elle était en train d’accoucher. Sa famille a eu peur qu’elle jette un mauvais sort au bébé et a demandé au médecin de pratiquer l’opération avant que l’enfant naisse. La femme est morte sur la table », raconte-t-elle. Et ce n’est pas tout. « En Éthiopie, les femmes mettent du foin et de la terre sur les parties génitales des fillettes qui viennent d’être excisées pour éviter l’hémorragie. Vous pouvez vous imaginer les infections qu’elles développent par la suite… » À la clinique de santé SUKA, à Ouagadougou, le Dr Michel Akontionga s’insurge contre les excisions, souvent pratiquées dans des conditions insalubres. Ce petit homme d’une soixantaine d’années en a vu de toutes les couleurs depuis qu’il soigne les femmes mutilées. Pour faire connaître les séquelles de l’opération, il n’a qu’à ouvrir son cellulaire, dans lequel il a enregistré une foule de photos explicites de sexes excisés. Certains sont en sang, d’autres sont purulents; on en voit qui ont été cousus avec des fi ls toujours visibles. « Regardez ces plaies », lance-t-il en mâchouillant un gros chewing-gum qui, dit-il, lui enlève le mal de cœur. « Ces femmes souffrent d’hémorragie ou d’incontinence. Elles ne pourront jamais avoir de relations sexuelles sans douleur de leur vie. » En plus, les vieilles utilisent le même couteau souillé pour exciser les fillettes, ce qui augmente les risques de transmission de l’hépatite B, du tétanos et du sida. Résultat : les femmes infectées sont très souvent marginalisées et exclues de la société. « Elles développent alors des problèmes psychologiques. Et c’est sans compter l’absence totale de plaisir ! » À la clinique SUKA, financée par une fondation sous la direction de Chantal Compaoré, le Dr Akontionga opère gratuitement les femmes qui souffrent des conséquences d’une excision particulièrement mal exécutée (comme une fistule, lésion du périnée qui cause des pertes nauséabondes). Il a soulagé environ 700 patientes depuis 1992. « L’implication de la première dame a fait toute une différence, reconnaît-il. Sans son aide, une infime partie de ces femmes auraient eu les moyens d’être opérées. » Les Burkinabées les plus riches peuvent se payer un plus gros luxe encore : se faire reconstruire le clitoris, au coût de 350 $. Michel Akontionga a appris cette technique développée par le médecin français Pierre Foldès. L’excision mutile le gland du clitoris, mais l’organe lui-même, long d’environ huit centimètres, reste caché derrière l’os du pubis. Il est possible de le faire ressortir et de lui reconstruire un capuchon de peau. « Certaines femmes peuvent retrouver une sensation, mais les plus frigides n’en auront pas plus, prévient le chirurgien burkinabé. Ça leur procure surtout un confort moral. » Mouna est l’une des femmes qui ont testé cette technique innovatrice. Ses collègues de bureau se souviendront toujours de ce jour où elle est entrée en clamant : « Aujourd’hui, je vais avoir un nouveau clitoris ! » Cette fonctionnaire dans la quarantaine, mère de trois enfants, a décidé de tenter l’aventure, avec le soutien de son mari. « Lorsque nous sommes excisées, nous ne savons pas ce que nous manquons, explique-t-elle. J’étais donc curieuse de savoir si j’allais avoir plus de plaisir. » Et puis ? Elle fait la moue. « J’ai retrouvé quelques sensations, mais rien de trop transcendant. Même si j’étais excisée, j’ai toujours eu une vie sexuelle active, et le fait d’avoir un clitoris n’améliore pas vraiment mes relations. » L’opération est douloureuse et la convalescence dure plusieurs semaines. Avant de promouvoir la reconstruction du clitoris, il vaudrait mieux soigner les femmes fistuleuses qui souffrent continuellement de pertes urinaires et vaginales, croit Mouna. Justement, dans le chic salon de Chantal Compaoré, la première dame et ses trois invitées discutent du problème en finissant leur tasse de café. L’une d’elles, Monique Mujawamariya, une Canadienne d’origine rwandaise, dirige l’organisation québécoise Mobilisation Enfants du Monde. Elle organise présentement une mission qui aura lieu cet automne, du 21 novembre au 5 décembre, pour soigner les femmes mutilées, avec l’aide de médecins québécois. « Les conséquences de l’excision peuvent être dramatiques pour certaines femmes qui vivent avec des douleurs constantes. Certaines sont même marginalisées, isolées, voire chassées de leur village parce qu’elles ont des pertes vaginales et qu’elles dégagent des odeurs nauséabondes. C’est notre devoir de les soulager. » À défaut d’empêcher de nouvelles excisions, ce projet aidera au moins les victimes. Dans la longue bataille contre les vieux couteaux rouillés, toute forme d’aide est la bienvenue…