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Mes résultats sont plus forts que les tiens !

Les filles sont-elles vraiment les grandes battantes du système scolaire? Et les garçons les victimes?

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Les filles sont-elles vraiment les grandes battantes du système scolaire? Et les garçons les victimes?

Le milieu scolaire s’est beaucoup ému, ces dernières années, des « problèmes des garçons » à l’école. L’heure est venue de remettre les pendules à l’heure. Une incursion sur le terrain révèle que tous les garçons n’éprouvent pas nécessairement des difficultés d’apprentissage. Et que toutes les filles ne sont pas forcément des « bolées ». Au royaume de l’adolescence, rien de plus périlleux que les généralisations.

Des chiffres qui parlent

Les statistiques sont éloquentes. Sauf en lecture et en écriture, les garçons n’affichent aucun retard significatif par rapport aux filles. Une étude récente de l’Université de Montréal va encore plus loin. Elle affirme que le seul maillon faible de l’écriture chez les garçons, c’est l’orthographe. Vocabulaire, syntaxe et ponctuation ne leur posent pas de difficulté particulière. Reste la lecture, à laquelle les garçons s’adonnent peu.

Pour avoir une vue d’ensemble, prenons les derniers résultats aux épreuves uniques de juin 2006. Le taux de réussite des filles est de 84 % et celui des garçons, de 82,4 %. La moyenne chez les filles s’élève à 73,2 % contre 72 % chez les garçons. Pas de fossé, donc.

N’empêche qu’au Québec, les filles ont été plus motivées, plus vaillantes et plus persévérantes que les garçons depuis 15 ans, dépassant à ce chapitre leurs consœurs des autres provinces canadiennes, et même celles de plusieurs pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En 2000, 92 % des jeunes Québécoises ont obtenu leur diplôme d’études secondaires (DES), comparativement à 83 % des Canadiennes. La moyenne s’établissait à 80 % pour l’ensemble des filles des pays industrialisés de l’OCDE.

De leur côté, les jeunes Québécois, avec un taux d’obtention du DES de 79 % au tournant des années 2000, dépassaient eux aussi la moyenne canadienne des garçons (73 %), mais avec moins d’éclat. Pas de quoi pavoiser, mais aucun motif d’inquiétude non plus.

Donc, en dépit d’un certain discours d’apitoiement sur les garçons, un regard attentif démontre que ce ne sont pas les garçons qui sont faibles, mais plutôt les filles qui sont fortes. « Les écarts entre les filles et les garçons ont toujours été présents. Les filles ont généralement mieux performé. Marie-Gérin Lajoie, première Québécoise à obtenir un diplôme universitaire en 1911, s’est classée au premier rang provincial quand elle a été diplômée », signale Francine Descarries, professeure de sociologie attachée à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’Université du Québec à Montréal.

Au nom de quelle logique tordue les succès des filles devraient-ils enlever quelque chose aux garçons ? « Il ne s’agit pas ici d’un jeu de vases communicants où ce qui est mérité par les filles enlèverait quoi que ce soit aux garçons », rappelle fort à propos le chercheur Jean-Claude St-Amant de l’Université Laval dans Les Garçons et l’école, paru cette année aux Éditions Sisyphe.

Dis-moi d’où tu viens…

Le sexe des élèves n’est d’ailleurs pas le facteur le plus significatif : le milieu socioéconomique a plus d’importance dans la réussite scolaire.

« Les écarts entre les résultats des garçons de milieu aisé et ceux de milieu défavorisé sont plus grands qu’entre les filles et les garçons, tous groupes sociaux confondus. Les garçons sont plus affectés que les filles lorsqu’ils sont issus d’un milieu socioéconomique plus faible », rappelle le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport dans le document La réussite scolaire des garçons et des filles. L’influence du milieu socioéconomique, publié en 2005.

Les filles des milieux défavorisés s’en sont mieux sorties que les garçons, entre autres parce qu’elles se sont affranchies de certaines attitudes stéréotypées qui les éloignaient de la réussite scolaire. Les garçons, eux, ont continué de privilégier la culture du jeu et d’adopter des raisonnements du style « l’école ça ne sert à rien, je n’en ai pas besoin, je peux me débrouiller sans diplôme ».

Ces attitudes qui enferment les individus dans des carcans n’ont pas disparu des écoles, loin s’en faut. Mais une nouvelle question se pose : les filles ne succombent-elles pas en plus grand nombre qu’avant à ces malheureux stéréotypes et à de nouveaux effets de mode comme les gadgets technos ?

Cellulaire, iPod, Internet, alouette…

« La valeur accordée à l’éducation n’est pas aussi répandue dans la société qu’on pourrait le croire. Souvent, l’école est perçue plus comme un milieu de socialisation que comme un endroit pour réussir », commente Dominique Faille, enseignante à la Polyvalente Lucien-Pagé, à Montréal.

Fébrile et enthousiaste en ce début d’année scolaire, MmeFaille est visiblement très attachée à son école multi­culturelle. Cela dit, elle refuse de se mettre la tête dans le sable et demeure réaliste. « Une des grosses batailles de cette année portera sur le téléphone cellulaire. » Le personnel souhaite éliminer les conversations et la rédaction de messages textes en classe ainsi que les prises de photos d’enseignants à leur insu. « Ce ne sera pas facile parce que les élèves ont tous leur cellulaire. C’est leur ligne de vie, dit l’enseignante. Si tu ne l’as pas, tu n’es rien. » Elle sourit en repensant à sa propre adolescence : « L’idée de rester chez soi pour attendre un appel, c’est totalement dépassé. Nous sommes dans la culture de l’instantané. »

Le cellulaire tout comme la panoplie de gadgets technologiques interpellent la présidente de la Commission scolaire de Montréal, Diane De Courcy. « La façon d’apprendre, plus particulièrement chez les filles, a changé depuis cinq ou six ans. Avant, elles étaient moins influencées par la culture du jeu, liée par exemple aux jeux vidéo. Aujourd’hui, elles vivent pleinement dans le monde de l’échange, avec le cellulaire, le clavardage, la téléréalité et les balades sur Internet », constate celle qui dirige la plus importante commission scolaire du Québec.

MmeDe Courcy croit qu’il faudra intégrer ces nouveaux outils dans l’apprentissage plutôt que de leur livrer une bataille perdue d’avance. Elle prévoit des débats vigoureux autour de cette question.

Les retombées du féminisme

Personne ne songerait à minimiser ce que Francine Descarries appelle le « capital culturel » des familles, facteur déterminant dans la réussite. L’appui des parents et l’imposition de limites sont en effet primordiaux. D’ailleurs, ce sont les encouragements des mères, notamment dans les milieux défavorisés, qui expliquent en grande partie la motivation des filles et leur persévérance des 20 dernières années.

Les chercheurs en éducation Pierrette Bouchard et Jean-Claude St-Amant ont permis de mieux saisir le phénomène au milieu des années 1990 en effectuant une enquête qui a eu l’effet d’une bombe. Après avoir interrogé 2 249 élèves de3e secondaire répartis dans 24 écoles, ces deux experts de l’Université Laval ont conclu que les filles avaient bénéficié d’un formidable soutien de la part de leurs mères, sans nul doute une des plus belles retombées du mouvement féministe.

« Étudie, ma fille, tu auras un bon travail, tu seras indépendante et tu t’en sortiras mieux que moi. » Comme une puissante vague de fond, cette stimulation a littéralement lancé les filles dans la sphère de la réussite scolaire. Telle était la volonté des femmes de pousser leurs filles vers un monde plus vaste que le leur, grâce à l’éducation. Les vieux rôles étaient mis de côté.

« Un meilleur rendement scolaire passe par un affranchissement des modèles de sexe », souligne Pierrette Bouchard. Plus vous êtes prisonnier de certains modèles traditionnels liés à votre sexe, moins vous serez enclin à vouloir réussir. Et plus la scolarité des parents est élevée, moins les enfants adhéreront à certains stéréotypes de conformisme social.

Par exemple, les garçons qui sont obsédés par le désir d’acheter une moto, une auto ou le dernier équipement sportif à la mode répondent à des modèles traditionnels qui vont rapidement les éloigner de l’école : ces jeunes voudront faire de l’argent. Jusqu’à maintenant, les filles s’en sont mieux tirées, mais les tentations ne manquent pas de leur côté…

Le danger de l’hypersexualisation

MmeBouchard ne cache pas son inquiétude vis-à-vis de l’hypersexualisation de la société, qui frappe les jeunes filles de plein fouet. « Pour les filles et leurs mères, avoir un métier, devenir indépendante, dans une perspective de femme, ça brisait le déterminisme social. Aujourd’hui, je suis frappée par l’impact de la culture pornographique sur la nouvelle génération », confie la chercheuse au cours d’un entretien.

Elle admet avoir ressenti un choc récemment lorsqu’elle a vu sa nièce de 11 ans sortir de l’autobus scolaire avec une tenue vestimentaire qui aurait mieux convenu à une jeune femme. « Mon cœur s’est serré. Je voyais un stéréotype vivant venir vers moi. Nous imprégnons nos enfants d’une sexualité adulte qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes, constate-t-elle. C’est non seulement l’école, mais toute la société qui doit se responsabiliser à ce sujet. »

Dans une étude qu’elle a réalisée en février dernier,MmeBouchard constate que « lorsque les enfants, les adolescents, les adolescentes sont imprégnés d’allusions sexuelles constantes, ils commencent à voir le monde autour d’eux uniquement en fonction de son contenu sexuel. […] Les magazines disent aux jeunes filles comment se trouver un chum, en ayant l’air hot et sexy ».

Le phénomène a un lien direct avec la réussite scolaire. À la Polyvalente Lucien-Pagé, la psychoéducatrice Louise Gagné ne se gêne pas pour apostropher des jeunes filles. « Je dis parfois à certaines : “Habillée comme ça, tu as l’air d’un objet sexuel. Est-ce bien là ce que tu veux ?” Et non, ce n’est pas ce qu’elles veulent. » MmeGagné travaille dans cette école multiculturelle depuis 18 ans. Elle reçoit les élèves qui ont des troubles de comportement. Trois sur quatre sont des garçons. Mais à ce chapitre, « les filles ont pris du galon », ajoute-t-elle. Drogue, appartenance à des gangs, prostitution… et violence surtout.

L’enseignante Dominique Faille partage les préoccupations deMmeBouchard. « Que faire lorsque le message que les jeunes filles reçoivent se résume à “tant que tu es belle et que tu as des gros seins, t’es correcte” ? » demande-t-elle.

Pierrette Bouchard abonde dans le même sens : « Il est tellement important que les filles développent leur esprit critique et surtout leurs talents ! » Elle croit que le stéréotype le plus fort est celui de la séductrice, de la vamp qui mise tout sur l’apparence et la consommation. Attention les filles, danger !

Les devoirs ? c’est out !

Nos échanges avec des élèves nous ont appris que dans plusieurs écoles, « les devoirs, c’est out ». Être assidu, c’est mauvais pour l’image.

Alba, une fille formidable, étudie en 4e secondaire dans une école publique de Montréal où ceux qui font leurs devoirs posent un geste quasi politique, et le font à leurs risques et périls. « Tu ne fais pas tes devoirs ici parce que tu veux être considéré(e) comme rebelle », affirme-t-elle.

Tel est le pouvoir de la gang, souvent constituée de jeunes éprouvant des difficultés et affichant un mépris évident vis-à-vis de la réussite. Pas facile de tenir tête à ces groupes.

Pourtant, Alba s’en tire bien. Elle fait ses devoirs ET est cool. Elle réussit cet exploit notamment grâce à une personnalité forte, à son implication remarquée au théâtre et, n’en doutons pas, à un milieu familial qui veille au grain, avec bienveillance et fermeté. Alba ne peut faire du théâtre que si elle a terminé ses devoirs. Et ses résultats doivent être satisfaisants si elle veut sortir…