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Derrière la porte close

La relation avec un psy peut parfois tourner au cauchemar. Lyse Frenette lève le voile sur le délicat sujet des abus des thérapeutes sur leurs clientes.

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La relation avec un psy peut parfois tourner au cauchemar. Lyse Frenette lève le voile sur le délicat sujet des abus des thérapeutes sur leurs clientes.

Elle a 20, 30 ou 40 ans, est étudiante ou engagée dans sa vie professionnelle. Un jour, un événement la bouscule sur le plan émotif. Afin de retrouver son équilibre, elle décide de consulter un psychologue ou un psychothérapeute. Situation classique, sauf que l’on évalue que dans 1 cas sur 10, le professionnel rencontré dépassera les limites de la relation thérapeutique et incitera sa cliente à vivre une relation d’intimité sexuelle avec lui. Honte, angoisse, dépression… Les effets dévastateurs de ce manque d’éthique sont nombreux pour la victime. Après plus de 20 ans de pratique et une thèse de doctorat en psychologie, Lyse Frenette publie Ces femmes qui ont consulté des manipulateurs, un ouvrage sur l’expérience de Québécoises qui ont vécu ce crime derrière la porte close.

Quels sont les motifs qui vous ont amenée à choisir cette question pour votre thèse ?

J’ai moi-même vécu cette expérience il y a plus de 30 ans avant d’entreprendre mes études en psychologie. Il m’aura fallu des années de thérapie pour comprendre les conséquences néfastes que cela avait eues sur moi. Pour les besoins de ma thèse, j’ai dû cibler un échantillon limité, par exemple des femmes qui n’avaient pas vécu d’inceste et qui avaient consulté des psychologues. Et en raison de règles éthiques américaines strictes, j’ai dû m’assurer qu’elles avaient déjà consulté un deuxième thérapeute. Elles ont pu parler concrètement et en détail de leur expérience dans les entrevues que j’ai menées. Cela m’a permis de comprendre comment l’agression s’est immiscée, les émotions que ressentaient les victimes et les effets sur leur vie.

Chez ces femmes victimes d’abus, y a-t-il une faille similaire que ces thérapeutes exploitent ?

Oui, leur état de vulnérabilité. Les femmes exploitées sexuellement en thérapie arrivent en consultation avec des histoires semblables : elles ont vécu des relations incestueuses ou ont souffert de négligence parentale. Les Québécoises de ma recherche n’ont pas subi d’inceste, mais leurs récits démontrent soit que leurs parents les empêchaient d’exprimer leurs émotions, soit qu’ils exigeaient qu’elles se conforment au stéréotype de la « petite fille gentille et douce », soit qu’ils leur exprimaient de l’indifférence, voire du mépris, soit qu’ils brillaient par leur absence.

Ces femmes consultent pour un motif précis, mais elles arrivent avec leurs blessures d’enfance : elles n’ont pas appris à se connaître, à exprimer leurs besoins, à se faire confiance. Elles ne sont donc pas aptes à remettre en question ou à confronter la compétence d’un professionnel dont le statut social et le rôle sont reconnus. Elles tentent d’étouffer leurs sensations désagréables en se disant que c’est le professionnel — et non elles — qui sait et qui a les compétences pour mener à bien la démarche thérapeutique.

Quel genre d’hommes sont ces professionnels ?

Il n’y a pas un seul genre d’abuseur, comme il n’y a pas un seul scénario d’abus. Certains thérapeutes n’ont pas une formation adéquate, d’autres sont en détresse personnelle ou vivent des troubles psychiques plus graves. D’où l’importance d’exiger que tous les psychothérapeutes aient suivi une thérapie personnelle préalable. Dans plusieurs États des États-Unis, les psychologues doivent, dès la fin de leurs études, effectuer 1 000 heures de thérapie avec des clients, pendant lesquelles ils sont supervisés par un professionnel d’expérience. Au Québec, on considère que le doctorat prépare adéquatement à la pratique de la psychothérapie. Or, après avoir fait toutes mes études, je peux témoigner que c’est en supervision avec un thérapeute d’expérience à Montréal, puis en formation à San Diego avec Erving et Miriam Polster, des sommités mondiales en Gestalt thérapie, que j’ai appris le plus. Le psychothérapeute a besoin de notions théoriques, mais il est essentiel qu’il connaisse ses propres blessures psychologiques. Le psychothérapeute est, d’abord et avant tout, son propre instrument de travail.

Quelles solutions vous apparaissent prioritaires pour contrer le problème des abus sexuels commis par des thérapeutes ?

Dans l’immédiat, il est nécessaire d’avoir une instance neutre où les victimes peuvent porter plainte. Pour l’instant, elles doivent s’adresser à l’ordre professionnel, la « famille professionnelle » de leur abuseur. Au moment de l’enquête, l’ordre est en conflit d’intérêts flagrant.

Avec Yvon Rodrigue, je propose dans mon livre plusieurs pistes d’action à l’intention du gouvernement : protéger et informer le public, soutenir les victimes et sanctionner ce type de crime. M. Rodrigue a participé à de nombreux comités interministériels sur la prévention des problèmes relatifs à la santé. Il est important que les ministères reconnaissent que les contacts sexuels entre thérapeutes et clientes sont des pratiques ancrées dans certaines attitudes sexuelles stéréotypées dont il faut se libérer.

Lyse Frenette (avec la collaboration d’Yvon Rodrigue), Ces femmes qui ont consulté des manipulateurs, Éditions du Fada, , 261 p.

Pour en savoir plus, consultez : Le guide d’information Les Rapprochements sexuels entre un professionnel de la santé et un ou une cliente , produit par l’Association québécoise Plaidoyer-Victimes