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S’enrichir au compte-gouttes

Au milieu des années 1970, moins de deux Québécoises sur cinq occupaient un emploi. Les femmes ont fait des pas de géante depuis. Pourtant, leurs revenus restent globalement inférieurs à ceux des hommes.

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Au milieu des années 1970, moins de deux Québécoises sur cinq occupaient un emploi. Les femmes ont fait des pas de géante depuis. Pourtant, leurs revenus restent globalement inférieurs à ceux des hommes. Regard sur une situation économique à mobilité réduite. a situation économique des femmes s’est amé­liorée depuis le milieu des années 1970, c’est vrai, mais elle tend à plafonner depuis un certain nombre d’années, souligne Thérèse Belley, présidente du Comité aviseur Femmes, qui a pour mandat d’informer Emploi-Québec sur les moyens à prendre pour faciliter l’intégration, la réintégration et le maintien des femmes sur le marché du travail. « Cela nous préoccupe », affirme-t-elle. Malgré la hausse du niveau de scolarité des femmes et de leur participation au marché du travail, « il y a encore une différence de revenus assez importante entre elles et les hommes », déplore Mme Belley, également directrice d’Accès-Travail-Femmes. En 2005, les revenus d’emploi des Québécoises présentes sur le marché du travail étaient de 24 800 $ en moyenne, compara­ti­vement à 36 700 $ pour les hommes.

Davantage en emploi

En un peu plus de 30 ans, la participation des femmes au marché du travail s’est accrue de façon importante : le taux d’emploi des Québécoises de 15 à 64 ans est passé de 41 % en 1976 à 69 % en 2007. Les mères âgées de 25 à 44 ans et ayant des enfants de moins de 6 ans sont aussi beaucoup plus nom­breuses à occuper un emploi ou à en chercher un. Leur taux d’acti­vité était de 77 % en 2006, comparativement à 30 % en 1976, selon des données de Statistique Canada compilées par l’Institut de la statistique du Québec. Les femmes sont néanmoins toujours plus susceptibles de travailler à temps partiel que les hommes. En 2006, elles représentaient environ les deux tiers des employés à temps partiel au Québec. « Les femmes qui ont des enfants travaillent moins à temps partiel qu’avant », note toutefois la professeure à la Télé-université Diane-Gabrielle Tremblay, cotitulaire de la Chaire Bell en technologies et organisation du travail. « Les services de garde s’étant améliorés au Québec, davantage de femmes avec enfants peuvent être actives à temps plein sur le marché du travail. » Les femmes sont également plus instruites. La proportion des Québécoises de 15 ans et plus titulaires d’un diplôme universitaire est passée de 7 % en 1981 à 22 % en 2006, selon les recensements.

Des revenus toujours inférieurs

Malgré ces nombreuses avancées, les gains d’emploi des Québécoises ne représentaient en moyenne que 68 % de ceux de leurs confrères en 2005. Cette proportion était de 56 % en 1980 et de 66 % en 1995. Divers facteurs peuvent expliquer cet écart, selon la professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal Marie-Thérèse Chicha, spécialiste de l’équité salariale. Outre la discrimination, elle cite notamment le nombre d’heures de travail, le niveau de scolarité des travailleuses plus âgées, le domaine d’études, la taille de l’entreprise et le nombre d’années d’expérience professionnelle, que des interruptions pour prendre soin des enfants peuvent affecter. « La partie de l’écart salarial qui se maintient ne signifie pas que la Loi sur l’équité salariale a échoué. Elle signifie simplement que pour réduire cet écart, il faut un éventail de mesures, par exemple de conciliation travail-famille », précise-t-elle. Si les femmes sont plus présentes dans certains types d’emplois autrefois majoritairement masculins, elles n’occupent toujours pas, globalement, les postes les plus rémunérateurs, indique pour sa part Esther Déom, professeure au Département des relations industrielles de l’Université Laval, également spécialiste de l’équité salariale. « Par exemple, la proportion des femmes gestionnaires a augmenté entre 1987 et 2003, mais on constate qu’elles se retrouvent peu dans les postes de cadres supérieurs », dit-elle.

Une situation économique variable

Depuis 1980, les Québécoises ont néanmoins légèrement amélioré leur sort sur le plan économique. Les gains d’emploi annuels moyens des femmes présentes sur le marché du travail au Québec ont augmenté de 15 % entre 1980 et 2005. Sans surprise, les titulaires d’un diplôme universitaire, hommes ou femmes, ont généralement un revenu plus élevé. À tous les niveaux de scolarité toutefois, un écart subsiste entre le revenu des hommes et celui des femmes. Cette situation s’explique en partie par le fait que les jeunes filles ont encore tendance à opter pour des secteurs traditionnellement féminins, d’après Thérèse Belley. « Toutefois, j’aime bien ajouter que si la non-diversification professionnelle confine des femmes dans la pauvreté, c’est parce qu’on ne reconnaît pas les métiers féminins à leur juste valeur. Si une coiffeuse gagnait autant qu’un plombier, on ne parlerait pas de diversification professionnelle », affirme la présidente du Comité aviseur Femmes. Autre facteur ayant une incidence sur le revenu : l’âge. Les Québécoises de 25 à 44 ans sont globalement dans une meilleure posture que leurs cadettes et leurs aînées. Chez les hommes, c’est plutôt le groupe des 45-64 ans qui a les revenus les plus élevés. Pour tous les groupes d’âge, les revenus moyens des hommes sont supérieurs à ceux des femmes. Le revenu moyen des femmes seules au Québec était de 25 400 $ en 2005 et celui des hommes seuls, de 31 000 $. Les Québécoises en couple avec enfants avaient quant à elles un revenu moyen légèrement supérieur aux Québécoises en couple sans enfants (26 000 $ contre 24 300 $).

Incidence des séparations

On le sait, les mères de famille monoparentale se retrouvent souvent dans une situation financière peu enviable. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: en 2005, les familles monoparen­tales dirigées par une femme avaient un revenu moyen inférieur non seulement à celui des couples avec enfants et des couples sans enfants (38 000 $ comparativement à 83 500 $ et à 61 900 $), mais aussi à celui des familles monoparentales dirigées par un homme (69 900 $). Le taux de faible revenu après impôt des familles monoparentales dirigées par une femme était de 24 % en 2005, comparativement à 14 % pour l’ensemble des familles et des personnes seules au Québec. La situation s’est toutefois améliorée par rapport à 1975, alors que le taux de faible revenu après impôt des familles monoparentales dirigées par une femme était de 36 %. Celui de l’ensemble des familles et des personnes seules était alors de 18 %. « Il y a quand même eu une évolution positive, affirme la directrice générale de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec, Sylvie Lévesque. Avant, plus de mères monoparentales étaient prestataires de l’aide sociale. Depuis les quatre ou cinq dernières années, c’est moins souvent le cas. » Il n’en reste pas moins que les personnes qui se séparent ont tendance à s’appauvrir, mentionne Mme Lévesque. « Et évidemment, les femmes s’appauvrissent encore plus que les hommes. » Somme toute, la situation des mères monoparentales demeure variable. « On constate que le travail et la trajectoire économique antérieurs de la mère sont étroitement liés à la situation économique future de la famille monoparentale », indiquent les chercheurs Heather Juby, Céline Le Bourdais, Nicole Marcil-Gratton et Louis-Paul Rivest dans l’article « Pauvreté des familles monoparentales et parcours professionnel des mères après la rupture », paru en 2005 dans la revue Recherches sociographiques de l’Université Laval. Le taux de familles monoparentales parmi les familles comptant au moins un enfant de moins de 25 ans est en augmentation constante au Québec depuis le début des années 1970.

Comment avancer?

Pour améliorer la situation économique des Québécoises, diverses propositions sont mises de l’avant. Thérèse Belley évoque des mesures de conciliation travail-famille, la revalorisation des métiers féminins et l’augmentation du salaire minimum, les femmes représentant quelque 70 % des travailleurs au salaire minimum. Esther Déom mentionne pour sa part la nécessité de poursuivre le travail amorcé en matière d’équité salariale. Dans son rapport de novembre 2006, la Commission de l’équité salariale affirmait qu’un peu moins de la moitié des entreprises avaient terminé leur exercice d’équité salariale, 10 ans après l’adoption de la loi. « Une fois que l’équité sera réalisée dans toutes ces entreprises, il faudra la maintenir », indique Mme Déom, qui précise que l’iniquité a tendance à se réinstaller après quelques années. « On devra être très vigilants. »

Discrimination bis pour les néo-québécoises

Les femmes immigrées sont confrontées à une double discrimination, mentionne la coordonnatrice de l’organisme Action travail des femmes, Darline Raymond. « Bien qu’elles soient hautement diplômées, elles sont plus souvent au chômage que les femmes nées au Canada », indique la sociologue Amel Belhassen, chercheuse et chargée de cours à l’UQAM spécialisée dans les domaines de l’immigration, des relations interethniques et des conditions de vie des immigrantes. Le taux d’emploi des femmes immigrées (45 %) est inférieur à celui des hommes immigrés (60 %), à celui de l’ensemble des femmes au Québec (53 %) et à celui de l’ensemble des hommes québécois (65 %), selon le recensement de 2001. En 2000, le revenu moyen des femmes immigrées de 15 ans et plus vivant au Québec était de 19 800 $ comparativement à 21 300 $ pour l’ensemble des Québécoises, à 31 100 $ pour les hommes immigrés et à 33 100 $ pour l’ensemble des hommes québécois. Le revenu moyen des femmes immigrées de minorités visibles était de 17 300 $ et celui des hommes immigrés des minorités visibles, de 24 700 $, selon des données du recensement de 2001 compilées par le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec. Les femmes immigrées subissent souvent une « déqualification professionnelle », occupant un emploi pour lequel elles sont surqua­lifiées, dit Marie-Thérèse Chicha, professeure à l’École de relations indus­trielles de l’Université de Montréal, qui mène des recherches sur l’inté­gration des immigrants au marché du travail. Parmi les pro­blèmes qui expliquent cette situation figure la non-reconnaissance de la formation et de l’expérience acquises à l’étranger.

Peu de rose chez les autochtones

Les revenus moyens des femmes autochtones au Québec sont inférieurs à la fois à ceux des hommes autochtones et à ceux des femmes non autochtones, selon les données du recensement de 2001. En 2000, le revenu moyen des femmes d’identité autochtone de 15 ans ou plus était de 17 900 $, comparativement à 22 300 $ pour les hommes d’identité autochtone, à 21 300 $ pour les femmes non autochtones et à 33 200 $ pour les hommes non autochtones au Québec. Le taux de pauvreté des mères monoparentales autochtones est élevé, indique la présidente de l’organisme Femmes autochtones du Québec, Ellen Gabriel. Le taux de chômage dans la plupart des communautés autochtones au Canada est également élevé et la situation économique est souvent difficile dans les villages éloignés, mentionne-t-elle. La question politique de l’accès des peuples autochtones aux terres et aux res­sources aurait aussi une incidence sur leur condition économique, selon elle. Les négociations entre nations autochtones et gouvernements portent souvent sur les mines et la foresterie, des industries dans les­quelles peu de femmes travaillent, souligne la présidente de l’organisme. Les femmes autochtones se retrouvent fréquemment à occuper des emplois moins payants, mentionne-t-elle. Mme Gabriel affirme toutefois que d’un autre côté, la majorité des entrepreneurs autochtones sont des femmes.