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Concilier famille et travail dans un horaire atypique?

Le chantier d’une charpentière

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Non, ce n’est pas un bon moment, je fais la cuisine, me répond une mère de famille que je contacte pour un article. « Oh je comprends, c’est vrai que c’est bientôt l’heure du souper », dis-je, compréhensive. Sauf que je comprends vite, avec embarras, que Violette Goulet ne faisait pas la cuisine pour nourrir sa famille. Elle faisait littéralement des travaux dans une cuisine, puisqu’elle est… charpentière!

C’est en 2012 que Violette se lance dans une formation pour devenir une professionnelle de la construction. Pourquoi charpentière? « Ah, ben là, faudrait que je te raconte ma vie… » dit-elle en riant. Son cheminement l’a menée à ça, tout simplement. Comme un aboutissement de ses expériences mélangé à une envie de sortir de la ville. Dans son groupe étudiait une seule autre femme, qui a lâché le programme à la mi-parcours.

On trouve peu d’information sur les charpentières au Québec. D’ailleurs, en «  googlant » le terme, il faut bien préciser la recherche, puisque les fourmis charpentières semblent plus présentes sur la Toile… et dans les maisons! Pas étonnant quand on apprend que les femmes constituent environ 1 % des effectifs dans le domaine au Québec.

Horaires atypiques, système traditionnel

Violette est habituée aux réactions de surprise quand elle évoque son métier. Elle est aussi habituée à ce qu’on lui pose des questions sur sa conciliation famille-travail, puisque son conjoint, Mathieu Tremblay-Wragg, est électricien. Deux métiers aux horaires atypiques. En fait, les deux travaillent de 7 h à 15 h environ. Sans enfants, cela se fait très bien. Avec leurs deux petits garçons de moins de trois ans, ça se corse un peu.

« C’est surtout les matins qui sont problématiques », explique Violette. « Quand il faut être sur le chantier à 7 h et que la garderie ouvre à 7 h, on est devant une impasse. » La solution de Mathieu et Violette a été d’engager une nounou pour s’occuper des enfants le matin et les amener à la garderie. « J’ai déjà demandé à la responsable de mon service de garde en milieu familial si elle pouvait nous accommoder, mais c’était non. Le système de garderies en général n’est pas fait pour les horaires atypiques, mais c’est une autre histoire ».

Sandra, la nounou, vient donc tous les matins. Une aide précieuse. « Ce n’est pas facile de trouver une personne de confiance. On lui laisse quand même notre maison, nos enfants. Elle doit les prendre dans sa voiture et les amener. C’est une grande responsabilité », raconte la charpentière-menuisière. Et une grande dépense. Le recours à une aide extérieure coûte au couple quelque 225 $ par semaine, en plus de la garderie. « C’est quasiment notre hypothèque! ».

Mais voilà que, tout récemment, Sandra a annoncé au couple qu’elle ne pourrait plus les dépanner que deux jours par semaine. La solution? Violette et Mathieu se séparent les trois matinées qui restent, en arrivant en retard. Pour gagner du temps le matin, ils inscriront leurs fils au service de petit déjeuner à la garderie. Une autre dépense qui s’ajoute au budget.

Heureusement, les soirées sont plus faciles à gérer. Comme les deux finissent de travailler vers 15 h, ils ont le temps de rentrer plus tôt, de finaliser certaines tâches, puis d’aller chercher leurs enfants pour en profiter l’esprit tranquille.

Vie de famille en construction

La vie de famille pour une charpentière-menuisière n’est pas toujours de tout repos. Avant les enfants, Violette acceptait des horaires ou quarts de travail de soir ou de nuit. C’est maintenant chose du passé.

Selon Violette, la pénurie de main-d’œuvre fait en sorte que les employeurs se montrent plus conciliants face aux demandes d’accommodements liés à la famille.

Selon Violette, la pénurie de main-d’œuvre fait en sorte que les employeurs se montrent plus conciliants face aux demandes d’accommodements liés à la famille. En effet, un sondage de la maison Léger réalisé pour le compte de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) révélait l’an dernier que la pénurie de main-d’œuvre dans le domaine résidentiel inquiétait beaucoup les entrepreneurs·ses en construction. On y apprend notamment que 43 % des répondant·e·s ont affirmé avoir eu de la difficulté à recruter en charpenterie-menuiserie. D’après l’Association de la construction du Québec (ACQ), l’industrie aurait par ailleurs besoin en moyenne de 20 000 travailleurs·ses de plus par année, et ce, jusqu’en 2028.

Malgré tout, comme dans d’autres domaines, les femmes ne sont pas à l’abri des mises à pied au moment de donner naissance. « La différence, c’est qu’en construction, c’est facile de dire qu’il n’y a plus de travail, plus de besoin immédiat », explique Violette. C’est d’ailleurs la pénible expérience qu’elle a vécue entre ses deux grossesses, quand elle a dû partir en retrait préventif.

Mise à pied, elle n’avait pas droit au chômage, puisqu’elle n’avait pas eu le temps de cumuler assez d’heures. « On s’est retrouvé avec un gros trou dans le budget, ça a été stressant ». La famille a eu recours à l’aide alimentaire, en plus de s’endetter. Heureusement, elle a pu compter sur les services juridiques du syndicat et après trois ans, Violette a eu gain de cause. « C’est certain que je ne laissais pas passer ça. »

La charge mentale comme tâche à part entière

Comme tous les couples, Mathieu et Violette ont passé par plusieurs phases dans leur dynamique familiale, et le partage des tâches a fait l’objet de nombreuses discussions – même de chicanes, disons-le. « J’ai été pendant trois ans en congé de maternité ou en retrait préventif. Inévitablement, j’ai pris le plus gros du travail ménager sur mes épaules. Mais une fois revenue au travail, j’ai rapidement réalisé que ça ne fonctionnait plus. »

Non seulement Violette ne voulait plus avoir la charge domestique, mais elle ne voulait même plus la partager à parts égales. « Moitié-moitié mais en ayant la charge mentale en plus, c’est injuste. On a décidé que ce serait Mathieu qui s’occuperait à 100 % des tâches ménagères. » Concrètement, cela signifie qu’elle peut aider si elle en a envie, mais que ce n’est pas sa responsabilité. « Ça m’enlève un fardeau. Je réalise que moi-même, je me jugeais pour l’état de la maison, je prenais la responsabilité des tâches ménagères sans m’en rendre compte! »

Violette est d’ailleurs convaincue que le fait d’œuvrer dans un domaine non traditionnel lui a permis de revisiter plus facilement les rôles de l’un et de l’autre. « Je vois des modèles différents, je suis plus revendicatrice de mes droits. J’ai une autre vision de ce que devrait être l’homme, la femme. C’est libérateur! »