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Diriger une entreprise et s’épanouir comme mère : les défis de la conciliation famille-travail chez les femmes entrepreneures

Entre l’équilibre et le partage…!

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Horaires flexibles, semaine réduite, garderie en milieu de travail, congés payés, les initiatives mises en place par les employeurs pour faciliter la conciliation famille-travail se multiplient pour les mamans salariées. Pourtant, c’est une tout autre réalité pour les mères en affaires. Plus difficile, cette conciliation, lorsque l’on est entrepreneure?

L’équilibre entre la famille et le travail est indispensable au développement des enfants. Mais il est aussi important pour les parents, comme le confirme le rapport intitulé La conciliation famille-travail chez les parents québécois, publié en 2018 par l’Observatoire des tout-petits. Selon celui-ci, 37 % des parents accepteraient une réduction de salaire en échange d’un plus grand nombre de mesures de conciliation famille-travail, alors que 55 % seraient prêts à changer d’emploi si on leur offrait de meilleures conditions en ce sens.

Dans ce même rapport, on peut également lire que la conciliation famille-travail est une source de stress importante pour 62 % des parents, quel que soit leur statut (personnes salariées et à leur compte). Malgré tout, la question se pose : en quoi cette conciliation est-elle différente chez les entrepreneures?

Une question de flexibilité

« De leur côté, les personnes salariées ont accès à différents dispositifs de conciliation. Cela dit, théoriquement, une travailleuse autonome peut se donner la flexibilité dont elle a besoin dans son horaire. Il y a une plus grande facilité à conjuguer travail et vie personnelle ou familiale », avance Nathalie Houlfort, professeure titulaire en psychologie du travail et des organisations à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Bien entendu, cette marge de manœuvre dépendra beaucoup du contexte dans lequel la mère se trouve : situation financière, stade de développement de l’entreprise, soutien des pairs, etc.

Plus de temps, vraiment?

« Il faut faire attention au leurre lié à la travailleuse autonome ou à la femme d’affaires », prévient toutefois Christine Marcotte, conférencière et fondatrice du Réseau des mères en affaires. « Plusieurs croient qu’en faisant le choix d’être travailleuses autonomes ou entrepreneures, elles s’offrent aussi la liberté d’horaire. Mais rapidement, elles s’aperçoivent que plusieurs balises doivent être respectées dans cette nouvelle réalité. »

La maman de cinq enfants soutient qu’il faudrait mieux préparer les mères à ces contraintes. Selon elle, une partie de la solution demande la participation des centres de formation et des organismes qui aident au démarrage d’entreprise.

« Il faut faire attention au leurre lié à la travailleuse auto-nome ou à la femme d’affaires. Plusieurs croient qu’en faisant le choix d’être travailleuses autonomes ou entrepreneures, elles s’offrent aussi la liberté d’horaire. Mais rapidement, elles s’aperçoivent que plusieurs balises doivent être respectées dans cette nouvelle réalité. »

– Christine Marcotte, conférencière et fondatrice du Réseau des mères en affaires

« On parle de gestion, de finance, de marketing, mais tout ce qui concerne l’organisation personnelle n’est pas abordé. Il y a de plus en plus de femmes qui se lancent en affaires et elles se heurtent au fait que la conciliation famille-travail est plus complexe qu’elles ne le croyaient. Il faut permettre à ces travailleuses autonomes et entrepreneures de s’épanouir sur tous les plans. »

Synchroniser la croissance de l’entreprise et la famille

Isabelle Marcotte a fondé l’entreprise Bonnetier il y a six ans. Spécialisée dans la confection de vêtements de sport et de plein air en laine mérinos, la compagnie vend et distribue ses produits partout au Canada et, depuis peu, en Europe.

« Mon plan d’affaires est toujours réfléchi en fonction de l’âge qu’auront mes enfants. Je n’ai pas l’impression qu’ils m’empêchent de développer mon entreprise, puisque tout ça se fait de façon organique, en parallèle. Comme si l’entreprise était le troisième enfant! »

– Isabelle Marcotte, fondatrice de Bonnetier

La designer, qui a d’abord été une mère salariée, a connu les deux côtés de la médaille. « En tant qu’employée, je n’arrivais pas à trouver un équilibre entre mes responsabilités familiales et professionnelles, et c’est d’ailleurs l’une des raisons qui m’ont poussée à démarrer mon entreprise », se souvient-elle.

Alors à l’emploi d’une agence de publicité, elle n’avait pas l’impression de pouvoir donner le meilleur d’elle-même à ses enfants. Cette transition l’a profondément marquée : « Je l’ai vécue comme une libération », résume l’entrepreneure.

« Mon plan d’affaires est toujours réfléchi en fonction de l’âge qu’auront mes enfants. Je n’ai pas l’impression qu’ils m’empêchent de développer mon entreprise, puisque tout ça se fait de façon organique, en parallèle. Comme si l’entreprise était le troisième enfant! » ajoute-t-elle. Revenant à peine d’une semaine passée à Paris pour conclure un important contrat, la dirigeante admet qu’un tel objectif aurait été impossible à atteindre il y a quelques années. Mais les enfants ont grandi et l’entreprise aussi.

Faire participer les enfants

Les nombreuses heures qu’Isabelle Marcotte investit dans son projet ne l’éloignent pas de sa famille pour autant. Lorsque c’est possible, elle fait une place à ses enfants de 8 et 11 ans. Étiqueter des bas, plier les vêtements, préparer les envois, ces tâches font en sorte qu’ils s’intéressent à l’entreprise, suivent l’augmentation du volume des ventes et comprennent la signification d’un nouveau client qui s’ajoute au carnet de commandes de leur mère.

« C’est enrichissant pour eux, et c’est encourageant pour moi de voir qu’ils sont fiers de ce qui a été accompli jusqu’à maintenant. » Les enfants et le père font tous partie du succès de la femme d’affaires.

Souvenirs d’une mère entrepreneure

Christiane Germain et Marie Pier Germain, respectivement fondatrice et directrice des opérations pour le Groupe Germain Hôtels.

Impliquée dans l’entreprise familiale avant même d’avoir 10 ans, Marie Pier Germain en retient beaucoup d’aspects positifs. C’est sa mère, Christiane Germain, qui a fondé le Groupe Germain Hôtels. « Ça m’a permis de côtoyer plein de gens que je n’aurais pas connus autrement. Ça m’a donc appris à socialiser très jeune. »

Aujourd’hui directrice des opérations pour le Groupe, Marie Pier reconnaît que c’est un défi de taille d’être à la fois mère et entrepreneure. Elle ajoute du même souffle que pour le relever, il faut tenter de trouver un équilibre à moyen terme.

« Si on sait qu’on aura une semaine plus occupée, alors on compense avant ou après. » Selon la femme d’affaires, c’est possible et acceptable d’avoir une maman qui veut se réaliser dans le travail : « Ça permet de montrer aux enfants que le travail, c’est positif et que c’est le fun quand tu aimes ce que tu fais. »

Bien entendu, pour en arriver là, elle avait tout un modèle, puisque sa mère a toujours porté plusieurs chapeaux. En plus de diriger les opérations et le marketing de tous les hôtels du Groupe, Christiane Germain est également présidente du conseil d’administration du Musée national des beaux-arts du Québec et s’implique auprès de nombreuses causes caritatives. Celle qui est aussi chevalière de l’Ordre national du Québec a su trouver un équilibre essentiel à l’essor de son entreprise et à son rôle de mère.

En rétrospective, Christiane ne croit pas que c’est plus facile aujourd’hui de concilier la famille et le travail qu’à l’époque où elle l’a fait. « Il ne faut pas perdre de vue que les années où les femmes choisissent d’avoir des enfants sont souvent les années qui coïncident avec l’avancement de leur carrière. »

Et les hommes dans tout ça?

Il ne fait aucun doute que la conciliation famille-travail requiert l’engagement des deux parents. Fannie Dagenais, directrice de l’Observatoire des tout-petits, rappelle que les hommes ont aussi quelque chose à dire sur la question : « On a tout avantage à les impliquer dans la discussion, puisqu’ils apportent un regard différent sur cette réalité. Et si on souhaite trouver les meilleures solutions pour l’ensemble des gens sur le marché du travail, il faut que les hommes prennent part à la réflexion. »

La professeure Nathalie Houlfort abonde dans le même sens. « Ça ne devrait plus être un enjeu exclusivement féminin, mais plutôt une préoccupation partagée. Par contre, les femmes se mettent encore beaucoup de responsabilités sur les épaules par rapport aux obligations familiales. Pour y arriver, il faut aussi apprendre à partager. »

« On a tout avantage à les impliquer dans la discussion, puisqu’ils apportent un regard différent sur cette réalité. Et si on souhaite trouver les meilleures solutions pour l’ensemble des gens sur le marché du travail, il faut que les hommes prennent part à la réflexion. »

– Fannie Dagenais, directrice de l’Observatoire des tout-petits

Plusieurs diront que se lancer en affaires, c’est comme fonder une famille. « J’ai vécu un divorce entrepreneurial tout comme dans ma vie amoureuse. J’ai mis au monde trois entreprises, mais aussi cinq enfants. On délègue des tâches dans sa business tout comme à la maison », peut-on lire dans un billet de blogue écrit par Christine Marcotte.

« Ça ne devrait plus être un enjeu exclusi-vement féminin, mais plutôt une préoccu-pation partagée. Par contre, les femmes se mettent encore beaucoup de responsabili-tés sur les épaules par rapport aux obliga-tions familiales. Pour y arriver, il faut aussi apprendre à partager. »

– Nathalie Houlfort, professeure titulaire en psychologie du travail et des organisations à l’UQAM

Par la même occasion, en répartissant équitablement les responsabilités au sein du couple, on expose les enfants à l’idée que les hommes peuvent et doivent s’impliquer dans le travail domestique et parental. Cette éducation à l’égalité, dès le plus jeune âge, constitue l’une des clés pour encourager et valoriser la conciliation famille-travail, tant auprès des femmes qu’auprès des hommes.