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Le café colombien plus équitable pour les femmes

Caféiculture en Colombie : place aux femmes !

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En Colombie, le secteur du café apprend à laisser de plus en plus de place aux femmes. Présentes depuis toujours dans les champs, mais rarement écoutées, elles gèrent maintenant des entreprises de A à Z, de la production à la commercialisation.

La Finca La Paz, à Palestina en Colombie

À l’approche de Palestina, les montagnes s’arrondissent pour devenir de verdoyantes collines plantées de caféiers. C’est au creux de ce magnifique paysage, à une heure de route de la ville de Manizales, que se blottit la Finca La Paz. La propriétaire, Angelica Escobar, est une femme bien connue dans le milieu du café : elle gère depuis 24 ans cette petite exploitation de trois hectares, et s’implique dans les instances représentatives du secteur depuis le début du siècle. Son credo : que les Colombiennes s’approprient davantage la culture du café, emblème de ce pays sud-américain.

Angelica veut être un exemple, mais sait qu’elle est privilégiée : héritière et seule patronne de sa ferme, mariée à un médecin « plus féministe que le diable », elle n’a eu à affronter « que » le machisme propre au secteur caféier, qui l’a obligée à sans cesse prouver sa crédibilité. Rares sont les femmes qui ont sa chance dans la région. « Leur niveau de scolarité est très bas, et nous faisons face à un degré tenace d’analphabétisme, relate-t-elle. Cela leur complique fortement la tâche quand vient le moment de proposer des projets et de solliciter du soutien, surtout dans un secteur où les hommes ne sont pas toujours disposés à laisser plus d’espace aux femmes. » Les violences domestiques sont aussi chose commune.

Mais à la Finca La Paz, la majorité des employé·e·s (une quinzaine en période de récolte) sont de sexe féminin. « Je pousse pour cela, explique Angelica Escobar. Je veux qu’elles voient que dans une exploitation de café, il y a plein de choses à faire, et que les femmes peuvent les faire. Je trouve d’ailleurs qu’elles travaillent mieux que les hommes : elles cueillent les grains mûrs à point et font attention aux plants. Les gars, eux, ne pensent qu’à la paie. » Cette dernière dépend du poids ramassé chaque jour, ce qui fait de cet emploi l’un des plus précaires au pays.

Une implication en hausse

Consciente du déséquilibre entre les sexes, la Federación nacional de cafeteros (FNC), la puissante association qui représente les caféiculteurs·trices et les aide à améliorer leur production, a entrepris de créer des comités participatifs de femmes il y a une dizaine d’années. Sans surprise, c’est Angelica qui dirige celui de Palestina depuis ses débuts. Les participantes viennent entre autres pour faire partager leurs expériences, suivre des formations ou lancer des projets communs. « Les résultats sont bons, assure-t-elle. Des agricultrices très timorées – parce qu’elles ont toujours été invisibles – sortent de leur réserve et s’affirment : “J’ai des connaissances, je sais cultiver le café!” »

Angelica Escobar, caféicultrice et propriétaire de la Finca La Paz

Et cette visibilité commence à se répercuter jusque dans la représentation municipale de la FNC : le comité de Palestina, élu par les cultivateurs et cultivatrices de café, comprend 7 femmes sur 12 membres. À l’échelon supérieur, au département de Caldas, le compte est toujours loin : elles ne sont que 2 sur 12.

Les élections organisées par la FNC en 2018 ont amené un progrès : le taux d’élues est passé de 16 à 24 % dans les comités municipaux, et de 8 à 10 % dans les comités départementaux. Pour faire voter davantage les productrices, la fédération les incite à obtenir leur carte de caféicultrice. Pour ce faire, elles doivent devenir propriétaires, par exemple en séparant une parcelle de l’exploitation familiale et en la mettant sous leur responsabilité.

C’est ainsi qu’aujourd’hui, les femmes représentent 30 % des propriétaires de fincas (« fermes »). Mais dans la tour de la FNC à Bogotá, Bibiana Arias, spécialiste en développement social au programme d’égalité des sexes, mentionne d’autres raisons : « Certaines sont séparées, d’autres veuves. Beaucoup sont victimes du conflit armé : elles ont envoyé leurs fils en ville à l’abri des recruteurs de la guérilla, et s’occupent seules des champs. »

Aux plus hauts postes de la FNC, les caféicultrices sont cependant toujours absentes. Une disparité qui remonte à loin, rappelle Bibiana Arias. « L’organisation a été créée en 1912 par un groupe d’hommes qui voulaient faciliter la commercialisation de leur production; les services qu’offre la fédération ont donc longtemps été axés sur leurs besoins. Sur le terrain, les employés de la FNC ne s’adressaient jamais aux épouses des membres. »

Il a fallu attendre 1981 pour voir la FNC embaucher une première ingénieure agronome. « Les ingénieur·e·s agronomes sont des figures importantes dans les campagnes, qui donnent des conseils et inspirent beaucoup les plus jeunes, soutient la spécialiste. Aujourd’hui, les filles peuvent s’imaginer faire carrière dans ce domaine. »

Prochain défi : commercialiser

Si certains murs tombent, la commercialisation reste la chasse gardée des hommes. L’argent gagné en vendant le café est parfois dépensé la journée même, et ne revient pas à la maison.

Dans le village touristique de Salento, l’association Mujer Café Salento, qui réunit 12 productrices de café, entend rendre le pouvoir économique aux femmes. « Chacune d’entre nous a une histoire différente, il y a une grande diversité de profils dans l’association », dit Carolina Ruiz, qui cultive du café et élève du bétail avec son mari et trois autres personnes. La preuve : avec elle se trouve Gloria Arias, femme séparée propriétaire de deux fincas et unique élue (avec 11 hommes) au comité départemental du Quindío, et Angeles Ibañez, retraitée espagnole qui, dans sa microferme, a appris à 60 ans le sens du terme empowerment.

Productrices et producteurs sont actuellement frappé·e·s par le même problème : le prix international du café, fixé par la Bourse de New York, est en baisse à la suite de l’envolée de la production dans des pays comme le Brésil et le Vietnam. Résultat : les revenus des petites exploitations chutent.

Grains de café

Mujer Café Salento entend s’en sortir en créant un café de spécialité et en le commercialisant hors des circuits traditionnels : dans les marchés, puis dans un local fourni par la mairie. Une fois que le produit sera perfectionné, il pourra être exporté. « Si tu me dis que tu aimes notre café et que tu voudrais en vendre au Canada, on va regarder entre nous combien on peut t’en fournir! » dit Gloria, la plus ferrée dans le monde des affaires. Les femmes de Salento comptent se débarrasser des intermédiaires et vendre leurs grains à un meilleur prix en négociant directement avec les client·e·s (compagnies de distribution ou chaînes de café), conscientes de la plus-value que le « café féminin » peut apporter.

Une opportunité de marketing qui tranche avec le passé. « Depuis que le café est cultivé, les femmes ont travaillé aux champs, mais les bénéfices ne sont jamais passés entre leurs mains », soupire Angeles. « Leur salaire, c’étaient les aliments que leurs maris leur rapportaient pour cuisiner », complète Carolina, qui croit que cette injustice historique peut être réparée. « C’est le but de notre association : que la femme qui travaille ait son argent à elle. »

Une autre petite révolution dans un secteur qui change, doucement.