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Rentrée lettrée

Notre recension de livres de l’automne : trois lectures, trois univers

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Pour nos suggestions de livres à dévorer en ce début d’automne, nous avons retenu un recueil de textes d’une figure de proue du féminisme américain enfin traduit en français, un bouquin pour enfants ainsi qu’une revue littéraire sous le signe du féminin. À vos marques, prêtes? Dégainez votre signet.

couverture du livre.

C’est à l’Américaine Rebecca Solnit qu’on attribue souvent – à tort, précise-t-elle ici – l’invention du mot mansplaining, traduit par « mecsplication ». Mais l’anecdote qui est à l’origine du terme, par contre, lui est bel et bien arrivée. Alors qu’elle était dans une soirée à Aspen avec une amie, leur hôte, un homme visiblement convaincu de son savoir, s’est mis à lui expliquer pourquoi elle devait absolument lire un livre sur le photographe Eadweard Muybridge, livre qu’elle avait elle-même écrit et qu’il n’avait manifestement pas lu. Malaise. C’est ce qu’elle raconte, entre autres, dans le texte « Ces hommes qui m’expliquent la vie », qui donne son titre à ce recueil de chroniques qu’elle a signées sur diverses plateformes entre 2008 et 2014.

Le titre de l’ouvrage est toutefois trompeur, car hormis dans le texte d’ouverture, l’autrice ne traite pas de mecsplication. Au fil de chroniques coup de poing, bardées de statistiques, de faits vérifiés, d’opinions et saupoudrées d’humour, elle expose plutôt les rouages de la domination masculine, ou comment plusieurs hommes ont tenté et tentent toujours de contrôler, voire de faire disparaître les femmes – au sens figuré, mais parfois propre. En les réduisant au silence, en les ridiculisant, en les violant, en ne les croyant pas quand elles portent plainte, en les tuant, parfois, aussi. Et elle a le sens de la formule, y allant de phrases-chocs comme : « Aux États-Unis […], les maris sont également la principale cause de décès chez les femmes enceintes. »

L’ouvrage étant paru en anglais depuis quatre ans déjà, les textes datent un peu, mais leur propos demeure d’actualité. Ils assurent même un certain devoir de mémoire, puisqu’on constate que Harvey Weinstein nous a presque fait oublier Dominique Strauss-Kahn…

Ce qu’on regrette cependant, c’est qu’au-delà des nombreux faits exposés, Rebecca Solnit ne propose pas de réelles pistes pour améliorer la situation. On lui a aussi souvent reproché d’aborder des sujets très bien connus des féministes aguerries, et de ne parler que de son point de vue de femme blanche privilégiée, lacune qu’elle a corrigée dans son ouvrage suivant, The Mother of All Questions (non traduit pour l’instant). Quand même une lecture pertinente, ne serait-ce que pour la fougue qui habite son écriture.

couverture du livre.

La collection biographique De petite à grande, c’est du bonbon pour les enfants âgés de 6 ans et plus. Brossant le portrait de « femmes courageuses et inspirantes qui ont marqué leur époque », elle compte pour l’instant trois volumes, dont un sur la scientifique Marie Curie et un autre sur l’aviatrice Amelia Earhart. Et pour que les petit·e·s s’identifient bien à la protagoniste, chaque livre nous la présente d’abord enfant.

Dans celui-ci, on suit le parcours de Rosa Parks, figure marquante de la lutte pour la fin de la ségrégation raciale. On la découvre d’abord petite, dans sa maison familiale de l’Alabama, alors qu’elle se heurte pour la première fois aux inégalités. « Chaque jour, Rosa regardait passer l’autobus scolaire qui conduisait les enfants blancs à leur grande école. Il ne s’arrêtait pas pour elle. Rosa devait faire un long trajet à pied pour se rendre à la minuscule école où s’entassaient tous les enfants noirs. » Le ton est vite donné.

En vieillissant, toujours éprise de justice, Rosa finira par poser son célèbre geste : refuser de céder sa place à un Blanc dans un autobus après sa journée de travail, ce qui la mènera en prison, puisqu’elle contrevenait ainsi à la loi.

Au fil de textes courts et faciles à suivre, joliment illustrés, les enfants en apprennent ensuite plus sur son implication dans la lutte pour les droits des Noirs, des femmes et des prisonniers. Voilà qui nous change agréablement des princesses. Reste à espérer que La courte échelle pourra négocier l’ajout de personnalités québécoises et canadiennes avec la maison d’édition espagnole de qui elle a acheté les droits de cette collection.

couverture de la revue.

En ouverture du texte liminaire de ce numéro de la revue littéraire Moebius, les deux directrices (Chloé Savoie-Bernard et Karianne Trudeau Beaunoyer) résument bien de quoi il retourne : « Des filles lasses d’être chuchotées sillonnent les pages de ce numéro, en appellent à une musique qui serait la leur. » Dans l’assemblage de nouvelles, de poèmes et d’essais qui suit, on croise entre autres une ballerine qui voudrait s’effacer, une jeune femme faisant des parallèles entre son avortement et le Québec qui ne veut pas naître, une conférencière universitaire exaspérée par la condescendance de ses collègues, une employée de parc national troublée par le cadavre d’un ours noir et une jolie garde-chasse, des prostituées désabusées… En prime, Alex Noël braque les projecteurs de manière éclairante sur trois grandes oubliées de l’art québécois : Mimi Parent, Ghitta Caiserman-Roth et Kittie Bruneau. Un texte d’Hélène Monette sur la mémoire, paru en 1996, est republié, et l’autrice de romans graphiques Julie Delporte écrit une lettre à l’écrivaine Pattie O’Green. Une matière à réflexion hétéroclite et singulière.