Aller directement au contenu

Voyager et changer le monde

Ceux et celles qui bouclent leur valise pour un périple de tourisme équitable l’ignorent sans doute, mais ils permettront peut-être aux femmes des communautés…

Date de publication :

Auteur路e :

Ceux et celles qui bouclent leur valise pour un périple de tourisme équitable l’ignorent sans doute, mais ils permettront peut-être aux femmes des communautés visitées de cheminer vers l’égalité. Les chiffres impressionnent. Selon l’Organisation mondiale du tourisme, la planète sera parcourue par 1,6 milliard de touristes en 2020. Et actuellement, on estime à 685 milliards de dollars les revenus qu’engendre le tourisme annuellement. Mais les conséquences du tourisme de masse sur les populations et les endroits visités, elles, ne se chiffrent pas : dégâts irréversibles aux écosystèmes, exploitation des communautés locales, gaspillage, effets nocifs sur les cultures… Il existe pourtant une autre façon de voyager, dans le respect de ceux qui nous accueillent et de leur environnement : le tourisme équitable. Diplômée en anthropologie et fondatrice de Mercure, une entreprise pour laquelle elle conçoit des circuits touristiques « alternatifs » au Mexique et à Cuba, Louise Constantin nous explique les tenants et aboutissants de cet outil fondamental du développement durable.

Le b.a.-ba du tourisme « alternatif »

L’organisatrice est consciente du problème : « Le tourisme équitable est très tendance. Pourtant, seule une infime minorité sait vraiment de quoi il s’agit. » Comment s’y retrouver ? Mme Constantin propose une classification simple. « D’abord, à côté du tourisme de masse, il faut distinguer une grande catégorie appelée le tourisme responsable. Au sein de celle-ci, il y a trois sous-catégories : le tourisme humanitaire, l’écotourisme et le tourisme équitable et solidaire. » Voilà déjà une chose de réglée. « On parle de tourisme humanitaire lorsque des gens participent à des activités bénévoles dans une communauté, poursuit-elle. Excepté pour quelques organismes sérieux qui offrent ce type d’expériences, je m’en méfie un peu. Le principal problème des communautés locales est de trouver du travail. Or, en allant travailler à leur place, même avec la meilleure volonté du monde, on risque de leur enlever le pain de la bouche. » Du côté du tourisme équitable, les choses semblent plus profitables. « C’est une relation d’échange entre des consommateurs et une communauté autonome qui fournit des services touristiques. En traitant directement avec les populations locales, on les aide à maintenir des emplois. Et au-delà de l’aspect économique, la relation qu’on noue avec les autochtones est vraiment forte. Ils nous apprennent à découvrir leur culture, leur milieu de vie, tandis qu’en venant chercher cet apprentissage, on leur prouve que leur culture est bien vivante. » À propos de l’écotourisme, peut-être le plus connu de tous, Louise Constantin émet là aussi des réserves. « En 2002, la conférence de l’ONU sur l’écotourisme en précisait deux principes : le respect de la nature et des populations locales. Mais ils ne sont pas toujours respectés. Par exemple, dans certains pays, l’armée chasse les populations locales pour qu’on puisse créer des couloirs biologiques… » Sachant en outre que 90 % du tourisme équitable relève également de l’écotourisme — les communautés vivent souvent dans des zones naturelles–, le choix semble évident. Louise Constantin aime citer l’exemple des anciens bûcherons mexicains de l’État du Michoacán. « En plus de la déforestation, leur activité menaçait l’habitat naturel des papillons monarques. Les villageois ont donc créé une réserve et se sont servis du tourisme pour générer un revenu durable et remplacer celui que leur apportait l’exploitation forestière. Ils sont devenus des gardiens de la forêt et des guides touristiques sans avoir besoin de s’expatrier. Leur réserve fait même partie de la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO! »

Les Mexicaines aux commandes

Qu’en est-il du lien entre tourisme équitable et condition féminine ? « Comme partout, le principal problème des femmes en Amérique latine est la pauvreté, rappelle Louise Constantin. Mais il y a aussi un machisme culturel très difficile à vivre : parfois, elles n’ont pas le droit de gérer leur salaire ou se retrouvent prisonnières d’une division traditionnelle des tâches. » Même si de sérieux efforts restent à faire pour que les femmes tirent équitablement profit des fruits de ce tourisme, quelques exemples prouvent qu’il peut aussi être d’une aide fondamentale dans la lutte pour l’égalité des sexes. C’est le cas de la belle histoire de la coopérative pérative de Mazunte, au Mexique. « En 1990, la tortue est devenue une espèce protégée. La communauté qui vivait de sa chasse s’est retrouvée dépourvue, raconte MmeConstantin. Avec l’aide d’un organisme communautaire, ses membres ont fait appel à la fondatrice de Body Shop. Sensibilisée à la cause des femmes, elle est venue à Mazunte et a proposé à 15 femmes de créer une coopérative de cosmétiques. Fait rarissime, elle leur a donné la recette de ses produits de beauté, à la condition qu’elles utilisent des produits naturels et adoptent une gestion écologique. Aidées par plusieurs bailleurs de fonds, dont le gouvernement canadien, ces Mexicaines se sont approvisionnées en végétaux auprès des agriculteurs locaux. Très vite, ça a marché. Les touristes ont afflué. Comme la coopérative gère directement les revenus et les redistribue à ses membres, les femmes ont pu avoir un salaire fixe et régulier toute l’année. Une fois le seuil de rentabilité atteint, elles ont voulu rembourser les fonds reçus, mais les bailleurs ont refusé. Elles ont donc utilisé l’argent pour aider une coopérative de protection des crocodiles, à La Ventanilla, qui a alors pu démarrer un projet d’écotourisme. En 2001, elles ont gagné un prix international. Là encore, elles ont décidé de remettre l’argent à une coopérative de produits alimentaires tenue par des femmes. Toute la région a bénéficié du succès de ce premier projet ! Aujourd’hui, les femmes de Mazunte offrent des formations partout sur la côte Pacifique et vendent leurs produits jusque dans les hôtels de Puerto Vallarta ! » Des exemples à garder en tête lorsque viendra le temps de planifier nos prochains voyages. Car c’est aussi en pratiquant un tourisme informé que l’on pourra, petit à petit, changer le monde