Aller directement au contenu

Comment la gynécologie s’est masculinisée

Quand la médecine s’est emparée du champ de l’obstétrique, elle a introduit son modèle patriarcal. Les choses ont-elles évolué depuis? Réponses.

Date de publication :

Auteur路e :

Coauteures : Sophie Chartier et Nadia Koromyslova

La santé reproductive a toujours été une affaire de femmes, jusqu’à ce que les médecins y mettent leur nez au 17e siècle. Retour sur l’histoire de la gynécologie, et sur la perte d’un savoir féminin.

« Les connaissances liées à la santé sexuelle et reproductive sont bien antérieures à l’avènement de la gynécologie occidentale. Dans l’Égypte ancienne, par exemple, on utilisait déjà le stérilet, sous une autre forme, mais le principe était connu », rapporte Magaly du projet Clito Curious, une plateforme d’éducation sexuelle féministe visant la démocratisation des savoirs anatomiques. Des papyrus datant de presque 2 000 ans avant notre ère indiquent en effet que la contraception était pratiquée avec des épines d’acacia finement broyées, mélangées à des dattes (considérées comme un spermicide) et à du miel, le tout étendu sur un tampon de fibre introduit profondément dans le vagin.

Le terme gynécologie vient du grec gyné (« femme ») et logia (« savoir »). La discipline en tant que spécialisation naît au 17e siècle en Europe, quand les médecins commencent à pratiquer des accouchements, chez les familles royales et bourgeoises d’abord. Ils introduisent progressivement l’anesthésie, l’utilisation de forceps et les normes antiseptiques.

Une naissance controversée

C’est au 19e siècle que les choses se gâtent. « L’histoire de la gynécologie est hyper trash. Elle est ancrée dans l’esclavage et elle est paternaliste et sexiste », affirme Charli Lessard, fondatrice du répertoire virtuel Gynéco Positive, qui recense les noms des praticien•ne•s de la santé respectueux•euses de la diversité sexuelle et des choix des patientes. La jeune femme fait notamment référence au « père » de la gynécologie, J. Marion Sims. Médecin en Caroline du Sud, il a conçu des instruments d’examen comme le spéculum et un traitement pour les fistules obstétricales (des lésions entre le vagin et le rectum dues à un accouchement difficile). Depuis une dizaine d’années, grâce au travail d’historiennes féministes, son statut de héros de la santé est remis en question : on sait maintenant que le médecin menait ses expérimentations sur des esclaves noires, sans les anesthésier ni obtenir leur consentement.

De plus, la majorité des hommes du 19e siècle n’ont foi que dans le progrès et la science. Des campagnes de dénonciation des sages-femmes, des guérisseuses et des recettes de grand-mère sont lancées, lors de véritables chasses aux sorcières. Bientôt, les lois garantissent que seuls les médecins peuvent effectuer des actes médicaux, et la plupart de ceux liés à la gynécologie et à l’obstétrique deviennent leur chasse gardée.

Photographie de Martin Winckler.

« Il va falloir entre 8 et 10 ans avant qu’on voie les changements qu’apportera la nouvelle génération de médecins. Les jeunes médecins que je croise aujourd’hui sont beaucoup plus sensibles aux questions d’inégalités, de discrimination en fonction du genre ou de l’appartenance culturelle. »

Martin Winckler, ex-médecin et auteur, proposant sur YouTube des vidéos sur la santé sexuelle des femmes

Pour l’auteur et ex-médecin Martin Winckler, « la mainmise médicale est liée au fait que pendant très longtemps, les accouchements se faisaient entre femmes, avec des sages-femmes. Elles ont été remplacées, car il y avait un désir de professionnalisation des médecins et des obstétriciens ». Mais selon lui, le secours de ces derniers « ne peut être justifié que lorsqu’une intervention chirurgicale est nécessaire ».

Résidus du patriarcat

« Quand la médecine s’est emparée du champ de l’obstétrique, elle a introduit son modèle patriarcal dans lequel les rapports de genres, de classes et de savoirs avantageaient nettement les médecins », ajoute Andrée Rivard, historienne et chercheuse associée à la Chaire Claire-Bonenfant de l’Université Laval, spécialisée en condition féminine. C’est dans ce contexte, par exemple, que la position allongée s’impose comme la norme pour accoucher. Dans les faits, elle est surtout pratique pour le ou la médecin, qui peut observer le travail, selon la plupart des intervenantes interrogées pour cet article.

« Les choses n’ont pas tellement changé depuis 100 ans. C’est comme si l’enfant comptait plus que la mère, que cette dernière était en quelque sorte considérée comme “porteuse”, comme un “réceptacle”. La violence, c’est là qu’elle se trouve », commente Mme Rivard, auteure entre autres d’Histoire de l’accouchement dans un Québec moderne (Les éditions du remue-ménage, 2014).

Malgré tous les progrès accomplis par la science pour la santé des femmes, il n’en reste pas moins que plusieurs d’entre elles font l’expérience désagréable de l’autorité du médecin ou se sentent traitées comme des objets, particulièrement pendant l’accouchement.

Ce transfert des connaissances vers la médecine aurait en effet transformé les corps des femmes en sortes d’objets d’usine, particulièrement en ce qui a trait aux naissances. « À partir du milieu du 20e siècle s’installe un système industrialisé de la naissance, avance Andrée Rivard. Il sert l’intérêt de l’État et celui des médecins. C’est à proprement dit du taylorisme, c’est-à-dire qu’on a appliqué la gestion scientifique du travail aux hôpitaux. Ce système hiérarchisé mise sur les outils et le contrôle minutieux du temps. »

Photographie de Andrée Rivard.

« Quand la médecine s’est emparée du champ de l’obstétrique, elle a introduit son modèle patriarcal dans lequel les rapports de genres, de classes et de savoirs avantageaient nettement les médecins. »

Andrée Rivard, historienne et chercheuse associée à la Chaire Claire-Bonenfant de l’Université Laval, spécialisée en condition féminine

Une nouvelle génération de gynécos féministes

Heureusement, un changement serait en gestation, selon Martin Winckler. « Il y a tout d’abord des évolutions individuelles : des femmes qui n’avaient pas l’impression qu’elles étaient maltraitées réalisent qu’elles le sont. »

La formation des médecins a aussi évolué, et les jeunes gynécologues sont de plus en plus des femmes, sensibles aux enjeux de respect et d’éthique. « Il va falloir entre 8 et 10 ans avant qu’on voie les changements qu’apportera la nouvelle génération de médecins, estime Martin Winckler. Les jeunes médecins que je croise aujourd’hui sont beaucoup plus sensibles aux questions d’inégalités, de discrimination en fonction du genre ou de l’appartenance culturelle. »

La gynécologie serait-elle mûre pour une nouvelle ère? Les femmes, elles, semblent prêtes.

Mythes, idées reçues et autres tabous

Le clitoris

Cet organe est le seul du corps humain qui a le plaisir comme unique fonction. Pourtant, les manuels d’éducation sexuelle en font très peu mention et le représentent souvent par un simple point sur le sexe féminin – quand ils le font. Pas étonnant qu’on le connaisse si mal! La partie visible du clitoris ne constitue en fait que la pointe de l’iceberg. L’ensemble de l’organe érectile mesure environ 10 cm de long. Sa forme est parfois comparée à un os de poulet (en deux parties, comme un embranchement d’autoroute) ou à un petit personnage (la tête pour sa proéminence, soit la partie visible du clitoris, et les bras et les jambes pour ses deux corps caverneux et ses deux bulbes, soit sa partie invisible). Il est important de démystifier le clitoris pour que s’opère un changement des mentalités. Mieux connaître son rôle et son fonctionnement peut aider les femmes à s’émanciper en devenant des sujets actifs de leur sexualité, plutôt que des objets passifs assujettis au désir de l’autre.

L’éjaculation féminine

Les avis divergent sur le sujet. Même la communauté scientifique n’arrive pas à se mettre d’accord sur ce qui compose l’éjaculat féminin. Selon différentes études, entre 10 et 40 % des femmes en Occident affirment avoir déjà évacué un liquide lors d’une stimulation sexuelle. Une étude réalisée en 2015 révèle, elle, que la majeure partie du liquide sécrété serait en vérité de l’urine, contenant parfois une petite quantité d’antigène prostatique spécifique, une protéine émise par les glandes de Skene – l’équivalent féminin de la prostate. Bref, il reste encore beaucoup de zones d’ombre concernant l’éjaculation des femmes, mais les spécialistes ne peuvent, à ce jour, statuer avec certitude qu’elle n’existe pas.

La nymphomanie

Autrefois employé pour décrire ce qu’on percevait comme une sexualité pathologique – le désir et l’appétit sexuels chez les femmes ont longtemps été vus comme des comportements déviants –, le terme nymphomane n’a aujourd’hui plus de valeur médicale. Alors que la dépendance sexuelle est un trouble psychologique qui touche autant les hommes que les femmes, on utilise encore ce qualificatif pour ridiculiser celles qui ont une sexualité affirmée et active.

La première relation sexuelle

Le mythe de la virginité est puissant : on continue à enseigner aux jeunes filles que la première relation sexuelle perce l’hymen et que c’est ce qui est douloureux. Faux! (Surtout que certaines femmes n’ont même pas d’hymen…) En fait, on peut souvent attribuer les douleurs de la première fois à l’inexpérience. Elles peuvent s’expliquer autant par la contraction musculaire – provoquée par la peur, justement, d’avoir mal – que par le manque de lubrification dans le vagin. Et si on arrêtait de dire aux filles qu’elles auront mal? Leur première fois serait peut-être moins angoissante…

La ménopause

Même si le cinéma, la télé, les médias ou les réseaux sociaux nous montrent rarement des personnes de plus de 60 ans en pleins ébats sexuels, le sexe ne s’arrête pas après la ménopause. Oui, les dérèglements hormonaux qui s’ensuivent peuvent entraîner certains désagréments qui affectent la vie sexuelle, comme la diminution de la lubrification vaginale. Mais les sexologues estiment qu’une majorité de femmes peuvent jouir d’une vie sexuelle active toute leur vie.