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Quand les femmes autochtones s’approprient l’université

Monde universitaire et réalités autochtones : plus d’ouverture

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« L’éducation nous a plongés dans ce dégât… et c’est l’éducation qui va nous en sortir. » Prononcées en juillet 2017 par Murray Sinclair, commissaire en chef de la Commission de vérité et réconciliation, ces paroles s’entendent à la fois comme un sombre constat et une promesse d’espoir pour les Premières Nations, les Inuit•e•s et les Métis•ses. Discussion avec des femmes qui participent à rendre l’université plus autochtone.

En réponse aux recommandations de la Commission de vérité et réconciliation pour rendre l’éducation universitaire plus autochtone, plusieurs universités canadiennes agissent pour mieux refléter la réalité des peuples autochtones du Canada. Comment? Entre autres en faisant rayonner des intellectuelles et des artistes féminines qui s’engagent à défendre des droits longtemps brimés, à rappeler la vulnérabilité de leur existence, à remémorer leurs traditions et à transmettre des savoirs et des langues effacés par les pensionnats*.

Enseigner le droit autrement

L’une d’elles est Naiomi Metallic, avocate mi’gmaq spécialisée en affaires autochtones. Depuis 2016, Me Metallic est chancelière en politiques et lois autochtones à son alma mater, l’Université Dalhousie, à Halifax. Ce mandat l’amène à intégrer la réalité autochtone au curriculum de la Faculté de droit, à enseigner et à être mentore pour des étudiant•e•s. « Le poste a été créé dans la foulée des actions recommandées par la Commission de vérité et réconciliation », indique en entrevue celle qui a grandi près de Listuguj, une réserve micmaque de la Gaspésie.

Photographie de Naiomi Metallic.

« Il est impératif que l’ensemble des Canadiens se montrent concernés par les enjeux autochtones et reconnaissent l’impact de la colonisation. Sans parler des barrières systémiques dont personne ne parle, qui ont été créées en partie par la culture populaire et les médias qui ont nourri des visions stéréotypées des personnes autochtones. »

Naiomi Metallic, avocate mi’gmaq spécialisée en affaires autochtones et chancelière en politiques et lois autochtones à l’Université Dalhousie

C’est en fouinant dans les rayons de la bibliothèque de Dalhousie, à l’époque où elle étudiait au bac en histoire, que Naiomi Metallic a pris conscience de l’oppression des peuples autochtones par l’État canadien, par le biais d’ouvrages comme The Unjust Society de Harold Cardinal. « Ces lectures m’ont ouvert les yeux », affirme-t-elle.

Considère-t-elle que les femmes autochtones ont la possibilité et le pouvoir de réparer les blessures du passé? « Oui, pourvu qu’il s’agisse d’un effort concerté entre l’ensemble de la population et les universitaires autochtones. La situation ne pourrait pas être pire qu’elle l’est aujourd’hui pour les autochtones : nos communautés ont besoin de beaucoup de guérison. Pour y arriver, il faudra des changements significatifs du système légal », expose l’avocate.

Elle remarque cependant certaines avancées significatives dans le milieu universitaire, comme le programme conjoint de common law et droit autochtone à l’Université de la Colombie-Britannique et le cours obligatoire de traditions juridiques autochtones à l’Université McGill. « Il est impératif que l’ensemble des Canadiens se montrent concernés par les enjeux autochtones et reconnaissent l’impact de la colonisation. Sans parler des barrières systémiques dont personne ne fait mention, qui ont été créées en partie par la culture populaire et les médias qui ont nourri des visions stéréotypées des personnes autochtones. »

Pour Naiomi Metallic, occuper un poste clé dans le monde universitaire est avant tout un levier pour poursuivre sa mission orientée vers la justice sociale. « Ma pratique en droit autochtone m’a permis d’accorder plusieurs entrevues à différents médias, sur une foule de sujets. Mais avec ce nouveau poste à Dalhousie, je suis continuellement invitée comme conférencière ou présentatrice. La plupart du temps, je suis même dépassée par la somme des invitations! »

Photographie de Niigaan Sinclair.

« Nous sommes devenus une force politique, sociale et économique considérable sur les campus canadiens. Mais à présent, il est impératif que les universités embauchent des profs autochtones et que les programmes d’études incluent des contenus autochtones. »

Niigaan Sinclair, auteur anichinabé et directeur du programme d’études supérieures du Département d’études autochtones de l’Université du Manitoba

Réclamer le territoire et le savoir

Pour rendre l’université plus autochtone, il faut refaire les curriculums à l’image de la réalité des peuples autochtones et attribuer des prix et des bourses d’études pour favoriser la recherche et l’accès aux études supérieures. Certaines universités canadiennes ont aussi adopté la coutume d’honorer, par leur dénomination, les origines autochtones du territoire qu’elles occupent. D’autres ont renommé des bâtiments et érigé des statues à l’effigie de personnalités autochtones importantes.

Pour l’auteur anichinabé Niigaan Sinclair, qui dirige le programme d’études supérieures du Département d’études autochtones de l’Université du Manitoba, ces initiatives n’ont du sens qu’à condition que des investissements significatifs soient consacrés au projet de rendre l’université plus autochtone.

« Nous sommes devenus une force politique, sociale et économique considérable sur les campus canadiens. Mais à présent, il est impératif que les universités embauchent des profs autochtones et que les programmes d’études incluent des contenus autochtones. Et ce, tout autant pour les programmes de dentisterie, de travail social ou de droit, où la représentation autochtone est faible. »

Rendre l’université attrayante

Autre point important de la démarche : il faut rendre l’université pertinente et invitante pour les étudiants autochtones.

Depuis septembre 2017, après 16 ans de pratique professionnelle, l’auteure et dramaturge d’origine anichinabée Lisa C. Ravensbergen fait un retour sur les bancs de l’Université Queen’s, à Kingston, dans le programme de Cultural Studies, où sont entre autres enseignées les humanités et les sciences sociales. C’est un collaborateur de longue date et professeur à Queen’s, Dylan Robinson, qui l’a invitée à venir y approfondir sa pratique professionnelle.

Elle fait état de tout ce qui doit changer pour que l’université devienne un lieu où se reconnaîtront les étudiants autochtones. « Si je suis ici, ce n’est pas vraiment parce que c’est Queen’s, mais plutôt pour les collaborations possibles avec d’autres artistes et penseurs autochtones, même si nous sommes peu nombreux ici », soutient l’artiste, qui déplore que le monde universitaire demeure un lieu très blanc et homogène, où les privilèges (comme l’accès à la mobilité professionnelle) ont la couenne dure.

Certes, l’université a évolué depuis les années 1990, époque où Lisa Ravensbergen étudiait en théâtre. Mais les pouvoirs coloniaux maintiennent leur hégémonie, dit-elle en attirant notre attention sur l’architecture du pavillon de Queen’s où a lieu notre entrevue. « Regarde juste la façon dont les bâtiments sont pensés; c’est un autre reflet d’une impulsion coloniale qui divise les lieux pour perpétuer des rapports hiérarchiques. Je peux concéder que des changements ont été apportés pour rendre l’espace plus accueillant : des conférences sur les affaires autochtones, des associations comme Four Directions [qui se consacre à l’accueil des étudiants autochtones]. Mais c’est vraiment juste la base », dit Lisa C. Ravensbergen qui, comme artiste et chercheuse, est très intéressée par les nouvelles questions, les nouvelles définitions, les nouveaux langages qu’apportent les artistes autochtones à l’heure actuelle.

Implanter des changements systémiques pour faire évoluer le monde de l’éducation demande un éveil des consciences au savoir et aux compétences autochtones. Et pour les pouvoirs en place, cela entraînera la perte de privilèges tenus pour acquis afin de favoriser le leadership autochtone. « Ça va demander beaucoup de travail », concède Naiomi Metallic avant de reprendre les paroles de l’avocate autochtone Pamela Palmater : « Si c’est confortable, ce n’est pas de la réconciliation. »

* De 1831 à 1996, le gouvernement canadien a mis en place plus de 130 pensionnats pour les enfants autochtones dans le but avoué de « tuer l’Indien dans l’enfant ». Ces enfants, qu’on estime au nombre de 150 000 et qui ont été littéralement arrachés à leur famille, étaient sévèrement punis, voire subissaient des sévices lorsqu’ils parlaient leur langue maternelle, pratiquaient leurs rites, etc.