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Proche aidance : un portrait qui donne l’heure juste

La proche aidance : ce travail invisible qui repose souvent sur les épaules des femmes

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L’organisation des services et des soins de santé s’est grandement transformée au cours des dernières décennies, pour s’orienter de plus en plus vers le soutien à domicile. Le Conseil du statut de la femme s’est penché sur cette réalité dans une récente étude sur la proche aidance, et montre que les femmes sont encore les plus mobilisées pour prendre soin des autres.

« Depuis les années 1990, on assiste à un virage important dans le milieu de la santé qui fait que plusieurs soins ont été renvoyés vers le domestique », explique Joëlle Steben-Chabot, l’une des chercheuses ayant mené l’étude Les proches aidantes et les proches aidants au Québec. Analyse différenciée selon les sexes*. « Quand l’organisation des soins de santé repose sur le maintien à domicile, ça retombe dans la cour des familles. Dans ce contexte, on constate que les femmes effectuent beaucoup de tâches en soutien à leurs proches. »

Photographie de Joëlle Steben-Chabot.

« Dans les politiques publiques, on dit que les personnes proches aidantes sont des partenaires qui font le choix libre et éclairé d’assumer ces tâches, alors que bien souvent, elles se sont senties obligées de le faire. »

Joëlle Steben-Chabot, chercheuse à la Direction de la recherche et de l’analyse au Conseil du statut de la femme

Selon la Politique de soutien à domicile du gouvernement du Québec, « toute personne de l’entourage qui apporte un soutien significatif, continu ou occasionnel, à titre non professionnel, à une personne ayant une incapacité est considérée comme proche aidant ». On apprend dans la publication du Conseil qu’environ le quart de la population québécoise se trouverait en situation de proche aidance. Parmi eux et elles, 58 % sont des femmes, et 42 % des hommes. Un écart entre les sexes plus marqué que dans le reste du Canada.

L’étude montre que les Québécoises sont plus nombreuses à prendre soin d’un parent ou d’un beau-parent, soit environ 402 700 femmes pour 296 000 hommes. Par ailleurs, autant d’hommes que de femmes prennent soin de leur partenaire de vie (environ 80 200 hommes et autant de femmes), nous dit l’étude.

Des réalités différentes selon le sexe

La proche aidance se vit différemment selon le sexe, rapporte le Conseil. Environ un tiers des femmes sur le marché du travail sont aussi des proches aidantes, tandis que c’est le cas d’un homme en emploi sur cinq. « En plus de travailler, certaines ont également des enfants à la maison. Alors si on ajoute des tâches pour prendre soin d’un parent, on ajoute beaucoup de stress. Cela a des impacts sur la santé physique et émotionnelle des femmes », note la chercheuse.

Mme Steben-Chabot explique que les tâches accomplies sont également différentes selon le sexe. Pour l’ensemble des types de soutien, on dénombre davantage de femmes que d’hommes, sauf pour les travaux de réparation et de rénovation de la maison. « La charge mentale repose encore beaucoup sur les femmes », commente la chercheuse. Les tâches qui demandent un investissement plus important, telles que les traitements médicaux, les soins personnels, les travaux domestiques et le soutien émotionnel, sont plus souvent accomplies par les femmes. « Il y a une importante division sexuelle du travail. Ce sont encore les femmes qui font le plus d’heures et qui accomplissent les tâches dites plus féminines. »

Épuisement, isolement, perte de revenus : la proche aidance peut avoir de nombreuses conséquences néfastes sur la vie des femmes. Elles ont également moins de temps pour les loisirs ainsi que pour prendre soin d’elles-mêmes (exercice physique, alimentation saine…). « Elles sont plus nombreuses à déclarer que ces responsabilités sont très stressantes. Dans les politiques publiques, on dit que les personnes proches aidantes sont des partenaires qui font le choix libre et éclairé d’assumer ces tâches, alors que bien souvent, elles se sont senties obligées de le faire », affirme Joëlle Steben-Chabot.

Un travail invisible

Si l’État mise de plus en plus sur le soutien à domicile, c’est que celui-ci permettrait de faire des économies importantes. Selon une étude réalisée en 2015 par des chercheurs•euses de l’Université de Montréal, si le travail de proche aidance était effectué par des employé•e•s du système public au salaire minimum, il en coûterait environ 3,95 milliards de dollars à l’État québécois. En d’autres mots, il s’agit de travail invisible. Ils et elles soulignent que si ce travail n’est pas pris en compte dans les calculs des politiques publiques, il représente un coût important pour les personnes et les établissements concernés.

Les personnes proches aidantes doivent souvent payer avec leur argent personnel du matériel de soutien et prendre de nombreux congés du travail, ce qui entraîne une baisse de revenus. Certaines femmes décident de partir à la retraite plus tôt. « Au Canada, l’absentéisme en raison de ces responsabilités coûtait, au début des années 2000, près d’un milliard de dollars par année aux entreprises en coût direct, montant auquel peuvent s’ajouter de un à deux milliards de dollars en coût indirect », précise l’étude du Conseil.

Des pistes de solution

Comment éviter les problèmes d’épuisement qui touchent principalement les femmes en lien avec la proche aidance? Pour le Conseil du statut de la femme, il faut d’abord une socialisation plus égalitaire au sein des familles. « Le travail domestique repose encore essentiellement sur les femmes parce qu’elles sont socialisées à le faire. Il faut qu’il y ait un meilleur partage au sein des familles. Que les fils et les frères soient amenés à prendre plus de responsabilités », résume Joëlle Steben-Chabot.

Le Conseil juge que le travail salarié, y compris les emplois traditionnellement masculins, devrait prendre en compte différentes nouvelles réalités, dont le vieillissement de la population, et faire preuve de flexibilité pour permettre aux employé•e•s de s’occuper de leurs proches.

À noter que les crédits d’impôt et autres formes de soutien financier demeurent extrêmement faibles pour les proches aidant•e•s. « Un soutien financier bonifié pour la proche aidance pourrait prévenir certains problèmes d’épuisement et limiter les inégalités qui la structurent, mais la question de l’accessibilité et de la qualité des services publics est également incontournable et devra faire l’objet d’une étude approfondie », conclut le Conseil dans sa publication.

* Ce portrait statistique sera suivi, d’ici la fin de l’année 2018, d’un avis exhaustif du Conseil sur la question des soins donnés aux aînées, lequel sera transmis au gouvernement du Québec. Pour consulter le microsite synthèse du portrait, c’est ici.

Proche aidant•e ou aidant•e naturel•le?

L’expression aidant•e naturel•le a été critiquée par les féministes puisqu’elle « suggère que les soins fournis relèvent davantage d’une pratique innée et simple que d’un travail de soin systématique et complexe, peut-on lire dans l’étude du Conseil du statut de la femme. Cette conception minimise et dissimule l’assignation des femmes à cette responsabilité et participe donc au maintien d’une division sexuelle et inégale des tâches (Guberman, 1987; Therrien, 1989). Considérer cette aide comme “naturelle” contribue également à maintenir une distance entre le travail – valorisé – des professionnelles et des professionnels de la santé et des services sociaux et le travail moins reconnu des proches aidantes et des proches aidants. »

L’auto-évaluation : relativement fiable

Les données statistiques sur la proche aidance reposent sur l’auto-évaluation des personnes. Plusieurs considèrent qu’aider son proche est « normal », et ne s’identifient donc pas comme proches aidant•e•s. Comme on l’observe avec l’évaluation du travail domestique au sein des ménages, en se comparant à leur mère, les femmes ont tendance à sous-évaluer leur réelle contribution. À l’inverse, les hommes se comparent avec leur père et jugent qu’ils accordent beaucoup plus de temps à ce type de travail. Ils tendent alors à surévaluer leur contribution.