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Vers des césariennes plus humaines

Naissances par césarienne : il serait temps de voir ça autrement!

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Pratiquée lors de 25 à 30 % des accouchements au Québec, la césarienne n’est pas une procédure banale. Si ses répercussions sur la santé et le rétablissement des femmes ne sont plus à prouver, ses conséquences psychologiques sont de plus en plus reconnues. Et, dans la foulée, nombreuses sont celles qui espèrent ardemment l’arrivée dans nos hôpitaux des césariennes dites douces.

Mieux connue sous le nom de gentle C-section, la césarienne dite douce ou naturelle est une approche qui a été élaborée à Londres il y a environ huit ans, par la maternité du Queen Charlotte’s and Chelsea Hospital. Depuis, de nombreux hôpitaux en Europe et ailleurs l’ont adoptée, ou du moins s’en sont inspirés pour améliorer leurs pratiques.

Le but de cette césarienne revisitée : se rapprocher le plus possible d’un accouchement par voie basse. Plusieurs éléments de la chirurgie entrent en jeu, mais cette humanisation repose sur trois facteurs principaux : 1) aucun drap ne dissimule l’enfant à sa mère pendant la césarienne, de sorte qu’elle puisse le voir naître; 2) on effectue un clampage tardif du cordon ombilical, qui aurait notamment pour effet de réduire les risques de carence en fer chez le bébé; 3) les parents pratiquent le peau à peau dès la naissance et la mère et l’enfant ne sont pas séparés.

Photographie de Nicole Pino.

« Je pense qu’il est important de réaliser qu’une césarienne n’est pas une procédure chirurgicale comme une autre. C’est une étape majeure dans la vie d’une femme, qui la marque à jamais. »

Nicole Pino, cocoordonnatrice du Regroupement Naissance-Renaissance

Fait intéressant, cette technique chirurgicale encourage à ne pas exercer de pression sur le bébé : une fois l’incision de l’utérus effectuée, le nouveau-né se dégage de lui-même grâce aux contractions et à la respiration de la mère. S’il présente des signes de détresse, les médecins peuvent évidemment intervenir.

Cette manière d’aborder la naissance par césarienne en fait rêver plusieurs. « Je crois que ce qui m’a dérangée le plus lors de ma césarienne, c’est de n’avoir pas pu prendre mon enfant immédiatement pour faire du peau à peau. Je l’ai entrevu quelques secondes, puis revu quelques heures plus tard. C’était déchirant », raconte Isabelle. Son sentiment n’est pas inhabituel. Nombreuses sont les femmes qui, bien qu’acceptant la césarienne elle-même, déplorent le manque d’humanité entourant la procédure. Parmi les autres critiques formulées : l’impossibilité de pratiquer le clampage tardif et de voir la naissance, l’ambiance de sérénité gâchée par des discussions banales entre les professionnels de la santé, etc.

Photographie de Lorraine Fontaine.

« La césarienne est perçue comme une intervention d’urgence, une question de vie ou de mort. Or, il y a des niveaux de sévérité et des circonstances à prendre en compte. Pourtant, même dans les cas de césariennes sans anesthésie générale, la séparation mère-enfant est encore commune dans les premières heures de vie. »

Lorraine Fontaine, cocoordonnatrice du Regroupement Naissance-Renaissance

Portrait de la césarienne au Québec

Sollicités pour une entrevue au sujet de la césarienne dite douce, plusieurs établissements hospitaliers du Québec ont décliné notre demande, affirmant ne pas être assez familiers avec la méthode européenne. Toutefois, certaines procédures de la césarienne humanisée sont de plus en plus pratiquées, notamment le peau à peau à la naissance. « Dans nos trois hôpitaux (LaSalle, Lakeshore et le Centre hospitalier de St. Mary), nous travaillons à mettre le bébé en contact peau à peau avec les parents immédiatement après la naissance jusqu’à la fin de l’opération. C’est une des mesures mises en place depuis 2011 avec l’Initiative des hôpitaux amis des bébés [NDLR : un programme de l’OMS visant la création de milieux de soins où l’allaitement maternel constitue la norme] », nous explique-t-on du côté du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

Même son de cloche du côté du CHU de Québec. « Actuellement, le peau à peau peut être pratiqué dans le cadre d’une césarienne. Pour ce qui est des pratiques européennes, somme toute émergentes, l’Unité d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé du CHU de Québec-Université Laval pourrait évaluer la possibilité de les implanter si les réalités locales le justifiaient », explique Lindsay Jacques-Dubé, aux communications de l’institution.

« En ce moment, les obstacles qui persistent à la mise en place de telles césariennes sont principalement d’ordre organisationnel », affirme le Dr Guy-Paul Gagné, obstétricien-gynécologue et directeur du programme AMPROOB (Approche multidisciplinaire en prévention des risques obstétricaux). Financé par le gouvernement du Québec et implanté dans tous les centres hospitaliers de la province depuis 2008, ce programme incite les professionnels des établissements à suivre les directives cliniques nationales ainsi que des formations visant à améliorer la pratique obstétricale.

Photographie du Dr Guy-Paul Gagné.

« L’humanisation des naissances, y compris par césarienne, a des avantages désormais reconnus pour le nouveau-né, la mère, le lien d’attachement, le succès de l’allaitement. Tous les établissements ne sont pas rendus au même niveau, mais une conscientisation s’effectue. »

Dr Guy-Paul Gagné, obstétricien-gynécologue et directeur du programme Approche multidisciplinaire en prévention des risques obstétricaux

« Les pratiques entourant la césarienne dite douce nécessitent souvent du personnel supplémentaire dans la salle d’accouchement, en plus de formations dans la salle d’opération pour ce qui est de la gestion d’un nouveau-né », précise-t-il. Toutefois, l’obstétricien est convaincu que nous sommes sur la bonne voie. « Actuellement, au Québec, tous les hôpitaux y travaillent. L’humanisation des naissances, y compris par césarienne, a des avantages désormais reconnus pour le nouveau-né, la mère, le lien d’attachement, le succès de l’allaitement. Tous les établissements ne sont pas rendus au même niveau, mais une conscientisation s’effectue. »

Donner naissance, ça marque

Cette conscientisation touche surtout l’aspect psychologique entourant l’accouchement. Lorraine Fontaine et Nicole Pino, cocoordonnatrices du Regroupement Naissance-Renaissance, rencontrent régulièrement des femmes profondément bouleversées par leurs expériences, et qui se les remémorent dans les moindres détails des décennies plus tard.

« Je pense qu’il est important de réaliser qu’une césarienne n’est pas une procédure chirurgicale comme une autre. C’est une étape majeure dans la vie d’une femme, qui la marque à jamais », souligne Nicole Pino. En ce sens, il est d’autant plus nécessaire, selon elle, d’instaurer des procédures plus douces, principalement en ce qui a trait à la séparation de la mère et de l’enfant. « La césarienne est perçue comme une intervention d’urgence, une question de vie ou de mort. Or, il y a des niveaux de sévérité et des circonstances à prendre en compte, renchérit Lorraine Fontaine. Pourtant, même dans les cas de césariennes sans anesthésie générale, la séparation mère-enfant est encore commune dans les premières heures de vie. »

Peu importe la gravité de la situation, prendre le temps d’informer adéquatement les parents, en utilisant un langage doux, a une grande incidence sur le bien-être psychologique de la mère. « Dans mon cas, ce n’est pas tant la césarienne qui m’a dérangée, mais le fait qu’on ne me tenait au courant de rien, qu’on me parlait presque sèchement. J’avais l’impression de ne pas faire partie de l’équation », raconte Tania.

Le Dr Gagné comprend qu’il reste du travail à faire. « Déjà, les professionnels de la santé qui pratiquent le peau à peau en salle d’opération ont remarqué que cette approche crée automatiquement une ambiance plus douce et solennelle. Les intervenants prennent conscience de l’importance du moment. »

Attention à la banalisation

Nicole Pino et Lorraine Fontaine tiennent toutefois à émettre certaines mises en garde visant la césarienne humanisée. Premièrement, elles rejettent d’emblée le terme césarienne naturelle, qui circule de plus en plus. « Ça reste une chirurgie majeure! D’ailleurs, l’OMS recommande des taux de pratique oscillant entre 5 et 15 %. Or, dans certains hôpitaux au Québec, on frôle plutôt le double, soit 30 % », avance Lorraine Fontaine.

Dans un rapport publié en 2016, l’Observatoire des tout-petits a noté une hausse marquée des césariennes entre 2002 et 2016 : elles sont passées de 20,9 % à 24,9 %. Évidemment, cette intervention chirurgicale s’avère parfois nécessaire. Mais elle n’est pas sans risques (infections, hémorragie, difficultés à entamer l’allaitement, etc.).

« Il faudrait juste faire attention à ne pas arrêter d’essayer de réduire les taux de césariennes sous prétexte qu’on va les rendre plus douces », conclut Lorraine Fontaine.