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Féministes à la page, prise 3

De la lecture féministe, parfait pour traverser l’hiver!

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On poursuit ce qui s’annonce désormais comme une tradition : des recensions de livres qui titilleront votre fibre féministe et l’amèneront à s’épanouir. Et qui vous pousseront à vous questionner, surtout, pour mieux avancer.

Pourquoi les filles ont mal au ventre de Lucile de Peslouän et Geneviève Darling (ill.)

Page couverture du livre.

Que voilà un album pertinent et accessible, à mettre entre les mains des ados, garçons comme filles, mais aussi des adultes! Loin d’être un manuel médical, ce manifeste illustré – qui fut d’abord un fanzine, en 2014 – relate plutôt en quelques phrases les inégalités, les paradoxes et les stéréotypes qui nous hérissent – ou qui devraient avoir cet effet. Par exemple : « Les filles ont mal au ventre quand on dit d’un homme qu’il est moderne parce qu’il cuisine et fait les courses alors que, pour elles, c’est tout à fait normal de le faire » ou « Les filles ont mal au ventre de servir de butin dans les conflits armés, qu’on les viole comme on pille les villes et les maisons durant le chaos des guerres ». Des irritants du quotidien aux grands problèmes de société, les enjeux féministes d’ici et d’ailleurs sont abordés de façon simple et efficace : allaitement en public, culte de l’apparence, éducation genrée, mariages forcés, épilation, taxe rose, sous-représentation des femmes racisées, inégalités salariales, excision, crimes d’honneur, consentement… Chaque page est joliment illustrée, entre le prosaïque et le poétique, ce qui vient enrichir la réflexion qu’engendre la lecture de ces aphorismes allant droit au but, mais sans souci de provocation. Instructif et inspirant.
Aux Éditions de l’Isatis

Le monde est à toi de Martine Delvaux

Page couverture du livre.

Dans cette longue lettre à sa fille, la féministe bien connue et professeure de littérature à l’UQAM ouvre son cœur, examine l’éducation qu’elle a donnée et donne toujours à sa descendante, revient sur son parcours de féministe et sur ses sources d’inspiration, s’interroge sur l’avenir, et révèle l’amour sans bornes qu’elle porte à son ado qui l’éblouit chaque jour. Ce qu’elle ne fait pas, c’est donner des leçons ou des indications visant à faire de sa fille une « bonne » féministe. Avec une humilité qui fait du bien à lire, elle avoue d’ailleurs ne pas l’élever en tant que féministe, et ne détenir aucune vérité. « Je veux simplement essayer d’écrire sur ce que ça peut vouloir dire, ce que ça veut dire, pour moi, d’avoir une fille. » En intellectuelle qui réfléchit, analyse, soupèse, Martine Delvaux expose aussi son regard sur le monde, sur le « nous » qui fait fi des différences et qui semble par bonheur aller de soi chez les jeunes, sur l’interférence entre maternité et écriture, sur l’importance de prendre conscience de ses privilèges, ou sur la dévaluation systématique de ce qu’aiment les femmes, particulièrement les adolescentes, comme si c’était trivial et peu digne d’intérêt. Ce qu’elle souhaite avant tout à son Élie, c’est de comprendre que le monde est à elle, de ne jamais craindre de prendre sa place, une place entière, qui lui revient de droit, et d’user de sa liberté. « Je ne sais pas quel genre de vie tu vas mener, mais j’espère que tu n’oublieras jamais que tu as le droit d’en changer le cours. »
Chez Héliotrope

Larguer les amours (collectif sous la direction de Marie Lamarre et Maryse Latendresse)

Page couverture du livre.

Des scénaristes, autrices, réalisatrices, journalistes, poètes ont affûté leur plume pour relater un moment de fission, de fracas, de chaos émotionnel : la rupture amoureuse – le titre vous aura sans doute mis la puce à l’oreille sur le thème. Dans ces textes fictifs ou inspirés d’expériences vécues, on croise des femmes qui souffrent, qui veulent plus, qui s’ennuient à mourir, qui rêvent d’un ailleurs où recommencer, et d’autres qui n’arrivent pas à couper les ponts pour de bon, qui hésitent, qui doutent, ou qui se font carrément larguer. Si plusieurs personnages ou narratrices semblent soumises au besoin d’exister dans le regard d’un homme, parfois au point de s’oublier, on salue chez elles la volonté de s’extirper de situations qui leur broient le cœur ou l’estime de soi, et de respecter leurs besoins et leurs envies. Parmi les nouvelles qui se démarquent, l’histoire terriblement touchante d’une adolescente amoureuse de son beau-père (« Même pas nous » de la scénariste et réalisatrice Ariane Louis-Seize) et le récit de l’évolution de la gestion des peines d’amour (« Stop-motion » de l’écrivaine Madeleine Allard). Recommandation : si vous avez la mélancolie facile ou le cœur encore à vif d’une récente séparation, lisez-le en pièces détachées, car l’accumulation d’histoires d’amours qui se délitent finit par causer une certaine lourdeur.
Chez Tête première

Les angles morts. Perspectives sur le Québec actuel d’Alexa Conradi

Page couverture du livre.

L’ancienne présidente de la Fédération des femmes du Québec (2009-2015) est sortie amochée des débats sur l’islam et de la crise de la Charte des valeurs québécoises, tellement qu’elle s’est exilée en Allemagne pour panser ses plaies. Cet éloignement lui a permis de décanter ses idées sur tout ce qui fait que le Québec n’est pas aussi égalitaire qu’il le croit. Elle les a rassemblées dans cet essai somme toute très personnel, où se glisse le récit d’expériences vécues, de rencontres marquantes avec des militantes féministes, des difficultés qu’elle a connues lorsqu’elle était à la FFQ. Mais le cœur du propos demeure le regard qu’elle pose sur ce qu’elle nomme les angles morts, là où « résident les vérités que nous ne voulons pas admettre », en faisant une lecture féministe des grands enjeux politiques. Le colonialisme, le racisme, l’islamophobie, la violence, la droite nationaliste, la culture du viol passent sous sa loupe. Derrière ces problèmes de société, la peur – ancrée depuis longtemps – des Québécois•es de disparaître, qui nourrit la crainte de l’autre, ainsi que nos nombreux réflexes inconscients qui entretiennent les inégalités. Alexa Conradi dénonce surtout les ravages du capitalisme néolibéral, qui entraîne de la violence sexuelle et raciale, aggrave la précarité et tue « la beauté, la justice et l’espoir ». Ce qu’elle nous souhaite, c’est une liberté profonde, pour toutes et tous, qui passerait par un nouveau cadre politique et économique. Et selon elle, c’est une réelle solidarité qui permettrait d’atteindre cet idéal : « Si nous voulons construire un mouvement capable de renverser l’ordre dominant, je nous invite à ne pas opposer le bien commun aux intérêts des femmes et des minorités. Je nous propose au contraire de viser une société libre qui refuse toute forme de domination et qui embrasse l’idée que la définition du bien commun est à réinventer. À mon avis, ce sont les féministes qui montrent la voie à suivre. »
Aux Éditions du remue-ménage