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Une maison, deux familles

Cohabitation de jeunes familles : partage, soutien et répit au menu

Date de publication :

Après l’accouchement, les mères se sentent souvent seules et épuisées. Se regrouper à plusieurs familles dans une maison où on partage tout, est-ce un bon moyen pour elles de briser l’isolement et de retrouver plus rapidement leur autonomie? Des femmes témoignent de leur expérience.

En avril 2017, Catherine Villeneuve et Mathieu Larouche ont fait comme de nombreux couples trentenaires qui se préparent à la venue de leur premier enfant : ils ont acheté une maison.

Porté par un désir de vivre autrement, le couple a poussé un peu plus loin la réflexion : il a décidé d’acheter une maison avec un couple d’amis avec enfant. Cette idée n’est pas sortie de nulle part : Catherine et Mathieu cohabitaient déjà dans une grande maisonnée de neuf personnes lorsqu’ils ont décidé de se lancer dans cet achat d’envergure.

Installés depuis mai 2017, les deux couples font le pari qu’ils arriveront à cohabiter sans heurts de nombreuses années, mais surtout, à s’entraider dans leurs débuts de parentalité. En plus de diminuer les frais, ils vivent une expérience de ménage collectif.

Photographie de Catherine, Mathieu et leur enfant.

« Il y a souvent des invités chez nous. Catherine et moi sommes rarement seules. Et si on veut sortir le soir, un seul adulte peut rester à la maison pour garder les bébés. »

Rosalie Hudon-Voyer, mère de 25 ans ayant fait le choix de la cohabitation

Bienvenue dans le monde des communautés d’intention, le nouveau visage des communes – sans échange de couples! – des années 1960. Ces regroupements assez marginaux prennent forme autant en milieu urbain que rural, et leurs membres sont unis par des valeurs et un projet communs.

Tâches partagées, mamans délestées

À Sherbrooke, sur un tronçon ombragé et tranquille du boulevard Queen-Victoria, Catherine, Mathieu et Abigaël (2 semaines), et Rosalie Hudon-Voyer, Rémi Tavon et Léonard (6 mois) partagent beaucoup : tâches ménagères, repas, activités sportives, philosophie de vie. Sans compter leur amitié indéfectible.

Photographie de Catherine et son enfant.

« Avoir un répit fait en sorte que je suis plus disponible et en meilleure forme pour m’occuper de mon enfant. »

Catherine Villeneuve, jeune mère qui a fait le choix de la cohabitation

Lorsque nous les avons rencontrées une première fois en juin dernier, un mois après leur emménagement et deux semaines après l’accouchement de Catherine, les jeunes mamans étaient rayonnantes. « Il y a souvent des invités chez nous, dit Rosalie, 25 ans. Catherine et moi sommes rarement seules. Et si on veut sortir le soir, un seul adulte peut rester à la maison pour garder les bébés. » Catherine, elle, apprécie le soutien de ses colocs lorsqu’elle en a plein les bras. « Avoir un répit fait en sorte que je suis plus disponible et en meilleure forme pour m’occuper de mon enfant. »

La cohabitation permet aux mères de ne pas se retrouver seules à effectuer l’ensemble des tâches liées à la maison, malgré le fait qu’elles y passent une grande partie de leur congé de maternité. Par exemple, chacun des parents doit préparer au moins un repas par semaine, ce qui laisse un peu plus de temps libre à chacun.

Rendre la charge mentale visible

Cette organisation du travail domestique fait rêver. Mais la vie en communauté permet-elle réellement de faire sauter quelques stéréotypes liés au partage des tâches, et d’assurer aux mères une plus grande autonomie?

À quelques coins de rue de chez Catherine et Mathieu, Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque hésite lorsqu’on lui pose la question. Elle me reçoit dans un salon jonché de jouets d’enfants, preuve d’une activité familiale en ébullition. En 2009, elle a vécu deux ans et demi de vie communautaire dans une maison à trois étages au centre-ville de Sherbrooke. Ils étaient à l’époque trois couples et cinq enfants.

Photographie de Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque.

« La charge mentale, ce sont les non-dits, l’invisible. La communauté la rend visible parce qu’on doit des comptes à tous les individus, et pas seulement au conjoint. »

Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque qui a vécu deux ans et demi de vie communautaire

La femme de 33 ans confirme qu’elle a vécu la charge mentale en version allégée lorsqu’elle vivait en communauté. Ce concept de surcharge cognitive chez les femmes qui pensent à tout dans le foyer – même si leur conjoint considère qu’il fait « sa part » – est connu en sociologie. « La charge mentale, ce sont les non-dits, l’invisible. La communauté la rend visible parce qu’on doit des comptes à tous les individus, et pas seulement au conjoint », relate-t-elle.

De fait, il ne revient plus à une seule personne de dire à son conjoint qu’il n’a pas fait la vaisselle. Tout le monde exige une cuisine propre. « Ça permet même de préserver la bonne entente au sein du couple », souligne Marie-Noëlle. Par contre, elle prévient que personne n’est à l’abri d’une division des tâches stéréotypée.

Le constat est partagé par Catherine Villeneuve. « Rosalie et moi, on s’occupe tout de même plus des tâches liées au ménage », estime la jeune mère, occupée à couper des oignons, son bébé de 4 mois en kangourou contre la poitrine. Alors qu’on se rencontre à nouveau dans leur maison partagée en octobre, elle m’accueille malgré la fatigue qui fait tressauter sa paupière droite. Pour la première fois depuis son accouchement, ses colocataires sont hors de la ville pour une semaine. La jeune maman remarque la différence. « D’habitude, quand Mathieu est en rush au travail, les autres peuvent combler son absence, dit-elle. Mais cette semaine, c’est beaucoup plus difficile! »

Féminisme et maternité font-ils bon ménage?

Malgré le mode de vie progressiste du couple, Catherine admet que son conjoint prend moins d’initiatives qu’elle en ce qui a trait au bébé. Et elle est forcée de constater que les statistiques ne mentent pas. Même si de 1986 à 2010, les hommes ont consacré une demi-heure de plus par jour aux tâches domestiques – une augmentation de 19 % –, les femmes y consacrent toujours plus d’heures, soit 28 % de plus qu’eux.

La maternité fait mal à notre idéal féministe, a remarqué Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque. Une observation qui fait écho aux recherches de la sociologue Chiara Piazzesi. « L’arrivée des enfants, c’est un moment durant lequel l’équilibre d’un couple et les bons propos [féministes et égalitaires] sont remis en question. Cela en partie à cause des attentes sociales posées pour la mère et le père », explique la professeure à l’UQAM.

La chercheuse s’intéresse à la sociologie du couple moderne. La littérature sur le sujet ne manque pas. Dans les études sur la division du travail domestique, on lit qu’on trouve des arrangements très traditionnels, même chez des couples qui prônent des idéaux émancipés. « C’est comme si on n’avait pas encore la certitude que l’émancipation des femmes n’empêche pas le couple marié traditionnel de se réaliser et de se structurer », avance-t-elle.

Modèles à suivre

Mais les choses sont en train de changer. « Les hommes sont davantage appelés à s’occuper des soins aux enfants. Ils sont aussi beaucoup plus présents dans les décisions liées aux petits que les générations passées », note Tamarha Pierce, chercheuse et professeure titulaire en psychologie à l’Université Laval.

En ce sens, la communauté peut être un avantage. « Les autres couples deviennent des modèles », affirme Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque. Elle se souvient des bénéfices qu’a apportés la présence des autres pères dans sa propre cellule familiale. « Mon conjoint n’aurait pas nécessairement pensé à lire une histoire à notre garçon le soir pour l’endormir s’il n’avait pas vu un autre père le faire. »

Catherine Villeneuve remarque la même chose. L’autre père de la maisonnée prend beaucoup d’initiatives liées aux soins du bébé? Son conjoint a la possibilité de suivre l’exemple. Et il a même une preuve très concrète devant lui pour s’inspirer.

Vivre entre femmes

Prenant naissance dans les années 1960, les communes ont été une manière de revendiquer une appartenance à la contre-culture. De ces communautés mixtes ont éclos des communautés destinées aux femmes seulement, dans le but de recréer des espaces de vie à leur image.

En 1971 en Grande-Bretagne, des communes nommées « Wild » ont essaimé grâce au Women’s Liberation Movement. Ces féministes proposaient un nouveau modèle familial : la vie en communauté, entre femmes, pour mettre à bas la famille nucléaire et en finir avec le partage sexiste des tâches.

En Oregon, aux États-Unis, des militantes féministes désiraient s’exiler hors de l’organisation sociale patriarcale. Ces femmes ont fondé des lesbian lands, des espaces de vie strictement féminins. Elles s’y installaient sans enfants, mais dans l’espoir de recréer une société à part, qui allait tout révolutionner.

De 2007 à 2013, on a même pu voir ce genre de communautés de femmes au petit écran, dans La galère, où quatre amies de longue date décident de partager une maison avec leurs enfants respectifs. Leur but : se soustraire au désengagement de leurs conjoints face aux tâches ménagères. Toutefois, ici, l’émancipation n’est que partielle. Comme le démontre la littérature sociologique, chez les femmes, des idéaux traditionnels et modernes peuvent coexister.