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L’héritage actif d’Idle No More

5e anniversaire du mouvement Idle No More : rencontre avec ses instigatrices

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Il y a cinq ans, des Autochtones de partout au pays s’exprimaient d’une voix. Leur ras-le-bol collectif à l’égard d’une longue histoire d’oppression et de colonisation portait désormais un nom : Idle No More (« L’inertie, ça suffit »). Retour sur un mouvement amorcé par des femmes qui continue de marquer les esprits.

« On est allées marcher dans la tempête de neige. Pendant la manifestation, la tempête s’est calmée. Même qu’à un moment donné, le ciel s’est dégagé », se souvient Melissa Mollen Dupuis à propos du rassemblement du 21 décembre 2012, à Montréal.

Cette marche a déclenché le mouvement Idle No More au Québec. Les organisatrices, Melissa Mollen Dupuis, Innue originaire de la Côte-Nord, et Widia Larivière, une Algonquine ayant grandi à Québec, voulaient montrer que les Autochtones du Québec prenaient part au mouvement de mobilisation pancanadien d’amélioration des conditions de vie des Autochtones et d’opposition au gouvernement conservateur de Stephen Harper.

« On se disait qu’il allait peut-être y avoir 20 personnes », rigole Widia Larivière. Or, à la suite de l’appel lancé dans les médias sociaux, plus d’une centaine d’Autochtones et d’alliés se sont rassemblés dans la métropole, pendant que dans l’est du Québec, des Micmacs de Listuguj bloquaient la route 132.

C’était il y a cinq ans, et Idle No More atteignait son apogée. Des militants autochtones manifestaient devant la colline du Parlement, à Ottawa, de même qu’à Toronto et dans diverses villes de l’est et de l’ouest du pays.

Dix jours plus tôt, Theresa Spence, la chef de la Première Nation d’Attawapiskat, dans le nord de l’Ontario, avait entamé une grève de la faim qui allait durer au-delà de 40 jours. Elle demandait une rencontre avec le premier ministre Harper pour discuter des liens entre les Autochtones et l’État canadien.

Photographie de Mélissa Mollen Dupuis.

« Les femmes ont pris une position qui n’était pas tant liée à un désir politique de prendre le pouvoir, mais à un besoin nécessaire de protéger les enfants, la langue et la culture. »

Mélissa Mollen Dupuis, cofondatrice du mouvement Idle No More Québec

Des lois omnibus alarmantes

L’automne précédent, quatre femmes de la Saskatchewan – Sylvia McAdam, Sheelah McLean, Jessica Gordon et Nina Wilson – avaient semé les graines de la mobilisation. Elles avaient organisé des teach-ins, soit des ateliers destinés à vulgariser les impacts sur les Autochtones des projets de loi C-38 et C-45 du gouvernement conservateur. Ces lois omnibus de plusieurs centaines de pages devaient modifier plusieurs lois en matière de protection environnementale, de pêche et de soins de santé.

« En tant que femmes autochtones, on a un devoir sacré de protéger l’eau, et là, les lois omnibus allaient lui retirer de nombreuses protections », relate Melissa Mollen Dupuis.

Ces projets de loi ont été la goutte qui a fait déborder le vase, mais, rapidement, le mouvement s’est étendu à des enjeux plus larges. Chacun avait son cheval de bataille. « Pour certains, c’était la participation politique; pour d’autres, les enjeux environnementaux comme la protection de l’eau. Certains voulaient aussi attirer l’attention sur la question des femmes disparues ou assassinées », dit Melissa Mollen Dupuis.

Redonner leur place aux femmes

« Idle No More, c’est vraiment un ras-le-bol collectif des Autochtones à la suite d’une longue histoire d’oppression et de colonisation », résume Widia Larivière. Elle n’a réalisé qu’après coup que le mouvement avait été amorcé par des femmes, au Québec comme ailleurs au pays. « C’est quelque chose qui s’est fait de manière naturelle ou spontanée. »

Photographie de Widia Larivière.

« Le dicton dit que la révolution ne se fera pas sans les femmes. Moi, mon dicton, c’est que la décolonisation ne se fera pas sans les femmes. »

Widia Larivière, cofondatrice du mouvement Idle No More Québec

Les femmes, croit Melissa Mollen Dupuis, ont ainsi repris leur place au sein des communautés autochtones, qui était historiquement plus grande. « Elles n’avaient pas exactement une position de pouvoir, mais quand elles prenaient une décision, la famille au complet suivait. »

Protéger l’environnement et les enfants était de leur ressort, ce qui explique le rôle qu’elles ont joué dans Idle No More, selon elle. « Les femmes ont pris une position qui n’était pas tant liée à un désir politique de prendre le pouvoir, mais à un besoin nécessaire de protéger les enfants, la langue et la culture. »

Elle déplore que la colonisation leur ait retiré leur place. Avant 1985, la Loi sur les Indiens faisait notamment en sorte qu’elles perdaient leur statut lorsqu’elles épousaient un non-autochtone. « Les femmes se perdaient au sein d’une plus grande culture, d’une communauté qui pouvait plus fortement imposer sa culture et sa langue. »

La Loi sur les Indiens empêchait aussi les femmes de devenir chefs de leur communauté, ce qui n’a pas été sans conséquences, explique Widia Larivière. Elle note qu’elles sont toujours sous-représentées dans les structures décisionnelles autochtones. « Je pense que c’est pour ça qu’on les voit beaucoup dans les milieux communautaire et militant, donc à l’extérieur des structures politiques coloniales qui les ont longtemps rejetées. » Idle No More a été porté par ces milieux, dans lesquels les femmes se sentent plus à l’aise, selon elle.

Seule non-autochtone parmi les quatre fondatrices de la Saskatchewan, Sheelah McLean croit qu’à travers Idle No More, les femmes autochtones ont réagi à leur position de vulnérabilité. « Elles sont de loin les plus marginalisées, celles qui se sont butées à la plus grande violence dans la société canadienne. C’étaient elles qui devaient prendre le leadership. »

Comme femme blanche, elle tenait à contribuer au mouvement. « Je crois que c’est notre responsabilité parce que nous faisons partie du problème, en tant que membres de la société coloniale dominante, explique-t-elle. Nous sommes les seules qui peuvent mettre fin aux inégalités. »

Toujours vivant

Cinq ans après l’émergence d’Idle No More, Widia Larivière fait remarquer que la page Facebook de la branche québécoise du mouvement est toujours active. Suivie par plus de 5 000 internautes, elle regorge d’articles et de conversations sur les campagnes en cours.

Moins dans la rue, les fondatrices sont davantage sur le terrain, où elles font de l’éducation populaire. Avec l’organisme Mikana, Widia Larivière visite par exemple les écoles primaires, les cégeps et les universités pour sensibiliser les jeunes aux réalités autochtones.

« J’ai rencontré plein de jeunes Autochtones chez qui Idle No More a ravivé la fierté et le désir de s’impliquer pour la cause autochtone, indique-t-elle. C’est aussi devenu un moyen de se définir de dire : “Je milite pour la cause des droits des Autochtones et je suis Idle No More.” »

Les fondatrices estiment que le mouvement a aussi érigé des ponts entre Autochtones et non-autochtones. « Les gens commencent à connaître le nom des nations. Ils commencent à connaître les communautés qui se trouvent à côté de leur ville ou de leur village, illustre Melissa Mollen Dupuis. On n’utilise plus les termes Indien ni Amérindien. »

Widia Larivière croit même qu’Idle No More a eu un impact politique. Elle souligne que si la voix des Autochtones n’a pas fait plier le gouvernement conservateur de Stephen Harper, elle a trouvé écho dans l’opposition, notamment chez les libéraux de Justin Trudeau. Depuis qu’il est au pouvoir, son gouvernement s’est engagé à investir plusieurs milliards de dollars pour améliorer les conditions de vie des Autochtones et a lancé l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

À ce propos, Melissa Mollen Dupuis n’hésite pas à parler de « lune de miel » en comparaison avec le gouvernement précédent. Elle refuse cependant que les élus s’assoient sur leurs lauriers. « Il y a encore des enjeux de financement des écoles et des soins de santé dans les communautés éloignées », détaille-t-elle.

Depuis quelques mois, Idle No More se mobilise pour que le gouvernement se dote d’un plan clair pour mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En adoptant cette déclaration en 2016, le gouvernement Trudeau s’est engagé à bâtir une relation de nation à nation avec les Autochtones. Widia Larivière explique qu’il doit maintenant adapter ses lois au document, avec la collaboration des Autochtones. Et, selon elle, les femmes autochtones, particulièrement touchées par les impacts de la colonisation, doivent faire partie de la solution.

« Le dicton dit que la révolution ne se fera pas sans les femmes. Moi, mon dicton, c’est que la décolonisation ne se fera pas sans les femmes », conclut-elle.