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Tinder, OkCupid, Bumble et cie : glisser à gauche?

Propos vulgaires et autres comportements sexistes sur les sites de rencontre

Date de publication :

Sites et applications de rencontres : lieux d’échanges ou défouloirs anonymes?

Il y a quelques mois, un statut sur Facebook a retenu mon attention. Sous la capture d’écran d’une discussion sur OkCupid, la femme, écœurée et dégoûtée, annonçait son retrait du site de rencontres après s’être fait insulter sur son poids par un homme qui, pourtant, ne s’était pas gêné pour lui quémander une fellation. Ma réaction a été forte : j’étais outrée. Je replongeais à pieds joints dans mes propres expériences (plutôt désagréables) sur ces réseaux. Et plein de commentaires de femmes de mon entourage me revenaient à l’esprit : elles avaient toutes vécu des expériences similaires, voire pires.

Échanges au goût amer

Je serai transparente : je déteste les sites et applications du genre. Mais comme ni mon travail, ni ma vie sociale ne font en sorte que je « rencontre », ils sont, disons-le, un mal nécessaire. Je déteste, parce qu’au moment même où j’écris ce texte, un homme vient de m’envoyer un message pour la troisième fois en ajoutant, après deux « What’s up? » sans réponse de ma part, un « You are so cute ». Il n’est pas seul : je reçois des messages insistants quotidiennement.

Il y a aussi ceux qui n’aiment pas mes photos de profil ou ma présentation et qui, pour une raison obscure, ressentent le besoin urgent de m’en faire part, souvent durement. Que dire des (trop) nombreuses discussions sympathiques qui, rapidement, tombent dans les allusions sexuelles? Ou encore de cet homme que j’ai contacté et qui m’a dit qu’on ne formerait vraisemblablement pas « le couple du siècle »… pour mieux revenir de nulle part après plusieurs mois, m’écrivant directement « As-tu envie de frencher un peu? » et me détaillant ensuite ce qu’il avait envie de me faire, sexuellement parlant.

Pourtant, ce serait mentir d’affirmer que toutes mes tentatives sur ces réseaux ont été des échecs. J’ai eu des discussions intéressantes et j’ai même rencontré quelqu’un avec qui j’ai passé quelques mois fort sympathiques. Même s’il n’est pas devenu un amoureux, il est demeuré un ami. Reste qu’en général, mes quelques expériences ont été assez moches.

Pourquoi revenir sur ces réseaux, alors? Pour donner une chance à ce moyen que tout le monde utilise. Parce qu’on me dit « Sois patiente ». Mais systématiquement, j’abandonne peu de temps après, dégoûtée. Et quand des femmes me racontent qu’elles ont rencontré de bonnes personnes et que ça vaut « quand même » le coup, elles prennent toujours la peine de préciser qu’il faut, au préalable, croiser beaucoup de cons. Et je trouve ça franchement anormal. Est-ce que ça se passe comme ça pour une majorité d’entre nous?

Questionnaire maison

Pour répondre à ma question, j’ai lancé un sondage parmi mes contacts Facebook. J’ai concocté un questionnaire – imparfait, subjectif et dont l’échantillon est malheureusement très petit – avec le plus de transparence et de bonne foi possible. Il s’adressait à des femmes cisgenres * qui cherchaient à établir un contact avec des hommes, ce qui me permettait d’analyser des expériences vécues auxquelles je pouvais ajouter ma voix. Mettant le plus possible de côté mon parti pris négatif, j’ai lancé mes questions à l’univers; 96 femmes ont répondu.

Petit résumé des résultats :

  • La majorité des répondantes utilisent ces sites ou applications car elles n’arrivent pas à faire des rencontres dans leur entourage ou par l’entremise de leurs activités professionnelles ou personnelles. La seconde raison : la curiosité.
  • L’application la plus utilisée : une écrasante majorité pour Tinder.
  • Les motifs qui les poussent à utiliser ces sites ou applications : 1) pratiquement ex æquo, pour trouver l’amour (62,8 %) et simplement rencontrer (61,7 %); et 2) le sexe (47,5 %). Eh oui, le sexe. Prudes, les dames? Pas pantoute.
  • La majorité (55,2 %) estime que les expériences (discussions, contacts avec les gens) sont agréables. Ouf!
  • En général, les répondantes considèrent avoir été souvent respectées dans leurs interactions sur ces sites ou applications.
  • S’il y a eu manque de respect, cela s’est incarné des façons suivantes : 1) >sexualisation; 2) dénigrement ex æquo avec harcèlement; 3) mansplaining **; 4) intimidation; 5) racisme et 6) autre.
  • Celles qui ont vécu des situations problématiques considèrent que celles-ci surviennent souvent ou assez souvent.
  • À la question « Selon votre avis personnel, considérez-vous que les sites ou applications de rencontres sont des lieux d’échanges agréables et sécuritaires pour les femmes? », la majorité (45,8 %) affirme que cela dépend du site ou de l’application et 17,7 % ont répondu non. Sur 96 répondantes, ça fait tout de même plus de la moitié qui n’est pas 100 % sûre de sa sécurité. À mon sens, ce n’est pas anodin, ni à prendre à la légère.
  • Les réponses ne m’ont pas réellement soulagée. Parce qu’être « souvent respectée », ce n’est pas assez. Et des situations de non-respect qui arrivent « souvent » ou « assez souvent », c’est déjà trop. Le plus difficile a été de lire les descriptions de situations problématiques : insultes, objectification, fétichisation, mansplaining, photos de pénis ***, harcèlement, propos dégradants, menaces et j’en passe.
  • Parmi les témoignages, ce fait troublant : un ex violent, qui ne pouvait se trouver à moins de 300 mètres de son ancienne conjointe, en plus d’être bloqué sur Facebook, lui a pourtant été proposé trois fois sur Tinder. Cherchez l’erreur. Sans oublier les horreurs que reçoivent les femmes racisées, qui sont « exotiques » – ou que sais-je encore – pour des messieurs qui devaient être absents le jour où le savoir-vivre a été distribué.

Une banalisation qui fait mal

Malheureusement, on finit par banaliser ces actes et hausser les épaules (moi y compris). La réalité, c’est que plusieurs femmes (j’en suis) sont affectées moralement par ce type d’interactions. Parce que c’est insécurisant et que ça joue énormément sur la confiance en soi.

Quand on sait qu’une des cofondatrices de Tinder a elle-même été victime de harcèlement et de discrimination sexuelle au sein de son équipe, ce qui l’a amenée à lancer l’application Bumble ****, où les femmes peuvent décider d’être contactées ou non, il y a de quoi réfléchir… Plusieurs des répondantes à qui j’ai parlé se tournent d’ailleurs vers des sites ou des applications de ce genre, plus « sécurisés ».

Qu’apprendrez-vous de ma petite enquête DIY? Probablement peu de choses. Et c’est là où réside tout le problème : en balayant du revers de la main ces comportements et paroles inacceptables – de la part de gens qui se sentent visiblement protégés par une sorte d’anonymat –, on crée un autre espace où beaucoup de femmes ne se sentent pas totalement en sécurité. Et ce n’est pas normal.

Encore une fois, je me base sur ma propre expérience et celle des femmes qui ont répondu à mon sondage. Mais qu’en est-il des personnes queer et trans, par exemple? Personne ne devrait avoir à subir des commentaires dégradants et se sentir diminué, jugé et harcelé. D’autant plus qu’il s’agit de lieux où l’on est souvent plus vulnérable, parce qu’on essaie justement d’y trouver un peu de réconfort pour briser la solitude…

La solution? Je ne la connais malheureusement pas. Mais j’espère qu’on continuera à dénoncer ces gestes et propos déplacés qui heurtent et contribuent à faire de ces réseaux des espaces où bien des gens se rendent à reculons. C’est un besoin humain fondamental de vouloir entrer en contact avec les autres, pour trouver l’amour, l’amitié, du sexe, peu importe. Ce n’est pas trop demander que ça se fasse dans le respect.

* Cisgenre : dont le sexe à la naissance correspond à l’identité de genre.

** Mansplaining : ce terme pourrait être traduit par « mecsplication ». Un « mecspliqueur », c’est un homme convaincu de mieux connaître un sujet qu’une femme, alors que le sujet la concerne, elle.

*** Ma vie amoureuse de marde

**** Slate Fr

Myriam Daguzan Bernier est autrice de Tout nu! Le dictionnaire bienveillant de la sexualité (Éditions Cardinal, ), créatrice du blogue La tête dans le cul, collaboratrice à Moteur de recherche sur ICI Radio-Canada Première et journaliste indépendante. Elle est également formatrice et spécialiste Web et médias sociaux à l’INIS (Institut national de l’image et du son). Actuellement aux études à temps plein en sexologie à l’Université du Québec à Montréal, elle prévoit devenir, dans un avenir rapproché, une sexologue misant sur une approche humaine, féministe et inclusive.