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Maternité racisée : en voir de toutes les couleurs

Des préjugés persistent envers les mères racisées.

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La barrière de la langue et les émotions fortes peuvent compliquer les relations entre une femme enceinte de minorité visible et le personnel en périnatalité. Mais parfois, c’est un peu plus que ça. Parfois, il s’agit carrément de discrimination.

« Ah, tu es enceinte d’un garçon? Tu dois être contente, vous aimez ça les garçons dans votre culture », commente de but en blanc le médecin de Selma, mère d’origine algérienne ayant grandi au Québec. Cette dernière sourit jaune. « Oui, je suis contente. Mais j’aurais été contente d’avoir une fille aussi… » répond-elle.

Ce genre de commentaire semble anodin. Mais c’est le quotidien de centaines de futures ou nouvelles mères racisées au Québec. Et si parfois les préjugés se résument à une remarque à balayer du revers de la main, ils peuvent avoir des conséquences plus graves.

Besoin d’accompagnement

Nadine * travaille comme agente administrative dans l’un des hôpitaux les plus multiethniques de Montréal. Sa clientèle se compose de femmes enceintes souffrant de diabète gestationnel. « Des cas de discrimination ou de négligence, j’en ai vu. Par exemple, on laisse repartir des femmes sans insister pour qu’elles prennent un rendez-vous de suivi, en sachant très bien qu’elles n’ont pas bien compris la procédure à suivre, raconte-t-elle. J’ai aussi vu un médecin refuser de voir une patiente parce qu’elle ne comprenait pas le français ni l’anglais, au lieu d’appeler un interprète comme le protocole le requiert. »

Ces femmes ne devraient pas se retrouver seules lors de l’accouchement ou des suivis pré ou postnataux. Jacinthe Boisvert, accompagnante à la naissance, en témoigne. « Dans ma formation, on nous a mentionné que si toutes les femmes enceintes ou parturientes sont déjà en position de vulnérabilité et ont besoin de soutien, celles issues des communautés culturelles doivent être doublement assistées. »

Photographie de Jacinthe Boisvert.

« Dans ma formation, on nous a mentionné que si toutes les femmes enceintes ou parturientes sont déjà en position de vulnérabilité et ont besoin de soutien, celles issues des communautés culturelles doivent être doublement assistées. »

Jacinthe Boisvert, accompagnante à la naissance

Elle se souvient d’une de ses clientes, une mère originaire du Cameroun, enceinte de son deuxième enfant. Elles avaient effectué ensemble tout son suivi prénatal, mais à l’accouchement, la femme n’« ose pas » appeler Jacinthe Boisvert à son chevet et se retrouve seule. Résultat : elle est victime de négligence dans la salle d’accouchement et, à la suite d’une déshydratation, perd connaissance après avoir donné naissance à son enfant. « Elle a exprimé sa faim et son malaise, mais n’osait pas insister pour qu’on réponde à ses besoins et ne voulait pas déranger quand on la laissait seule longtemps dans sa chambre, sans faire de suivi », relate Mme Boisvert.

Lorraine Fontaine, coordonatrice du Regroupement Naissance-renaissance, un organisme qui lutte pour l’humanisation des naissances, n’est pas étonnée. « On remarque que les femmes immigrantes ont souvent une personnalité plus discrète, plus incertaine. C’est parfois culturel, et les gens en abusent », croit-elle.

Porter la voix des femmes

Aux États-Unis, un groupe de femmes vient de mettre sur pied Black Mamas Matter. Pour éveiller les consciences, ces mères mettent en lumière des chiffres effrayants. Par exemple, en Géorgie, le taux de mortalité à l’accouchement des Noires est de 49 sur 100 000 naissances, contre 14 sur 100 000 pour les Blanches. « C’est un vrai wake-up call, comme on dit », lance Lorraine Fontaine, qui a eu la chance de rencontrer les instigatrices du mouvement lors d’un récent voyage aux États-Unis.

Photographie de Lorraine Lafontaine.

« Il y a très peu de sages-femmes ou d’accompagnantes à la naissance qui sont issues des communautés culturelles. Or, la relation de confiance et le sentiment d’être entendue ont un grand impact sur l’accouchement. »

Lorraine Fontaine, coordonnatrice du Regroupement Naissance-renaissance

Chez nous, son regroupement s’est aussi beaucoup intéressé à la maternité des femmes vulnérables, notamment parce que racisées. « Le Regroupement a été créé en 1980 par des femmes blanches, québécoises, éduquées, de classe moyenne. En 2006, on a commencé à se poser des questions. Qui n’est pas assis à la table? Qui n’est pas en train de prendre parole? » raconte Mme Fontaine.

C’est ainsi qu’est né le projet « Maternité et dignité : actions citoyennes et solidaires », une série d’ateliers, de discussions et de réflexions tenue un peu partout au Québec. « C’était un processus d’empowerment. Nous sommes allées à la rencontre des femmes à plusieurs endroits, comme à la Maison d’Haïti, un organisme communautaire montréalais visant l’intégration des néo-Québécois d’origine haïtienne. » Le but? Donner la parole aux femmes de tous horizons, afin de mettre en lumière les enjeux sociaux entourant la culture de la naissance dans divers milieux.

Des histoires, Lorraine Fontaine en a entendu. Comme celle de cette mère de 20 ans d’origine haïtienne, née au Québec. Immédiatement après son accouchement, le médecin lui demande quel moyen contraceptif elle compte utiliser. Elle répond qu’elle ne sait pas encore, qu’elle va y réfléchir avant de prendre une décision. Le lendemain, le médecin revient à la charge, et elle réitère son indécision. Avant même qu’elle finisse de parler, le médecin lui plante une aiguille de Depo-Provera (un contraceptif hormonal) dans la cuisse, « en attendant qu’elle réfléchisse ».

Et après la naissance?

Des histoires comme celles-là, il y en a plusieurs. C’est que souvent, diverses vulnérabilités se côtoient. Jeunesse et préjugés, handicap physique et discrimination, etc. Et les cas problématiques ne surviennent pas uniquement dans la salle d’accouchement.

Sarah * est travailleuse sociale en périnatalité dans un quartier très multiethnique de Montréal. Elle fait des suivis pré et postnataux à domicile. Elle observe que la population sur le territoire a beaucoup changé en 15 ans, mais que les intervenantes sont restées les mêmes. « Le mode de vie de ces nouveaux arrivants les confronte dans leurs valeurs, elles m’en parlent souvent », confie-t-elle.

Par exemple, les familles nombreuses ou religieuses peuvent causer un réel malaise, qui se traduit par un service bâclé. « J’ai déjà pu constater une rudesse dans les soins apportés, j’ai vu des infirmières qui s’impatientent avec les patientes à domicile. Elles ne se cachent même pas, elles savent que ces femmes ne porteront pas plainte », continue celle qui a eu des frictions avec des collègues à ce sujet.

Elle comprend toutefois que les préjugés sont inévitables. « Tout le monde en a. Or, une des qualités d’une bonne intervenante, c’est d’identifier les préjugés qu’elle a, d’en être pleinement consciente, et d’éviter qu’ils interfèrent dans ses interventions », nuance Sarah. Elle avance quelques pistes de solution : « Je crois qu’il faut militer pour l’accès à l’information et le consentement éclairé lors de l’accouchement. Le plan de naissance est également utile. »

La clé, c’est le soutien

Une chose est sûre, toutes les intervenantes questionnées sur le sujet insistent sur l’importance du soutien et de l’accompagnement. « Je remarque que tout se passe tellement mieux quand mes patientes sont accompagnées d’une doula [accompagnante à la naissance] », note par ailleurs la travailleuse sociale.

Évidemment, Jacinthe Boisvert ne peut qu’être d’accord. « Déjà, la femme de manière générale est vulnérable, peu importe son origine. En contexte d’accouchement, elle ne se demande même pas si elle a des droits. » Pour l’accompagnante à la naissance, l’accouchement doit être vu comme un marathon, pour lequel il convient d’être bien préparée.

Lorraine Fontaine soulève un autre problème lié au soutien. « Il y a très peu de sages-femmes ou d’accompagnantes à la naissance qui sont issues des communautés culturelles. Or, la relation de confiance et le sentiment d’être entendue ont un grand impact sur l’accouchement. Parfois, le malentendu n’est pas de mauvaise foi : on ne prend simplement pas le temps d’être à l’écoute de l’autre », conclut-elle.

* Prénom fictif