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Cachez ces gros(ses) que je ne saurais voir

Et si on arrêtait d’être intolérants envers des physiques qu’on juge « inadéquats »?

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Tout récemment, j’étais dans un bar avec des ami(e)s et on discutait de tout et de rien. L’un d’entre nous, déménagé depuis peu dans une autre ville, était de passage à Montréal pour le week-end et, naturellement, on l’interrogeait sur sa nouvelle vie. Rapidement, la question (toujours un peu « mononcle ») a émergé : « Et puis, y a des filles intéressantes là-bas? » Butant sur les mots à choisir, mais tout de même avec une certaine assurance, il a répondu : « Oui, mais tu sais, les filles là-bas ont… pas le même gabarit », en faisant le geste d’élargir une taille imaginaire. J’ai cru comprendre qu’il essayait aussi de m’épargner des mots plus durs, étant moi-même un peu ronde. J’ai ri jaune, probablement en sacrant. Je pense que j’ai dit : « Sérieusement? » « Non, mais tu comprends ce que je veux dire », qu’il a ajouté. Les choses en sont restées là et la soirée a suivi son cours. Mais sa phrase s’est gravée en moi, comme une brûlure à l’intérieur.

Non, je ne comprends pas. Évidemment, je ne suis pas stupide et je saisis bien le fond de sa pensée : il ne souhaite pas rencontrer une « grosse ». Mais dire « je comprends » à ce qu’il a insinué reviendrait à affirmer : « Oui, bien sûr, c’est tout à fait normal que tu ne veuilles pas de femme en chair, ronde, en surpoids, grosse (peu importe l’expression utilisée). »

En quoi c’est normal? ai-je envie de crier. Pourtant, ça l’est.

Parce qu’une amie me racontait que, pour aider quelqu’un qui aimerait rencontrer une fille, un gars a dit à sa blonde : « Trouve une fille pour “dater” Hugo; pas une toutoune, là, une chix. »

Parce que sur une application de rencontre, la seconde phrase qu’un gars (parmi tant d’autres) m’a envoyée était celle-ci : « Décris-toi. Tsé si tu pèses 300 lb, j’aimerais ça le savoir. Si c’est ronde avec des courbes, je peux dealer avec. » (« Dealer avec ». Un prix de consolation avec ça?)

Parce que j’ai trop vu de filles (et je m’inclus là-dedans) vouloir maigrir avant de se remettre à « dater ».

Parce que je pourrais nommer 1 000 exemples du genre.

Pourtant, un corps, ça nous porte, ça nous fait vivre, ça nous soutient. C’est une machine complexe et superbe. Il n’y a que des corps différents et uniques. Pas de one size fits all. Maigres, gros, longs, courts, vieux, jeunes, handicapés, bref, des corps point : tous sont capables d’aimer, de toucher, de désirer. Et, SURTOUT, tous ont besoin d’être aimés, de se faire toucher, de se faire désirer.

Mon corps, c’est mon corps (mais c’est beaucoup le vôtre)
Quel filtre a-t-on installé devant nos yeux pour qu’on n’arrive pas à voir la beauté dans chacune des enveloppes corporelles qui existent? Qu’est-ce qu’il y a de si intolérable dans ces corps? C’est révoltant de voir à quel point nous sommes engoncés dans des stéréotypes qui nous incitent à juger les corps dits « non normatifs » avec un dégoût aussi violent qu’irraisonné. En plus, c’est comme si ceux-ci devenaient la propriété de tout le monde. Tout un chacun se donne le droit de dire : « Tu devrais perdre du poids », « Tu ne devrais pas porter ceci et plutôt porter cela ».

C’est violent de se faire dicter comment gérer son corps. Particulièrement dans un contexte de rencontre amoureuse, affective et/ou sexuelle, alors que ça prend tout son petit change (c’est dur pour tout le monde, je pense) pour réussir à garder confiance dans le contexte un peu aseptisé (et stressant) d’une date. C’est brutal de se faire éliminer pour son poids, sans égard pour sa personnalité et ses opinions. Simplement parce qu’on nous inculque la pensée qu’un corps en chair n’est ni sexy, ni désirable, ni en santé, ni en forme, ni souple, ni beau. Il y a nécessairement quelque chose qui cloche dans un corps plus gros. L’associer à la sexualité? Ouf! Encore pire. Même si le poids, la grosseur (ou non) d’une personne a si peu à voir avec le désir et la sensualité. Rien ne devrait empêcher n’importe quel corps d’être célébré, au lit comme dans la vie de tous les jours.

Le pire? Si on perdait moins de temps et d’énergie à être intolérants envers des physiques qui nous semblent inadéquats, il nous en resterait beaucoup plus pour diriger notre intransigeance vers des choses qui méritent, elles, qu’on les montre du doigt. Je ne pense pas avoir besoin de vous faire une liste, vous n’avez qu’à suivre les nouvelles : vous aurez l’embarras du choix.

D’ici là (j’essaie d’être optimiste), je nous souhaite de regarder les autres (et soi-même!) avec bienveillance et acceptation. De nous dégager de ces stéréotypes trop solidement ancrés dans nos têtes pour qu’on arrive à voir que la beauté prend des formes extrêmement variées et n’est pas (et ne sera jamais) uniforme. Et c’est tant mieux.

Myriam Daguzan Bernier est autrice de Tout nu! Le dictionnaire bienveillant de la sexualité (Éditions Cardinal, ), créatrice du blogue La tête dans le cul, collaboratrice à Moteur de recherche sur ICI Radio-Canada Première et journaliste indépendante. Elle est également formatrice et spécialiste Web et médias sociaux à l’INIS (Institut national de l’image et du son). Actuellement aux études à temps plein en sexologie à l’Université du Québec à Montréal, elle prévoit devenir, dans un avenir rapproché, une sexologue misant sur une approche humaine, féministe et inclusive.