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Le mouvement féministe est-il la réponse rassembleuse à Trump?

Le 21 janvier avait lieu à Washington une Marche des femmes historique. Notre photoreportage.

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La marche des femmes à Washington a dépassé les plus folles espérances : environ 600 000 personnes dans la capitale américaine et plus de 2 millions dans le monde ont uni leurs voix pour dire non à la misogynie et défendre les droits des femmes.

Rarement une marche aura-t-elle réussi à rassembler autant de causes sous sa bannière : égalité femmes-hommes, accès à la santé sexuelle et reproductive, droits des LGBTQ+, antiracisme, droits des réfugiés, environnement et luttes autochtones… Par ce tour de force, le mouvement féministe a-t-il prouvé qu’il pouvait être le point de rassemblement de tous les progressistes contre Trump, en plus de susciter une prise de conscience chez les plus jeunes? Tour d’horizon avec des gens en marche à Washington.

Photographie de Anna et sa fille Violet.
Anna et sa fille Violet, du New Jersey. Comment expliquer l’élection de Trump à une fille de 7 ans?

« On est très ouverts avec notre fille à propos de la politique et de nos principes. C’est difficile de trouver un équilibre quand on parle avec une enfant de 7 ans », essaie d’expliquer Anna, tandis que sa fille insiste pour qu’on saisisse le jeu de mots inscrit sur sa pancarte en forme d’ailes de papillon. La petite a dessiné un œil avec le message fight like a girl. « Look! EYE fight like a girl! » nous montre-t-elle fièrement (eye [« œil »] et I [« je »] sont des homophones en anglais, sa pancarte se traduit donc par « Je me bats comme une fille »). C’était important pour ses parents qu’elle prenne part à cette grande marche, pour la sensibiliser aux droits des femmes. « Ma plus grande crainte pour ma fille? Difficile à dire, il y en a tellement. Je ne veux pas qu’elle devienne complètement désillusionnée, je ne veux pas qu’elle grandisse dans un environnement rempli de haine… Je suis inquiète », confie Anna en cherchant ses mots, la gorge nouée. La période électorale a été un moment délicat pour cette mère qui veut transmettre à sa fille ses valeurs d’inclusion et de respect, et lui insuffler confiance en l’avenir. « C’est épeurant d’être une femme aux États-Unis aujourd’hui, mais ça nous a permis de réfléchir à différents enjeux, nous avons participé à plusieurs événements avec notre communauté, et nous avons essayé le plus possible d’initier notre fille à la politique. »

Photographie de Nayma, artiste de New York.
Nayma, artiste de New York membre de The Wing, un espace de cotravail pour femmes.

Nayma, une artiste de New York, est venue marcher à Washington avec le collectif The Wing, qui gère un espace de cotravail favorisant le réseautage, l’épanouissement et l’entraide entre femmes. Une sorte de deuxième maison pour permettre aux femmes de monter des projets dans un environnement où la plupart des espaces de travail sont gérés par des hommes. « Un acte profond dans une société où les hommes ont le pouvoir et le prestige. À The Wing, toutes les règles sont écrites par les femmes », peut-on lire sur leur site Web (traduction libre). Féministe et antiraciste, Nayma a participé à plusieurs manifestations du mouvement Black Lives Matter, et pense que le mouvement féministe doit être intersectionnel s’il veut porter ses fruits. « Il faut réfléchir à comment toutes nos luttes sont connectées, même si la marche d’aujourd’hui se concentre principalement sur les droits des femmes, affirme-t-elle. Cette marche est intersectionnelle dans le sens où elle est ouverte aux femmes de différents milieux. La mission est claire : il faut se battre et résister pour les droits des femmes. Mais je ne pense pas qu’on parle autant de tous les autres enjeux. »

Photographie de Julian avec son amoureux Christian.
Julian (à gauche), environnementaliste et étudiant en cinéma, avec son amoureux Christian, qui étudie en études afro-américaines et en économie, viennent de l’ouest de la Virginie.

Julian étudie en cinéma, est membre d’une association étudiante de défense de l’environnement et est proféministe. Il est particulièrement inquiet de la situation climatique qui risque de s’aggraver avec l’arrivée de Trump au pouvoir. « Je suis ici pour participer à une journée historique. Notre nouveau président est un raciste, un misogyne, un homophobe, et il nie l’existence du réchauffement climatique. Il faut montrer que ce qu’il représente est inacceptable. » Le mouvement féministe permettra-t-il de rassembler toutes les luttes? « Je crois que chaque mouvement est spécifique. Oui, il y a une intersectionnalité et des points de rencontre entre les enjeux de race, de classe, de genre et d’environnement. Mais chaque mouvement doit avoir sa propre force, répond-il lorsque nous l’interrogeons à ce sujet. Tous les mouvements vont devoir travailler ensemble contre cette nouvelle administration. Mais je trouve ça important que ce soient les femmes qui aient organisé cette marche. »

Photographie de Suzanne.
Suzanne, une grand-mère venue de Philadelphie pour marcher avec sa famille.

Suzanne appartient à une lignée où on transmet le féminisme de génération en génération. Dans les années 1920, sa grand-mère marchait avec Margaret Sanger, une féministe et éducatrice à la sexualité à qui on doit l’expression birth control. Aujourd’hui, Suzanne marche avec sa petite-fille, son fils, sa belle-fille, sa sœur et des amis. « C’est important pour moi de marcher et de montrer que nous sommes une voix forte, que nous surveillons de près ce qui va se passer. C’est triste de constater que nous nous battons encore pour les mêmes enjeux. » Sa petite-fille a confectionné une jolie pancarte promouvant les droits des LGBTQ+. À 10 ans, elle est déjà conscientisée au sujet des enjeux qui touchent les minorités sexuelles. « Les enfants sont sensibilisés à l’intimidation à l’école, puis ils voient l’attitude de Donald Trump… Ça va à l’encontre de ce que l’école leur a transmis », déplore-t-elle.

Photographie de Salma, Abdel-Rahman, Samia et Ahmed.
Salma et son mari Abdel-Rahman, de la Virginie, accompagnés de Samia, Ahmed, Bushra et Yahya.

Salma, mère au foyer de deux jeunes enfants, vit en Virginie avec son mari Abdel-Rahman, ingénieur. Toute la famille est venue marcher, « pour dire à M. Trump que les droits des femmes sont des droits de la personne, et que nous sommes tous égaux. Et qu’il n’a le droit de marginaliser aucune communauté », explique Salma. Son mari s’inquiète de la montée du racisme et de l’islamophobie. « En tant que minorité, nous sommes solidaires de toutes les minorités qui sont affectées par l’élection de Trump : les Noirs, les latinos, les musulmans, les femmes. » À son avis, la campagne électorale a permis de dévoiler plusieurs enjeux auparavant peu connus de la population, comme l’incarcération massive des Afro-Américains. Le couple est heureux de montrer à ses enfants un bon exemple de démocratie. « Tout le monde ici se serre les coudes », conclut Abdel-Rahman.

Photographie de Erin.
Erin, féministe activiste trans et queer du Minnesota, aspire à un féminisme inclusif.

Erin et sa famille ont fait 20 heures de route depuis le Minnesota pour participer à la marche des femmes. Après avoir recollé des morceaux de sa pancarte Trans & Queer, elle s’élance pour reprendre le rythme de la marche. « Je n’ai jamais vu une aussi grande manifestation! » s’exclame-t-elle. Le gouvernement Trump affecte déjà la communauté trans et queer : il a vite effacé la page consacrée aux enjeux des LGBTQ+ du site officiel de la Maison-Blanche. « Si nous ne sortons pas tout de suite pour nous battre, ça va juste empirer. Il faut faire tout ce qu’on peut pour défendre les droits de tout le monde. » Celle qui aspire à étudier en filmographie garde espoir pour l’avenir. « Je pense que lorsque tout le monde est réellement uni, le mouvement féministe est incroyable. Tout est possible. Mais il y a encore des efforts à faire pour inclure toutes les femmes et tous les êtres humains. C’est ensemble que nous pouvons faire de ce monde un endroit où il fait bon vivre », conclut-elle.