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20 moments marquants de l’histoire du féminisme

L’histoire du féminisme est récente. Et les moments qui l’ont marqué font constater à quel point on part de loin!

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Malgré sa richesse, l’histoire du féminisme au Québec est trop souvent méconnue, mal enseignée, voire ignorée des cours d’histoire. Nombreux sont ceux qui n’ont retenu que l’« épisode » des femmes qui ont brûlé leurs soutiens-gorges, alors que cet événement n’a jamais eu lieu… Au sein d’un système qui rejetait leurs revendications, les femmes ont fait preuve de courage, de persévérance et de ruse pour arriver à plus de justice. Résumer 20 événements marquants de cette histoire? Exercice difficile, mais nous l’avons accompli!

  1. 1918 – Les Canadiennes obtiennent le droit de vote
    Le gouvernement fédéral accorde le suffrage aux femmes en reconnaissance de leur participation à l’effort de guerre. Après 1925, au pays, seules les Québécoises sont toujours privées du droit de vote. Thérèse Casgrain, avec la Ligue des droits de la femme, et Idola Saint-Jean, de l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec, mènent le combat jusqu’à leur victoire en 1940. Il faudra attendre 1960 pour que les femmes autochtones obtiennent ce droit au fédéral.

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L’obtention du droit de vote des femmes ailleurs dans le monde en quelques dates :
Russie : 1917
Angleterre : 1918 (30 ans et plus), 1928 (21 ans et plus)
États-Unis : 1920
France : 1944
Chine : 1949
Suisse : 1971

  1. 1929 – L’affaire « personne »
    Une femme n’était pas considérée comme une personne selon une interprétation de la loi constitutionnelle de 1867. Avec Emily Murphy, première juge municipale de l’Empire britannique, des femmes mènent un long combat juridique contre cette injustice; la cause se rend jusqu’au Conseil privé de Londres. Dans un célèbre jugement rendu le 18 octobre 1929, ce dernier reconnaît aux femmes le statut de personnes, leur permettant de bénéficier de nombreux droits civils au même titre que les hommes.
  2. Années 1930 – Les travailleuses se mobilisent pour leurs droits
    Les midinettes (ouvrières qui travaillent dans la confection de vêtements) déclenchent des grèves spectaculaires. Mobilisées par la militante syndicale Léa Roback, elles sont 5 000 à faire la grève en 1937. Elles dénoncent les semaines de plus de 70 heures, des salaires inférieurs au salaire minimum, le harcèlement sexuel des contremaîtres, l’absence de toilettes pour femmes dans les usines, l’insalubrité des locaux, l’absence de congés de maternité, etc.

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Les féministes dénoncent aussi l’exploitation des institutrices, qui gagnent un salaire dérisoire : entre 80 et 150 $ par année! Laure Gaudreault, institutrice de la région de Charlevoix, forme le premier syndicat des institutrices rurales en 1937.

  1. Années 1960 – Les filles accèdent aux études supérieures
    Dans les années 1960, le Québec révolutionne le milieu de l’éducation. Deux femmes sont nommées à la Commission Parent : sœur Marie-Laurent de Rome et Jeanne Lapointe, professeure de littérature à l’Université Laval. Elles s’assureront que les filles aient le même accès à l’éducation que les garçons.
  2. 1964 – La fin de la subordination légale des épouses
    Lancé par Marie Gérin-Lajoie dès la fin du 19e siècle, le débat sur les droits civils des femmes mariées se poursuit en 1929 puis en 1946. Il faut attendre l’année 1964 pour que la ministre Claire Kirkland-Casgrain puisse déposer le projet de loi 16. Les législateurs abdiquent enfin. Les épouses ont dorénavant des droits juridiques comparables à ceux de leur mari : elles peuvent avoir un compte de banque, signer des contrats, faire un emprunt à la banque, et divorcer.
  3. 1965 – Le 25e anniversaire du droit de vote des femmes mène à la création de la FFQ
    Pour célébrer cet anniversaire, l’infatigable militante Thérèse Casgrain organise un colloque de deux jours intitulé « La femme du Québec. Hier et aujourd’hui ». Au terme du colloque, les 500 participantes votent la création d’une association capable de porter leurs ambitions. En juin 1966 naît la Fédération des femmes du Québec (FFQ), avec Réjane Laberge-Colas comme présidente.
  4. 1967 – La Commission Bird et la première association de femmes autochtones
    La FFQ et le Committee for the Equality of Women in Canada réclament une commission d’enquête sur la situation des femmes auprès du gouvernement fédéral. La Commission Bird, du nom de sa présidente Florence Bird, déclenche « une prise de conscience colossale », selon l’historienne Micheline Dumont. « Les femmes amérindiennes, notamment, prennent la parole : elles découvrent à quel point la Loi sur les Indiens en vigueur depuis le XIXe siècle les prive de leurs droits ancestraux. Si elles épousent un Blanc, elles perdent leur statut d’Indienne *. » La première association de femmes autochtones du Canada, Equal Rights for Native Women, est fondée à Kahnawake.
  5. 1969 – L’émergence du féminisme radical avec le FLF
    Porté par des jeunes de moins de 30 ans, un féminisme radical inspiré du mouvement américain du Women’s Lib émerge au Québec. Il entend s’attaquer à la racine des injustices que vivent les femmes : le patriarcat et le capitalisme. C’est dans ce contexte que naît le Front de libération des femmes du Québec (FLF), qui organise des actions-chocs comme occuper des lieux dont l’accès aux femmes est limité, voire nul : palais de justice, tavernes…
  6. 1970-1980 – Le féminisme trouve ses voix dans les arts
    Les années 1970 sont marquées par un bouillonnement artistique. Les femmes s’expriment au cinéma, au théâtre, en chanson, en arts visuels et dans l’écriture.

    Quelques incontournables :
    1972 : série de films de réalisatrices intitulée En tant que femmes et produite par l’Office national du film (ONF)
    1976 : L’Euguélionne, livre phare du féminisme québécois de l’auteure Louky Bersianik, pseudonyme de Lucile Durand
    1976 : exposition au Complexe Desjardins de l’œuvre monumentale La chambre nuptiale de Francine Larivée
    1978 : Les fées ont soif, de Denise Boucher, une pièce de théâtre qui sème la controverse
    1978 : Mourir à tue-tête, un film-choc sur le viol signé Anne Claire Poirier
    1980 : premier Festival de créations de femmes, alliant spectacles, performances, films, ateliers, etc., tenu dans divers théâtres montréalais.

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La presse féministe connaît également un essor. Naissent en peu de temps le Bulletin de la FFQ, Québécoises deboutte! (1972-1974), Communiqu’elles (1973-1991), Les Têtes de pioche (1976-1981), L’Autre Parole (1976-), la Gazette des femmes (1979-), La vie en rose (1980-1987, 2005)…

  1. 1973 – La création du Conseil du statut de la femme
    Suivant une importante recommandation du rapport Bird, la FFQ travaille à la création d’un organisme pouvant faire autorité auprès du gouvernement et se consacrant entièrement à la condition des femmes. Le projet, présenté à l’Assemblée nationale par la députée Claire Kirkland-Casgrain, est adopté le 6 juillet 1973.
  2. 1975 – L’Année internationale de la femme
    Alors que le mouvement féministe est en pleine ébullition, 1975 est nommée l’Année internationale de la femme. Les féministes radicales lèvent le voile sur des sujets tabous comme la violence faite aux femmes et les agressions sexuelles, et les groupes de femmes poussent comme des champignons : premières « maisons de femmes battues », centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), centres de santé des femmes, groupes pour les femmes monoparentales, etc.

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1983 : Les agressions sexuelles à l’intérieur du mariage sont reconnues comme un acte criminel.

  1. 1978 – Les mères obtiennent un congé de maternité de 18 semaines
    Depuis 1971, le gouvernement fédéral permettait aux salariées enceintes de recevoir des allocations de maternité durant 15 semaines, mais cette mesure était limitative. En 1978, le gouvernement québécois légifère afin de pallier les carences de la loi fédérale.

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1997 : L’instauration d’un réseau de garderies dit universel change considérablement l’expérience de la maternité des femmes en emploi.

  1. 1979 – On féminise les appellations d’emplois et de fonctions
    Dans un premier avis daté de 1979 et en réponse aux divers milieux de travail qui réclamaient des appellations au féminin, l’Office québécois de la langue française (OQLF) recommande l’utilisation « dans tous les cas possibles » des formes féminines.
  2. 1989 – Le 6 décembre, 14 étudiantes de l’École polytechnique sont abattues
    Marc Lépine tue 14 femmes étudiant à la Polytechnique. Il a fallu des années avant que l’on reconnaisse qu’il s’agissait d’un crime haineux dirigé contre les femmes, et non du simple geste d’un tueur fou. À l’époque, on blâmait même les féministes, qui seraient allées trop loin et qui auraient soi-disant enlevé aux hommes leur place dans la société. Les réactions des médias et des autorités affectent durement les féministes **..
  3. 1991 – L’avortement devient un droit protégé par la Charte après plus de 20 ans de lutte
    Dans les années 1970, les féministes radicales ont osé revendiquer le droit total à l’avortement, et non seulement pour des raisons de santé, comme l’avait permis le « bill omnibus » de 1969 au fédéral.
    1988 : le jugement de la Cour suprême dans le cas Morgentaler abolit deux articles sur l’avortement du Code criminel; l’IVG n’est donc plus considérée comme un crime.
    1989 : l’affaire Chantal Daigle éclate : le géniteur cherche à interdire son avortement par une injonction. La Cour suprême statue en faveur de la mère.
    1990 : le projet de loi C-43 tente de recriminaliser l’avortement, mais il est défait par le Sénat l’année suivante. L’avortement devient un droit protégé par la Charte.

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Encore en 2016, le droit à l’IVG reste fragile au Canada et l’accès à des cliniques d’avortement varie énormément d’une province à l’autre.

  1. 1995 – La marche des femmes contre la pauvreté
    Sous l’élan de Françoise David, nouvellement élue à la présidence de la FFQ, les groupes de femmes mettent sur pied une marche de 10 jours vers Québec pour faire pression auprès du gouvernement Parizeau. Baptisé la Marche Du pain et des roses, l’événement est une réussite, et mène à l’organisation de la première Marche mondiale des femmes en 2000.

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La Marche Du pain et des roses, c’est : quelque 250 kilomètres parcourus, plus de 800 marcheuses, plus de 15 000 personnes rassemblées devant le parlement.

  1. 1996 – L’équité salariale
    Suivant une demande des féministes de la Marche Du pain et des roses, le gouvernement du Parti québécois fait adopter une Loi sur l’équité salariale. Celle-ci oblige les entreprises privées ou publiques de 10 employés et plus à corriger les écarts salariaux entre les hommes et les femmes occupant des emplois similaires.
  2. 2012 – Idle No More
    Loin d’être la première lutte menée par les femmes autochtones, elle est néanmoins la plus médiatisée. Lancé dans l’Ouest canadien par quatre femmes (Nina Wilson, Sylvia McAdam, Jessica Gordon et Sheelah McLean) et repris au Québec par Widia Larivière et Melissa Mollen Dupuis, le mouvement réussit à attirer l’attention des médias et d’une partie importante de la population sur les conditions des communautés autochtones du pays.
  1. 2012 – Une première première ministre est élue
    Première femme chef d’un parti politique au Québec en 2007, Pauline Marois devient, lors des élections de 2012, la première femme à diriger le gouvernement du Québec.
  1. 2015 – #AgressionNonDénoncée
    Dans la foulée du scandale entourant l’animateur de radio Jian Ghomeshi, des millions de victimes d’agressions sexuelles à travers le monde brisent le silence sur les médias sociaux avec le mot-clic #BeenRapedNeverReported (J’ai été violée, je ne l’ai jamais dénoncé). Le mouvement en français #AgressionNonDénoncée, porté par plusieurs groupements du Québec, prend lui aussi une ampleur sans précédent.

* Micheline Dumont, Le féminisme québécois raconté à Camille, Les éditions du remue-ménage, 2008

** Intéressant à lire : le mea culpa d’une journaliste… 25 ans plus tard (en anglais)

En complément d’info

Plusieurs renseignements retenus ici proviennent du très bon résumé de l’historienne Micheline Dumont dans son livre Le féminisme québécois raconté à Camille. Vous pouvez aussi trouver un éventail substantiel sur la Ligne du temps de l’histoire des femmes au Québec, qui présente un ensemble d’informations rassemblées depuis la fin des années 1980 par Francine Descarries, professeure au Département de sociologie de l’UQÀM et directrice scientifique du Réseau québécois en études féministes.