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Le féminisme, le cheval de Troie d’Hillary Clinton

Hillary Clinton et son discours féministe de façade

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Je flânais à la Librairie Paragraphe, au centre-ville de Montréal, lorsqu’un livre à la couverture rose fluo a attiré mon attention : False Choices: The Faux Feminism of Hillary Rodham Clinton. Tout juste paru, cet ouvrage collectif dirigé par la journaliste Liza Featherstone est passé sous le radar des médias francophones. Pourtant, il fait une proposition alléchante pour quiconque se méfie du « féminisme » revendiqué par Hillary Clinton.

Au fil des chapitres, les auteurs passent au crible les politiques endossées par la candidate depuis le début de sa carrière politique. La thèse de l’ouvrage est sans équivoque : le féminisme d’Hillary Clinton n’est qu’un discours de façade, instrumentalisé par la politicienne pour promouvoir et mettre en œuvre des politiques néolibérales et militaristes qui, dans les faits, nuisent à l’écrasante majorité des femmes, aux États-Unis comme ailleurs.

Un féminisme de privilégiées

L’introduction du livre est particulièrement convaincante. On se campe d’entrée de jeu sur le terrain des contraintes matérielles et des rapports de pouvoir qui freinent l’atteinte de l’égalité entre les hommes et les femmes dans la société américaine. Featherstone affirme qu’il ne faut pas être dupe de l’enthousiasme affiché par le clan Clinton et ses partisans vedettes. En dépit des grands discours sur l’accession des femmes aux postes de pouvoir et à des salaires égaux, ainsi que de la portée symbolique de l’élection d’une femme à la présidence, ce féminisme est en fait un club sélect. Il ne sert qu’une minorité de femmes, qui sont déjà suffisamment privilégiées pour tirer leur épingle du jeu, pour autant qu’on les rassure un brin quant à leurs compétences.

Facile, en effet, de croire que l’élection d’une femme comme présidente suffira à propulser l’égalité pour toutes lorsqu’on s’appelle Lena Dunham ou Gloria Steinem, que notre réputation est établie et qu’on n’a pas de mal à payer l’épicerie, ni l’hypothèque, ni les soins de santé des enfants. Mais lorsqu’on prend la mesure des défis auxquels sont confrontées les travailleuses américaines, les femmes de la classe moyenne et les moins privilégiées – les immigrantes, les mères monoparentales, les sans-papiers –, le discours féministe de Clinton montre vite ses limites. Pire encore, il se révèle contre-productif.

Pour l’illustrer, Featherstone rappelle le siège qu’a occupé la candidate démocrate au conseil d’administration de Walmart, de 1986 à 1992. Elle fut la première femme à occuper un tel poste. Une pionnière, célèbrent certains! Ce qu’on oublie cependant, c’est que Walmart est une compagnie reconnue pour ses salaires de misère, ses pratiques antisyndicales et les conditions de travail dérisoires qu’elle offre à ses « associés », qui sont en majorité des femmes. C’est un secret de Polichinelle : cette entreprise a toujours cultivé la précarité de ses employés – et en a profité –, les traitant avec peu d’égards, décourageant toute mobilisation syndicale et se montrant peu compréhensive à l’égard des femmes qui doivent demander des accommodements particuliers (congé de maternité, assurance maladie, horaire adapté à leurs responsabilités familiales). Pourtant, jamais n’a-t-on entendu Clinton défendre les travailleuses, pas plus qu’on ne l’a vue agir pour rehausser leurs conditions de travail lorsqu’elle faisait partie du conseil d’administration. Elle y est plutôt allée de déclarations comme celle-ci : « En tant qu’actionnaire et dirigeante de notre entreprise, je suis toujours fière de Walmart, de ce qu’on fait, ainsi que de notre façon de le faire mieux que quiconque » (traduction libre).

Aucune chance, bien sûr, que les féministes à la mode qui ont joué les majorettes pour Clinton tout au long de sa campagne d’investiture relèvent ce qui a tout d’un affront fait aux femmes qui rament simplement pour vivre, et pour qui le discours sur le plafond de verre et l’ascension individuelle ne peut pas grand-chose.

Peu d’aide réelle pour les femmes

Ainsi, l’ouvrage de Featherstone s’ouvre en lion. Les chapitres portant sur l’approche de Clinton face à la lutte contre la pauvreté, la solidarité sociale, ainsi que celui sur l’accès à l’éducation renforcent sans aucun doute la thèse du livre. Comment se fait-il en effet qu’une politicienne soi-disant préoccupée par l’émancipation et l’autonomie des femmes ait soutenu des réformes de l’aide sociale fondées sur une approche punitive, qui ont appauvri par deux fois les femmes les plus démunies?

On dresse également la liste des politiques endossées par le passé par Clinton qui ont accentué l’exclusion sociale et économique des femmes non blanches, ainsi que leur surreprésentation dans les institutions carcérales. On aborde également l’inaction de la candidate dans le dossier de l’accès à l’avortement. Bien qu’elle se soit, en principe, toujours rangée du côté de celles qui réclament le droit de choisir, il semble qu’elle n’ait posé que peu de gestes concrets pour garantir l’accès à l’avortement dans les États où l’on fait tout pour mettre des bâtons dans les roues aux femmes qui veulent interrompre une grossesse.

En somme, le féminisme de Clinton s’aveugle au fait que l’égalité entre les sexes n’est pas qu’un principe désincarné. Pourtant, il faut créer les conditions de son atteinte en adoptant des politiques en conséquence, dans tous les secteurs de la société – l’économie, l’éducation, le travail, l’aide sociale, la santé, la culture… Or, pourquoi applaudit-on le féminisme d’Hillary Clinton, alors que sa contribution à la lutte pour l’égalité réelle a somme toute été modeste jusqu’ici? Au-delà de l’aspect symbolique, Hillary Clinton est-elle vraiment l’alliée des femmes? Au terme de cet ouvrage, la question se pose sérieusement, faits à l’appui…

Idéologie contradictoire

Bien sûr, ce livre n’est pas parfait. Certains chapitres déçoivent. On y reproche à la candidate des gestes et des décisions qui n’ont qu’un lien indirect, voire ténu avec le véritable caractère problématique du féminisme incarné par Clinton. On se voit également agacée par les quelques pointes décochées au sujet de Monica Lewinsky. On sent aussi parfois que l’angle féministe devient un prétexte pour régler quelques comptes avec l’establishment démocrate et l’administration Obama. Ces digressions diluent le propos et empêchent de parfaire l’exercice critique, alors qu’on avait là une formidable occasion de démontrer, une fois pour toutes, que le féminisme libéral à la sauce Clinton est en fait une contradiction dans les termes.

Car n’est-ce pas là le nerf de la guerre? Ce qui inquiète avec ce féminisme n’est pas tant ses imperfections, ses incohérences, ou sa timidité, sur certains plans. Bien sûr, cela dérange. Mais le véritable problème, n’est-ce pas que ce féminisme est un cheval de Troie? Il prétend vouloir aider les femmes, travailler pour et avec elles, mais il agit en fait comme un solvant : il légitime l’implantation de politiques qui affaiblissent le lien social, isolent les femmes et les laissent en proie à des reculs objectifs quant à leur condition. Voilà le problème qu’il faut nommer! Et à l’évidence, il faudra se tenir prêtes à le répéter pendant plusieurs années si Clinton accède à la présidence.

Si Hillary Clinton s’installe à la Maison-Blanche en novembre prochain, espérons que les Américaines exigeront qu’elle soit à la hauteur des promesses féministes qu’elle fait miroiter depuis le début de sa campagne.