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Femmes rapaillées : une parole à soi

Poèmes rassemblés : 41 voix de femmes d’ici, comme autant de rapports au monde.

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Lancé le 8 mars dernier, Femmes rapaillées rassemble des textes de 41 poètes québécoises contemporaines. À la source des écrits : l’idée de commencement, qui figure dans le poème liminaire du fameux recueil de Gaston Miron.

« Je ne suis pas revenu pour revenir / je suis arrivé à ce qui commence », écrivait Gaston Miron dans le poème liminaire de L’homme rapaillé, publié en 1969. Près de 50 ans plus tard, les poètes Isabelle Duval et Ouanessa Younsi ont invité une pléiade de poètes québécoises à s’inspirer de cette idée de naissance.

« Ouanessa et moi, on avait lu Miron, bien sûr, et on avait aimé. Un jour, en discutant, on s’est dit que Femmes rapaillées serait un beau titre pour un ouvrage regroupant différentes voix féminines, raconte Isabelle Duval. Bien entendu, ce sont deux projets distincts. Celui de L’homme rapaillé est le projet d’un seul individu, qui explore l’amour, l’engagement, le lien au territoire, le langage afin de prendre possession de lui-même. On a décidé de faire sensiblement la même chose, mais pour la parole des femmes, avec au centre l’idée de commencement, de ce qui naît, de comment on se sent dans ce commencement. »

Le rapaillement, ici, est donc pluriel. « En alliant plusieurs voix de femmes, on obtient un panorama de différents rapports au monde, de diverses sensibilités. » Avec en tête une visée anthologique, les directrices du recueil (dont l’une est aussi artiste multidisciplinaire, et l’autre psychiatre) ont tenu à réunir des poètes de différentes origines et générations. « Parmi les auteures retenues, il y a des Québécoises d’origine autochtone, égyptienne, algérienne, haïtienne, américaine; des femmes qui font partie de l’Académie des lettres du Québec, et d’autres qui n’ont publié qu’un ou deux recueils. »

Ainsi, cette courtepointe poétique amène Nicole Brossard, Hélène Dorion, Louise Dupré et Martine Audet à côtoyer Erika Soucy, Judy Quinn, Natasha Kanapé Fontaine et Marie-Célie Agnant, notamment. En prime, un texte inédit et inachevé de Geneviève Amyot, décédée en 2000.

Difficile de faire autrement : l’identité féminine, le « je » féminin sont au cœur de la majorité des écrits. « Quand on s’est mises à recevoir les textes, on était agréablement surprises de constater le large éventail de thèmes abordés, toujours autour de celui de la femme », relate Isabelle Duval, qui signe le poème La louve.

Du personnel à l’universel

Plus personnels que revendicateurs, plus intimes que politiques, les textes n’en ouvrent pas moins sur l’universel. La poète innue Joséphine Bacon, par exemple, aborde l’importance des origines dans Nukum : « À nouveau je parle la langue de la terre / Mes mocassins m’attendent / Je m’allonge sur le dos de ma grand-mère Ours / À son tour elle me porte ». Joanne Morency, dans Toucher l’aube, évoque une renaissance par le langage, la prise de parole : « il a fallu réapprendre / à parler / inventer chaque mot / un à un / chaque phrase à la suite de l’autre / comme une histoire obligée / qu’il nous faudrait écrire / chacun pour soi / pour se prolonger ». L’amour, quant à lui, imprègne plusieurs pages du recueil, parfois de façon brute mais belle, comme dans le poème Une soirée chez Thomas (là où la ruse ne suffit pas) de la jeune Laurance Ouellet Tremblay : « dors ti-loup, tu m’as dit ce soir-là en t’enroulant autour de moi / dans notre position bizarre / les pieds collés / dors, chu là, demain y va faire beau / pis j’aime ça en crisse, moi, t’entendre parler ».

Et même si le recueil ne s’inscrit pas dans la lignée de celui de Miron – les directrices insistent là-dessus –, certaines poètes ont judicieusement intégré des vers tirés de L’homme rapaillé, comme la slameuse Rose Eliceiry, dans Au nord : « je suis arrivée à ce qui commence / dans l’exacte brûlure du jour / le jaune éclatant d’une envolée d’oies blanches ».

Ces textes d’une grande variété, certains plus narratifs, d’autres impressionnistes, sombres ou lumineux, tissés d’un langage parfois cru, parfois suave, composent une matière littéraire forte, présentant un splendide éventail de la richesse de la poésie québécoise contemporaine au féminin. Comme l’écrit Louise Warren dans Commencer, prendre acte : « Dans le fragment je reconnais la plénitude ».

Page couverture Femmes rapaillées.

Isabelle Duval et Ouanessa Younsi, Femmes rapaillées, Mémoire d’encrier, 2016, 232 p.