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Sexe, égalité et consentement : une tournée, des cégépiens et des prises de conscience

La tournée « Sexe, égalité et consentement » : les cégépiens répondent présents!

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« Je ne pensais pas que le consentement allait jusque-là. J’avais toujours entendu que si une fille est saoule c’est plus facile, c’est mieux… » L’étudiant de 18 ans du Cégep Garneau admet qu’il devra réviser ses idées reçues sur ce qui correspond à un véritable « oui » d’une partenaire sexuelle, dans le feu de l’action.

Antoine Gariépy n’est pas le seul : dans l’amphithéâtre où s’étaient rassemblés des centaines de jeunes le 7 avril dernier pour assister à la conférence « Sexe, égalité et consentement » du trio formé du rappeur Koriass, de la présidente du Conseil du statut de la femme, Julie Miville-Dechêne, et de la journaliste et blogueuse féministe Marilyse Hamelin, les questions des étudiants témoignent de leur méconnaissance des notions primordiales liées à la sexualité égalitaire.

« Si une personne est intoxiquée par l’alcool, c’est quoi la limite? Si elle est saoule, mais qu’elle a l’air de vouloir? » demandera aux panélistes une jeune femme. « Sur le plan légal, le consentement doit être éclairé. Quelqu’un qui est intoxiqué ne peut pas donner un consentement éclairé et ultra pur », tranche Mme Miville-Dechêne. « Il faut reconnaître le vrai “oui” par opposition au “mmmmm” », illustre-t-elle, déclenchant par son imitation une cascade de rires dans la salle.

Photographie de Marilyse Hamelin, Julie Miville-Dechène et Koriass.

L’humour, les statistiques dévastatrices sur les viols perpétrés par des hommes au Canada, les exemples vrais et crus de Marilyse Hamelin illustrant clairement le propos et le témoignage poignant de Koriass font mouche auprès de l’auditoire.

L’humour, les statistiques dévastatrices sur les viols perpétrés par des hommes au Canada, les exemples vrais et crus de Marilyse Hamelin illustrant clairement le propos et le témoignage poignant de Koriass font mouche auprès de l’auditoire. En racontant l’histoire d’une amie qui s’est fait violer et qui a caché son secret pendant 20 ans, le musicien jette une lumière révélatrice sur cette réalité sociale qu’il qualifie de « culture du viol » et de « culpabilisation des victimes ». Il s’en confesse, lui-même n’était pas certain que son amie avait réellement été victime de son agression lorsqu’elle s’est confiée. Parce qu’au départ, elle « tripait » sur son bourreau. Et parce qu’elle a accepté de plein gré l’invitation à se retrouver seule avec lui avant que les choses ne tournent au cauchemar. Un scénario loin de ceux d’Hollywood où un parfait inconnu terré dans l’ombre d’une ruelle agresse au hasard une femme qui a eu le malheur de passer par là.

D’abord raconté dans une entrée de blogue du magazine Urbania intitulée « Natural Born Féministe », le récit de cette amie a déclenché chez l’artiste une prise de conscience sur la responsabilisation des hommes dans la violence sexuelle faite aux femmes. Et elle l’a poussé à prendre la parole auprès des jeunes Québécois dans une tournée des cégeps instaurée par le Conseil du statut de la femme afin qu’ils réalisent, comme lui, qu’ils pataugent depuis leur enfance dans un bain de stéréotypes où « les vrais gars ne pleurent pas ». « Pour un homme, avoir une sensibilité plus prononcée c’est faible », poursuit celui qui ne s’est jamais senti comme un membre à part entière du soi-disant prestigieux boys club dont le seul critère d’entrée est d’avoir « un pénis entre les deux jambes ». Le rappeur juge qu’il est primordial de faire contrepoids à ces idées reçues pour que les représentants de la gent masculine puissent enfin s’émanciper. Et se dire à leur tour féministes sans rougir.

Le coming out féministe de Koriass s’est fait au terme d’une discussion extrêmement pénible qu’il a eue avec son amoureuse qui, révélera-t-il à la toute fin de son intervention, est cette amie violée dont il a raconté l’agression. Ils ont eu deux enfants. Des fillettes à qui ils ont déjà commencé à enseigner la notion de consentement non pas « en parlant de sexualité parce que c’est un peu abstrait », mais d’une manière adaptée à leur jeune âge. Par exemple, donner des becs à la visite n’a jamais été obligatoire sous leur toit puisqu’ils ont inculqué à leur progéniture l’idée que « lorsque c’est ton corps, c’est ton choix ». La plus vieille, âgée de 4 ans et demi, a déjà prouvé à son papa qu’elle avait bien intégré la leçon en lui lançant un jour, alors qu’il la chatouillait un peu trop vigoureusement : « Arrête papa, c’est mon corps! »

« Un gars pour parler aux gars »

« Je n’avais pas vu les choses comme ça », s’exclame d’entrée de jeu Gabriel Simard au sujet de l’initiative prise par le couple pour enseigner à leurs filles à se sentir 100 % libres de leurs choix. « J’ai vraiment aimé son point de vue à ce sujet », poursuit l’étudiant en techniques policières de 18 ans qui, par contre, regrette qu’il faille avoir recours à une personnalité connue comme Koriass et, de surcroît, à « un gars pour parler aux gars », afin de passer des messages d’égalité. Une critique partagée par Simone Lavoie-Racine et Camille Limoges, deux étudiantes membres du Comité femmes du Cégep Garneau.

Le commentaire revient souvent, admet la présidente du Conseil du statut de la femme, aussi confrontée à cette question par une étudiante pendant l’événement. « C’est vrai qu’on accepte que la parole de Koriass ait plus de poids, et ce, particulièrement auprès des jeunes hommes », reconnaît Julie Miville-Dechêne, qui a beaucoup réfléchi à cet aspect avant d’aller de l’avant avec la conférence. « Malheureusement, explique-t-elle, toutes les études montrent que les garçons écoutent davantage les modèles masculins. Ce serait le fun que nous, comme femmes, nous puissions avoir la même influence. Mais je crois profondément que ce qui compte, c’est l’objectif. Et l’objectif, ici, c’est d’avoir moins de violence envers les femmes. »

Koriass se dit également très sensible à cette question délicate. « Je ne suis jamais entré dans cette cause-là avec l’intention de « leader » le mouvement féministe. Ce serait contre-productif. J’entre là-dedans avec beaucoup d’humilité », soutient le musicien qui a notamment dévoilé ses convictions féministes à son passage à l’émission Tout le monde en parle, l’hiver dernier. « Quand j’ai commencé à m’impliquer, je savais peut-être un dixième de ce que je sais maintenant sur la culture du viol, le féminisme et toutes ces questions-là », admet-il.

Camille Limoges salue toutefois l’audace du rappeur qui s’autoproclame féministe malgré l’environnement misogyne dans lequel il évolue. « C’est un mot auquel les gens ne veulent pas s’associer. C’est arrivé souvent dans les cours que le prof demande aux étudiants qui se disent féministes de lever la main. La plupart du temps, je suis seule, ou il y a une ou deux autres filles qui le font. Je ne trouve pas ça normal parce que s’il demandait qui est pour l’égalité, tout le monde lèverait la main! C’est peut-être plus facile de prendre au sérieux Koriass que le Comité femmes qui se fait souvent critiquer ou même ridiculiser au cégep », signale la jeune femme.

Antoine Gariépy abonde dans le même sens. Selon lui, la présence de l’artiste amorcera une réflexion nécessaire chez certains de ses pairs qui s’attendaient fort probablement à ce qu’une telle conférence féministe soit donnée par des « filles frustrées ». « Je pense que ça va faire changer des choses pour les gars qui étaient ici », prédit-il, puisqu’à son avis, la perception que « tout le monde est égal et qu’il n’y a rien à faire » va en prendre pour son rhume. Simone Lavoie-Racine estime que ses consœurs y trouveront également leur compte, alors que beaucoup d’entre elles ressentent de la pression non seulement à consentir à une activité sexuelle, mais également à se plier aux standards non réalistes des films pornos.

Gabriel Simard fait toutefois valoir que, bien qu’une prise de conscience sur la sexualité inégalitaire soit primordiale, celle-ci doit se faire davantage en amont. Puisqu’au cégep, les étudiants sont pour la plupart actifs au lit depuis belle lurette, fait remarquer le futur policier. « C’est maintenant qu’on se réveille et qu’on réalise que, oups, c’est vrai que dans ce temps-là, je n’avais pas demandé son consentement… » « Le plus tôt, c’est le mieux », conclut Antoine Gariépy, qui aurait voulu bénéficier plus jeune des propos et témoignages des panélistes.