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Mexique : les lesboterroristes s’attaquent au patriarcat

Mexique – Des lesbiennes combattent la violence faite aux femmes en se dissociant des hommes.

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Féministes lesbiennes radicales, les « lesboterroristes » provoquent la société mexicaine conservatrice. En choisissant d’exclure les hommes de leur vie, elles espèrent faire tomber le système patriarcal, à la source selon elles des meurtres massifs de femmes au Mexique.

5 lesboterroristes et organisatrices École des droits des jeunes femmes.

Cinq lesboterroristes et organisatrices de l’École des droits des jeunes femmes photographiées dans le violent quartier de Tepito, à Mexico. De la gauche vers la droite : Iztel Diaz, Selene Romero, Nadia Rosso, Luisa Velázquez, Montserrat Pérez.

Dans une salle municipale perchée au-dessus des méandres du marché de Tepito, quartier réputé comme l’un des plus dangereux de Mexico, une vingtaine de jeunes femmes assises en cercle conversent et réfléchissent à une riposte féministe. Avortements clandestins, féminicides, agressions sexuelles : sur des cartons blancs placardés aux murs et aux fenêtres, elles ont inscrit des mots crus, miroir de réalités violentes du quotidien qu’elles cherchent à fuir.

L’École des droits des jeunes femmes, qui en est à sa troisième édition, constitue l’un des rares endroits de la capitale où les Mexicaines peuvent discuter de sujets délicats, quasi tabous dans leur pays, que ce soit de violence conjugale, de meurtres de femmes ou de l’emprise du machisme sur la société. « On vient chercher des pistes de réflexion pour mieux vivre en société et pour éviter qu’on nous maltraite. C’est difficile de parler de féminisme à Mexico; même dans les universités, c’est très mal vu », raconte Isabel, 22 ans, étudiante en criminologie qui s’affiche féministe en dépit des critiques de ses proches.

L’atelier du jour porte sur l’hétéronormativité de la société, soit la perception de l’hétérosexualité comme l’orientation sexuelle normale et supérieure aux autres. « La société capitaliste et patriarcale, qui soutient l’hétéronormativité, est un régime politique. Les hommes sont à la source de la violence qui tue les femmes au Mexique. Être lesbienne, ça ne veut pas dire avoir toutes les femmes dans son lit. C’est une action politique, une manière de sortir les hommes et la violence de notre quotidien », explique l’une des six organisatrices de l’École, Itzel Diaz, aux jeunes femmes aux styles vestimentaires bigarrés.

Avant de repartir la tête pleine à craquer de matière à réflexion, les participantes sont invitées par les lesboterroristes – nom que se donnent les organisatrices de l’École – à devenir lesbiennes pour être heureuses… et pour éviter d’être assassinées par un homme.

On ne naît pas lesbienne, on le devient

Selon l’ONU Femmes, sept femmes sont assassinées chaque jour au Mexique. La grande majorité de ces assassinats revêt les caractéristiques d’un féminicide, soit le meurtre d’une femme fondé sur son sexe. De plus, l’organisme estime que dans ce pays, plus de 6 femmes sur 10 sont victimes de violence, qu’elle soit psychologique, physique ou sexuelle.

5 lesboterroristes et organisatrices École droits des jeunes femmes.

Trois participantes de l’école féministe discutent du système patriarcal, de l’hétérosexualité comme norme sociale au Mexique et de leurs effets dans la vie des femmes.

« Quand une femme meurt au Mexique, on dit que c’est l’œuvre d’un psychopathe, d’un malade. Mais en vérité, les femmes ici meurent pour des prétextes misogynes. Ce ne sont pas des fous qui les tuent, mais leur conjoint, leur ex-conjoint, leur patron ou un homme qui voulait avoir une relation avec elles. L’État et les hommes sont complices et refusent d’admettre cette réalité », explique la lesboterroriste Luisa Velazquez, soulignant au passage que les crimes contre les femmes châtiés sont l’exception plutôt que la règle.

Combinés à la carence de liberté pour les femmes, ces meurtres sexistes impunis et banalisés ont poussé les organisatrices de l’École féministe à créer, il y a trois ans, le lesboterrorisme comme position politique et proposition d’action. Féministes radicales, elles ont fait le choix de devenir lesbiennes pour s’isoler de la violence engendrée par les hommes.

« Une femme ne tuera pas une autre femme », soutient Luisa Velazquez avant de poursuivre : « Aucune théorie féministe ne nous convainquait complètement, d’autant qu’on ne critique pas que le patriarcat, mais aussi l’hétéronormativité, le racisme, le colonialisme, etc. Notre posture, c’est que le système capitaliste et patriarcal dans lequel on vit est un régime politique violent qui doit disparaître », détaille celle qui, sous le pseudo de Menstruadora (« Menstruatrice »), écrit et publie des raps pour encourager les femmes à avorter clandestinement de manière sécuritaire.

Des bulles féministes non violentes

Malgré ce que leur nom peut laisser croire, les lesboterroristes se défendent de fomenter la violence. « Ce que nous disons, c’est que notre existence cause la terreur. On n’exerce pas de violence, c’est l’État qui exerce une violence. Et on se bat contre elle. Mais ça nous plaisait de jouer avec cette ambivalence », souligne Nadia Rosso, une autre membre de la bande.

« Un jour, des policiers sont venus avertir l’une de nous parce qu’elle embrassait une autre fille, enchaîne-t-elle. Ça terrorise les passants, deux femmes qui s’embrassent. Pendant ce temps, des crimes ont lieu ailleurs dans la ville… Cet acte de discrimination nous a inspirées, mais ce n’est pas le seul. »

Pour s’opposer au système patriarcal dominant, les lesboterroristes ont choisi de fréquenter exclusivement des femmes. Une mesure radicale qu’elles assument entièrement. « On ne demande pas à ce que les lois changent, car les hommes resteront les mêmes. On cherche à créer des espaces, des bulles libres de toutes ces violences. Ça ne veut pas dire qu’on se replie sur nous-mêmes », nuance Nadia Rosso.

Post-it collés sur des fenêtres.

Écoles féministes, festival international d’arts féministes, raps, poèmes féministes : les lesboterroristes utilisent principalement l’art et les écrits critiques pour faire trembler le système modelé par et pour les hommes.

Écoles féministes, festival international d’arts féministes, raps, poèmes féministes : les lesboterroristes utilisent principalement l’art et les écrits critiques pour faire trembler le système modelé par et pour les hommes. « Chacune de nous écrit des critiques et des réflexions sur le Web. On y note nos connaissances, qui se retrouvent sur Internet plutôt que dans un livre à la bibliothèque. Et ça fonctionne bien », assure la lesboterroriste Selene Romero.

Leurs écrits ont fait leur chemin sur la Toile : une dizaine d’écoles féministes radicales ont éclos ailleurs au Mexique. « Ce n’est pas seulement notre discours qui intéresse, mais aussi notre façon d’interagir sans violence. Ça plaît à certaines filles qui créent à leur tour leur espace. C’est une onde expansive », explique Nadia Rosso, qui affirme avoir des lectrices ailleurs en Amérique latine.

Menacées et ostracisées

Le travail qu’elles ont entrepris il y a quelques années demeure cependant controversé. S’il est difficile de s’afficher féministe au Mexique, il est encore plus difficile de se revendiquer lesbienne convertie, féministe et radicale. « Les réactions négatives proviennent de pratiquement tous les secteurs de la société. Des machos misogynes nous font des menaces de mort sur les médias sociaux. Les personnes très conservatrices croient qu’on est malades parce qu’on a choisi d’être lesbiennes », raconte Nadia Rosso.

« Nous sommes bloquées de toutes les organisations féministes. Pas moyen d’avoir du financement, même pas pour des galettes, ironise Luisa Velazquez. Nous sommes trop critiques et les organisations féministes entrevoient notre travail comme étant radical. Et elles entendent ce terme comme quelque chose de négatif, et non comme un questionnement depuis la racine. »

En dépit des critiques, les six femmes encouragent les Mexicaines vivant dans des contextes similaires à créer leur propre espace lesboterroriste. « Le message qu’on envoie, c’est que tu n’as pas besoin d’être Blanche, Européenne et de détenir un doctorat en philosophie pour créer ton école féministe, lance Luisa en riant. On ne veut pas dicter comment faire les choses, car les réalités et les formes de violence varient d’un endroit à l’autre. On ne fait que partager ce qu’on a analysé en espérant motiver d’autres femmes! »