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Le test

Fini, le temps des petites ou grandes inégalités entre filles et gars ?

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Fini, le temps des petites ou grandes inégalités entre filles et gars? Pas si sûr…

Faisons un test. Prenons une classe de 36 élèves, un groupe moyen de français au cégep. Il y a environ autant de garçons que de filles, des jeunes de 17, 18 ans, en santé, bien vêtus, travaillant pour payer leur voiture, élevés dans des familles où personne n’est mort de faim depuis au moins sept générations. Pour la plupart, ils sont Québécois de souche. Pure laine, comme on dit.

Les mères de ces jeunes ont mon âge, ou un peu plus. Elles ont un boulot. Elles sont autonomes. Elles profitent d’une égalité durement acquise. Elles sont instruites. Elles votent. Elles siègent à des conseils d’administration. Elles font de la politique. Elles n’ont pas (trop) honte de leur corps. Elles ont une sexualité (presque) épanouie et assumée. Elles sont libres.

Pourtant… Faisons-le donc, ce test, avec ces enfants d’un pays où tous sont censés être égaux. Demandons-leur de lever la main, ceux et celles qui n’ont jamais peur de marcher dans la rue après le coucher du soleil. Précisons que la région où se déroule cette expérience a un taux de criminalité très faible. Regardez. Les garçons ont presque tous levé la main. Aucune fille. Poursuivons. Demandons maintenant quelles filles possèdent une voiture. Elles lèvent presque toutes la main. Ensuite, posons la question: « Quand vous êtes dans VOTRE voiture avec votre amoureux, les filles, qui conduit ? » Vous devinez ? Bien sûr. C’est l’amoureux qui conduit. Et si je m’insurge : « En quel honneur, s’il vous plaît ? », on me répond qu’il chiale sans arrêt, alors on préfère lui donner le volant. Voilà. Cela en dit long. On pourrait parler de nombreuses autres petites humiliations quotidiennes, apparemment innocentes. Elles sont légion.

Je les fréquente quotidiennement, ces jeunes femmes. Elles sont belles, intelligentes, pleines d’avenir. Et elles rejettent le féminisme en bloc.C’est fini, ce temps là, disent-elles. Bien sûr, on ne veut pas faire de vagues inutilement. On tient à rester à sa place. Nous ne sommes pas encore au bout du chemin, si vous voulez mon avis.

Il y a aussi quelques élèves venus d’ailleurs, dans mon collège.Une jeune Maghrébine me confiait, dernièrement, sa joie de pouvoir faire du sport dehors. Habillée jusqu’aux oreilles malgré le doux temps, mais dehors, devant tout le monde, sans crainte de se faire insulter ou agresser comme dans son pays, où l’on confine les femmes toute leur vie et où les crimes d’honneur sont monnaie courante. Voyez-vous le fossé entre les cultures, entre les deux situations ?

Il n’est pas si large, pourtant. Facile à combler, quand on y pense. Une loi qui donne préséance au dogme religieux sur les droits humains, même limitée à certaines circonstances seulement, c’est une pelletée de terre dans le fossé. Si je donne le droit à un individu de refuser de faire affaire avec une femme parce que son dogme l’interdit, je lui dis qu’il a raison de considérer que la femme est moins compétente que l’homme pour exercer son métier, qu’il a raison de trouver honteux de commercer avec une femme.

Dans mon pays, chacun, chacune a le droit de croire et de prier comme il l’entend. Mais cela ne doit jamais, jamais surpasser le principe sacré de l’égalité entre les hommes et les femmes. Parce que tout être humain a le droit d’être traité avec dignité et respect, quels que soient son sexe ou sa race. Parce que le dogme n’est pas un droit, mais une somme d’interdits dont la honte est le principal levier.

Non, mesdames, elle n’est pas terminée, la lutte. Oui, il y a encore du chemin à faire. Aussi longtemps qu’on tolérera qu’il soit insultant de se faire traiter de fille, rien ne sera gagné. Quand vous élèverez vos enfants, quel que soit leur sexe, j’espère que vous y songerez.