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Une histoire qui doit finir

L’exploitation sexuelle des enfants n’a rien d’un fait nouveau. Depuis une décennie cependant, sous l’influence des mouvements féministes et ceux de la protection de l’enfance, le drame sort peu à peu des ornières du silence.

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II faut apprendre aux pères qu’ils n’ont pas tous les droits d’usage sur les enfants. Il faut leur faire savoir sans équivoque que violer le corps et l’âme de leur fille, c’est un crime sur lequel on ne fermera plus les yeux.

L’exploitation sexuelle des enfants n’a rien d’un fait nouveau. Depuis une décennie cependant, sous l’influence des mouvements féministes et ceux de la protection de l’enfance, le drame sort peu à peu des ornières du silence. A présent, on réalise mieux l’étendue de ce scandale. Au Québec, de 1984 à 1989, la Commission de protection des droits de la jeunesse (CPDJ) a relevé 3 665 cas d’enfants victimes d’abus sexuels. Des cas d’inceste en majorité. Et pour les spécialistes une chose est sûre: les situations dévoilées ne sont que la pointe de l’iceberg. Selon certaines recherches, l’inceste affecterait une famille américaine sur dix.

Que sait-on de l’inceste? Les trois quarts du temps, il s’agit d’une histoire entre une fille et son père (ou celui qui joue ce rôle). Une histoire qui peut arriver dans n’importe quel milieu et qui se tisse au fil des jours. Le père utilise le trafic d’affection et le chantage émotif plus que la violence et la force physique. Il transforme peu à peu ses approches en manoeuvres sexuelles: attouchements, masturbation, fellation, pénétration. En général, la relation incestueuse débute avant la puberté et dure plusieurs années. La plupart du temps, c’est la victime elle-même qui dévoile l’abus – vers l’âge de 14 ou 15 ans -, souvent pour éviter à ses jeunes soeurs de connaître un sort semblable au sien.

La déchirure

Difficile d’imaginer une agression plus destructrice; Roseline Pierret, thérapeute au Centre de services sociaux Laurentides-Lanaudière, en constate tous les jours les terribles conséquences: « L’inceste attaque la victime jusque dans son âme. Son corps est violé, mais aussi sa volonté, ses désirs, ses frontières. Elle en vient à perdre la notion qu’elle s’appartient et qu’elle a un pouvoir sur sa vie. »

Si, au début, la fille obéit à son père sans le blâmer et sans saisir les conséquences du geste, elle se rend vite compte qu’elle a été trahie, abandonnée, trompée. Cet homme qu’elle croyait être un adulte protecteur devient au contraire un agresseur. Et en plus, il lui fait porter tout le poids de la situation: « Si tu parles, lui dit-il, ta mère ne t’aimera plus, elle va nous quitter et moi je vais aller en prison. » La victime étouffe sous la consigne du silence, mais souvent aussi, elle réalise que ses « services » sont récompensés par des permissions, des cadeaux, de l’attention. Il arrive également que son corps réagisse puisqu’il est sollicité et qu’elle ressente malgré tout un certain plaisir. S’ajoutent alors une confusion inouïe, un sentiment de culpabilité de plus en plus lourd et troublant. Elle a honte d’être « complice », de se taire, de voler le mari de sa mère. Elle devient persuadée que son père l’a choisie parce qu’elle est foncièrement « mauvaise ».

Certains signaux de détresse vont parfois amener les éducatrices et les éducateurs à dépister les enfants abusés: repli sur soi, vomissements fréquents, phobies, crises de larmes, comportement méfiant envers les adultes, chute du rendement scolaire, fugues répétées… Mais la plupart du temps, on n’entend pas ces appels au secours et souvent, ce n’est que beaucoup plus tard, en situation de crise, qu’on mettra le doigt sur le bobo. Comme le souligne Camille Messier, de la Commission de protection des droits de la jeunesse, « toutes les études auprès des groupes comme les suicidaires, les toxicomanes, les prostituées, les patientes d’instituts psychiatriques et les pensionnaires de maisons d’accueil révèlent un taux élevé de victimes d’inceste ».