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Esclaves des temps modernes

Après l’avoir dévoilé aux dernières Rencontres internationales du documentaire de Montréal, …

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Après l’avoir dévoilé aux dernières Rencontres internationales du documentaire de Montréal, Hélène Choquette (Bonnes à tout faire, Les réfugiés de la planète bleue) présente Avenue Zéro au Cinéma ONF. Un film dur sur un sujet encore jamais abordé au cinéma : la traite des
personnes au Canada.

Gazette des femmes : Quel a été le point de départ de ce film?

Hélène Choquette : En 2003, j’ai fait un film sur les immigrées philippines qui viennent travailler au Canada (Bonnes à tout faire). À cette
époque, j’ai rencontré Jacqueline Oxman- Martinez, une chercheuse qui travaillait sur les programmes des aides familiales et qui amorçait une réflexion sur la traite des personnes au Canada. Elle me suggérait de faire un film sur le sujet, mais à mes yeux, il n’y avait pas assez de preuves de l’existence du phénomène. En 2007, elle a publié un guide intitulé La traite des personnes à l’intention du réseau communautaire. Là, les preuves étaient réunies; j’ai pu me lancer.

Il a fallu attendre 2002 pour que la traite des personnes devienne un crime, avec le protocole de Palerme, et 2003 pour qu’on réalise qu’elle existait au Canada. Comment l’expliquez-vous?

On a longtemps cru que la traite était le lot des pays sous-développés, mais ça existe chez nous aussi. Le problème est que les victimes, immigrées illégales ou non, ont peur de parler par crainte de représailles ou d’être renvoyées dans leur pays. D’autre part, leur condition – elles sont souvent malades, dépendantes aux drogues ou en état de choc post-traumatique – rend leurs témoignages moins crédibles aux yeux d’un juge. La preuve est très complexe à établir et rares sont les trafiquants traduits en justice. Les
témoins ont souvent peur aussi. Une fois, une femme de Montréal m’a dit : « Je sais qu’il y a un bordel à côté de chez moi. J’ai déjà vu les filles, mais j’ai tellement peur des gars qui sont là que je ne vais même plus sur mon balcon. Je ne veux pas voir. » C’est très insidieux. On ne veut pas devenir délateur, mais en même temps, il
faut réussir à entrer dans ces endroits sans mettre la vie des femmes en danger.

Le tournage de ce film ne constituait pas votre premier contact cinématographique avec la misère humaine. Ce que vous avez découvert ici se compare-t-il à ce que vous avez vu ailleurs ?

J’ai tourné dans des favelas et dans des dépotoirs à Delhi, où je m’attendais à voir des êtres humains sans dignité. Ça n’a pas été le cas.Par contre, à Vancouver, j’ai vu la vraie déchéance humaine. La traite des personnes est la chose la plus abjecte dont j’ai été témoin. L’ampleur du drame m’a sauté aux yeux quand j’ai tourné avec ces femmes.

Pensez-vous que la situation peut s’améliorer ?

Il y a eu quatre accusations pour traite de personnes impliquant des adolescentes canadiennes,mais encore aucune contre des réseaux de trafiquants. À Vancouver, on sait que la mafia chinoise est impliquée dans les salons de massage,mais on n’arrive pas à traduire les responsables en justice. En outre, les victimes ne savent pas vers qui se tourner.Aucun organisme n’est financé pour ça; les associations d’aide aux immigrants ou aux travailleurs temporaires n’ont ni les ressources ni l’argent nécessaires. Par contre, on note un éveil au phénomène depuis 2007. Les recherches sont de plus en plus nombreuses et, en 2008, la GRC a ouvert un bureau à Ottawa pour lutter contre la traite des personnes. L’été dernier, une députée conservatrice de Winnipeg, Joy Smith, a demandé que soit instaurée une peine minimale de cinq ans de prison pour les coupables. Je sais également que l’Armée du Salut et Info-crime préparent des campagnes sur le sujet. Il y a encore beaucoup d’embûches,notamment en ce qui concerne les victimes en situation irrégulière,mais je sens que tout ce travail peut porter ses fruits.

Avenue Zéro sera présenté au Cinéma ONF, à Montréal, du 21 au 31 janvier 2010.