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Femmes prêtres : la pomme de discorde

De l’intérieur, les femmes chrétiennes revendiquent leur place dans l’Église.

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Quand on pense christianisme et féminisme au Québec, on évoque vite les inégalités envers les femmes qui sévissent au sein de l’Église catholique romaine. C’est que cette confession est ici et historiquement la religion de la majorité. Outre les questions liées à l’avortement et à la contraception, l’ordination de femmes prêtres soulève débats et passions. Les autres Églises chrétiennes de la province (protestantes, évangéliques et anglicanes) font-elles « mieux »?

Les femmes représentent une main-d’œuvre indispensable pour les fonctions pastorales et administratives de l’Église catholique romaine. Toutefois, elles n’ont pas accès à la prêtrise. Et les choses ne semblent pas sur le point de bouger, autant sur cette question qu’en matière d’avortement et de contraception, toujours condamnés. Déposé en octobre 2015 et accueilli favorablement par le pape François, le rapport du Synode sur la famille (une assemblée d’ecclésiastes tenue au Vatican) ne comporte aucune modification quant à leur place au sein de l’Église.

Photographie de Denyse Marleau.

« Ma sœur est théologienne… et elle va à la messe que célèbre un de ses anciens collègues de classe, qui pourrait très bien avoir obtenu des notes beaucoup plus basses qu’elles, mais c’est lui le curé. »

Denyse Marleau, porte-parole du regroupement L’Autre Parole

Cet immobilisme ne date pas d’hier. « Durant les années 1970, les femmes catholiques ont cru que leur Église se dirigeait vers l’atteinte de l’égalité hommes-femmes. Mais Jean-Paul II est arrivé et a adopté une position néoconservatrice selon laquelle la femme a été créée comme l’“autre” de l’homme, pour le servir », raconte Denise Couture, professeure titulaire à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal. C’était tout juste après que les Québécoises eurent enfin obtenu l’accès aux facultés de théologie.

Des voix s’élèvent

Mais si les autorités restent campées sur leurs positions, des changements s’opèrent au sein même des communautés catholiques. Denise Couture fait partie du regroupement de chrétiennes L’Autre Parole, dont les membres organisent et président des célébrations comportant des relectures et des réécritures féministes de la Bible. Fondé il y a près de 40 ans, le groupe compte plusieurs cellules à Montréal, Sherbrooke, Rimouski, Québec et Gatineau.

« Nos positions diffèrent de celles de l’Église, notamment en ce qui concerne l’avortement, explique Denyse Marleau, porte-parole de l’organisation. Nous sommes pour le libre choix, car nous reconnaissons qu’il existe des situations où les femmes ne peuvent pas garder l’enfant. Nous ne condamnons pas. »

L’Autre Parole accueille les femmes homosexuelles et divorcées, et milite pour l’accession à la prêtrise pour les femmes. « Ma sœur est théologienne, elle a deux doctorats, mais elle est seulement agente de pastorale, s’insurge Mme Marleau. Elle va à la messe que célèbre un de ses anciens collègues de classe, qui pourrait très bien avoir obtenu des notes beaucoup plus basses qu’elle, mais c’est lui le curé. »

Ordination « illégale »

Entorse aux préceptes : des groupes dissidents ordonnent des femmes un peu partout à travers le monde, sans l’autorisation du Vatican. C’est le cas de Femmes prêtres catholiques romaines (FPCR), qui affirme que « femmes et hommes ont été créés égaux par Dieu et, par conséquent, ils/elles peuvent représenter Jésus-Christ, aussi bien l’un-e que l’autre ».

Parmi ces femmes, on trouve Marie Evans Bouclin, Franco-Ontarienne, religieuse défroquée, mariée, mère et grand-mère, détentrice d’une maîtrise en théologie de l’Université de Sherbrooke et membre, elle aussi, de L’Autre Parole. En 2007, elle est devenue la deuxième femme prêtre catholique du Canada ordonnée par FPCR, puis la première évêque canadienne en 2011. « Dieu appelle des femmes, qui sommes-nous pour le lui refuser? a-t-elle déclaré l’an dernier en entrevue à l’émission Carte de visite sur la chaîne TFO. Parfois, il faut obéir à Dieu et non aux hommes, surtout quand la loi des hommes est injuste. »

Les femmes ordonnées par FPCR sont généralement excommuniées, une avenue qui ne sourit guère à Denyse Marleau. Celle-ci préfère agir telle une missionnaire au sein de son Église, à l’image des nombreuses femmes qui choisissent de réformer l’institution de l’intérieur plutôt que de la quitter. « Nous sommes nombreuses à porter l’espérance de l’accès des femmes à la prêtrise, à croire que ça va évoluer », dit celle qui continue d’aller à la messe tous les dimanches tout en refusant de lire les textes qu’elle juge « dégradants » pour les femmes.

Photographie de Denise Couture.

« La religion et la spiritualité constituent un domaine social parmi d’autres, comme l’économie, la politique et l’éducation. Dans chacun d’eux, il y a de la discrimination envers les femmes et celles-ci mettent en place différentes pratiques de résistance. »

Denise Couture, professeure titulaire à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal
et membre du Regroupement de chrétiennes L’Autre Parole

Ordonner des femmes en maintenant l’obligation du célibat a-t-il du sens? La professeure Denise Couture explique que certains groupes adoptent la stratégie de revendiquer d’abord le droit pour les prêtres de se marier, car ils croient que ce sera plus facile à obtenir dans un premier temps, tandis que d’autres militent pour les deux. « Ce qu’il faut retenir, c’est que les groupes progressistes catholiques sont solidaires, même si leurs revendications diffèrent. »

Femmes pasteures : la fin du sexisme?

Au Moyen Âge, plusieurs théologiens, dont les plus célèbres sont Martin Luther et Jean Calvin, ont rejeté les orientations prises par le catholicisme. En ont résulté les Églises dites protestantes ou réformées, qui prônent un retour aux enseignements de l’Évangile. Dans Le protestantisme et les femmes. Aux origines de l’émancipation (Labor et Fides, 1999), Liliane Crété écrit que « dans la pensée des réformateurs, il y avait égalité de l’homme et de la femme, l’un et l’autre étant les deux aspects complémentaires de l’être initial créé par Dieu ». Au Québec, les principales confessions protestantes historiques sont les méthodistes, les congrégationalistes, les membres de l’Église unie du Canada et les presbytériens.

La majorité des Églises protestantes acceptent des pasteures en leur sein depuis la seconde moitié du 20e siècle. Pour sa part, l’Église anglicane ordonne des femmes depuis plus de 20 ans et a dit oui tout récemment à l’ordination de femmes évêques et archevêques. Mais attention : ordination de femmes ou présence de pasteures ne rime pas nécessairement avec éradication du sexisme.

« Dans certains cas, les femmes peuvent devenir pasteures mais subissent quand même beaucoup de discrimination, explique Mme Couture. Certaines ne trouvent pas les meilleures églises ou paroisses, ou n’ont pas la même autorité que les hommes lorsqu’elles sont à la tête d’une paroisse. Il peut y avoir une frange de paroissiens qui ne les accepte pas. »

À l’autre bout du spectre, certaines Églises protestantes s’affichent carrément comme étant de gauche : elles prônent l’égalité hommes-femmes et sont favorables à l’homosexualité, à la contraception et à l’avortement. C’est le cas de l’Église unie du Canada, fondée en 1925, qui compte des pasteures lesbiennes.

L’engouement pour les Églises évangéliques

Les Églises évangéliques ont connu un essor important au Québec vers la fin des années 1960 et durant les années 1970. Elles rassemblent de nos jours les protestants les plus visibles de la province. « Il y a eu une grande effervescence pendant la période du peace and love, qui a trouvé un écho religieux », raconte Chantal Bertrand, doctorante à la Faculté d’éducation de l’Université de Montréal et détentrice d’une maîtrise en science des religions.

Photographie de Chantal Bertrand.

« [Les églises évangéliques] sont extrêmement différentes les unes des autres. Il existe des centaines de dénominations qui peuvent être en complet désaccord sur le mariage gai, l’avortement et la place des femmes. »

Chantal Bertrand, doctorante à la Faculté d’éducation de l’Université de Montréal et détentrice d’une maîtrise en science des religions

Les mouvements évangéliques, parfois appelés néoprotestants, sont en croissance au Québec avec 326 245 citoyens s’y identifiant selon le recensement de 2011, contrairement aux Églises protestantes historiques, plutôt en déclin, avec 125 120 fidèles.

Ces églises évangéliques sont-elles plus ou moins progressistes que leurs aînées protestantes? « Elles sont extrêmement différentes les unes des autres. Certaines comptent des pasteures depuis très longtemps, alors que c’est carrément inconcevable pour d’autres, relate Mme Bertrand. Il existe des centaines de dénominations qui peuvent être en complet désaccord sur le mariage gai, l’avortement et la place des femmes. »

La doctorante, qui a étudié les Églises évangéliques québécoises les plus conservatrices pour son mémoire, explique que certaines refusent toute autorité aux femmes; elles leur interdisent même de passer la corbeille durant le service. « Ce qui n’empêche pas certains fidèles de trouver ça complètement idiot, dit-elle. Plusieurs historiens estiment que les prochaines générations d’évangéliques modifieront les pratiques, que les enfants nés de parents ayant fait le choix de se convertir pourraient être moins “zélés”. »

S’écarter des préjugés

Une chose est sûre, les femmes ont encore beaucoup de pain sur la planche pour prendre la place à laquelle elles ont droit au cœur du christianisme. « La religion et la spiritualité constituent un domaine social parmi d’autres, comme l’économie, la politique et l’éducation, illustre Denise Couture. Dans chacun d’eux, il y a de la discrimination envers les femmes et celles-ci mettent en place différentes pratiques de résistance. »

La professeure estime qu’il importe de se défaire de l’idée assez courante selon laquelle les femmes n’ont qu’à sortir de la religion pour être libres. « Sur le plan mondial, la grande majorité des femmes se trouve engagée dans des pratiques religieuses, ce qui n’empêche pas ces croyantes de s’identifier comme féministes, dit-elle. Pourrait-on imaginer un concept de laïcité qui, au lieu de trouver la solution dans le désengagement religieux des femmes, dresserait des obstacles sérieux aux institutions qui choisissent de les discriminer? » La question est posée.


Quelques infos sur le christianisme

En complément d’info

Près du tiers de la population mondiale est chrétienne. De ce nombre, environ la moitié est catholique. Au Québec, 5,8 millions de citoyens disant s’identifier à la confession catholique romaine selon le recensement de 2011, la plupart étant non pratiquants.