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Bouddhisme tibétain : l’éveil au féminin

Le mouvement bouddhiste : ouvert à la présence de leaders féminins?

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Si on connaît bien le dalaï-lama et Matthieu Ricard, les figures féminines du bouddhisme tibétain semblent plus rares. Deux moniales et un moine tibétain d’origine québécoise discutent de la place qu’occupent les femmes dans cette religion en Occident.

Danielle Lamoureux, mieux connue sous le nom d’Ani Lodrö Palmo, a été nonne bouddhiste (ou moniale) pendant 15 ans avant de revenir récemment à la vie laïque. Elle est une des rares Québécoises à avoir pris les vœux dans la tradition bouddhiste tibétaine. « Comme c’est le cas dans toutes les religions, la vie monastique n’est pas très à la mode en Occident. Nous ne sommes pas dans une ère de renoncement. Des moines et des moniales bouddhistes d’origine québécoise, il n’y en a pas 20 au Québec, hommes et femmes confondus », explique celle qui est toujours affiliée à l’école tibétaine Shambhala, qui compte plusieurs centres dans le monde.

En plus d’avoir aidé à mettre sur pied un centre Shambhala à Québec, elle œuvre comme coach de méditation à la Maison des leaders de Québec et au Département de l’éducation de l’UQAM. Elle vient également de publier L’arme de la bienveillance (Guy Saint-Jean Éditeur, 2015), dans lequel elle relate son expérience spirituelle sous forme de lettres à son fils.

« Les femmes jouent un rôle majeur dans le développement de la philosophie bouddhiste en Amérique du Nord, autant dans la vie monastique que dans la vie laïque, affirme Mme Lamoureux. Dans les centres Shambhala de Montréal, de Québec et d’ailleurs, elles sont très actives. Elles enseignent autant que les hommes. »

Présence et influence accrues

C’est aussi ce que croient Jason Simard et Sonia Constantineau, qui gèrent le Centre Paramita de bouddhisme tibétain, dans l’est de l’île de Montréal. « Les gens pensent qu’il n’y a que des moines bouddhistes dans la tradition tibétaine, mais allez faire un tour sur Internet : vous verrez que plusieurs femmes ont fondé des monastères, dirigent des communautés, enseignent et écrivent des livres, notamment aux États-Unis », souligne Jason Simard. C’est le cas de Thubten Chodron, qui a fondé en 2003 l’abbaye Sravasti, à Newport dans l’État de Washington, un des rares monastères américains dans lesquels les femmes peuvent être pleinement ordonnées. Elle a également coécrit un livre avec le dalaï-lama en 2014.

Photographie de Jason Simard.

« Les gens pensent qu’il n’y a que des moines bouddhistes dans la tradition tibétaine, mais allez faire un tour sur Internet : vous verrez que plusieurs femmes ont fondé des monastères, dirigent des communautés, enseignent et écrivent des livres, notamment aux États-Unis. »

Jason Simard, Centre Paramita de bouddhisme tibétain dans l’est de l’île de Montréal

« En Occident, il y a plus de femmes que d’hommes qui fréquentent les centres bouddhistes. Quatre-vingts pour cent des membres de notre communauté laïque sont des femmes », estime Sonia Constantineau. Sur les 20 enseignants qui donnent des cours et des ateliers aux centres Paramita de Montréal, de Québec et de Gatineau, plus de la moitié sont des femmes.

Jason Simard et Sonia Constantineau se partagent les tâches d’enseignement à celui de Montréal. Comme M. Simard suit les enseignements de son maître Lama Lobsang Samten depuis plus longtemps, il donne les cours de philosophie avancés, et Mme Constantineau, les cours d’introduction. Celle-ci dirige également des ateliers de méditation. Ils ont tous deux pris leurs vœux mineurs en 2014, en Inde, auprès du dalaï-lama, après avoir suivi une formation au Centre Toushita à Dharamsala. « En tant que pratiquant bouddhiste, on cherche à cultiver les causes du bonheur en éliminant les causes de la souffrance : nos comportements négatifs. En se dotant de certaines règles de conduite — les vœux —, on tente de restreindre les actions néfastes », explique Jason Simard. Les moines novices ont prononcé les vœux mineurs, tandis que les moines pleinement ordonnés ont prononcé les vœux majeurs, plus nombreux.

Avant de s’impliquer dans le développement du Centre Shambhala de Québec, Danielle Lamoureux a passé neuf ans à l’abbaye de Gampo, un monastère mixte du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, fondé par la New-Yorkaise d’origine Pema Chödrön en 1984. « Là aussi, l’enseignement est le même pour les hommes et les femmes, et il y a un partage égal des tâches et des responsabilités : corvées domestiques, accueil et assistance aux visiteurs, travail administratif, coaching en méditation, etc. », relate-t-elle. Figure influente ayant écrit de nombreux livres traduits dans plusieurs langues, Pema Chödrön tente d’établir une lignée de nonnes et de moines bouddhistes en Occident.

Ordination compliquée

Danielle Lamoureux a dû se rendre à Los Angeles, dans une école vietnamienne bouddhiste, afin de recevoir ses vœux majeurs et ainsi passer du statut de novice à celui de moniale pleinement ordonnée. « Avant que les bouddhistes tibétains essaiment dans le monde, les femmes ne pouvaient pas recevoir les vœux majeurs », précise-t-elle. Ce n’est pas interdit, mais depuis l’époque du Bouddha, il y a 2 500 ans, l’ordination est conférée par des lignées ininterrompues de bhikkhus (moines) et de bhikkhunis (moniales). Elle était devenue difficile d’accès pour les femmes, car les lignées de nonnes se sont presque toutes éteintes au Tibet *. « Il a fallu que le dalaï-lama accorde la permission spéciale aux nonnes des écoles tibétaines de recevoir leurs vœux majeurs dans une tradition bouddhiste différente de la leur, au Vietnam, en Chine ou en Corée », raconte Mme Lamoureux.

Photographie de Sonia Constantineau.

« En Occident, il y a plus de femmes que d’hommes qui fréquentent les centres bouddhistes. Quatre-vingts pour cent des membres de notre communauté laïque sont des femmes. »

Sonia Constantineau, Centre Paramita de bouddhisme tibétain dans l’est de l’île de Montréal

Selon elle, il y a des avancées depuis que les Occidentales s’intéressent au bouddhisme. « Au Tibet, on n’a pas vu beaucoup de moines travailler très fort pour améliorer la situation de l’ordination des femmes. En Asie, il y a longtemps eu de la discrimination envers les femmes bouddhistes : elles étaient plus orientées vers la dévotion rituelle, alors qu’on encourageait les hommes à étudier plus avant et à devenir enseignants. »

Cependant, de plus en plus de leaders tibétains en Asie et en Occident feraient la promotion de l’éducation des femmes, comme le chef de la lignée Karma Kagyu, le 17e karmapa. En 2014, il a institué un symposium annuel pour les nonnes, à Bodhgaya, en Inde. L’idée était de créer un espace où les femmes pouvaient réfléchir à leur vision d’elles-mêmes et du bouddhisme, et de les encourager à exprimer leurs revendications. Lors de la clôture du premier symposium, les représentantes des couvents ont formellement demandé au karmapa de recevoir la pleine ordination.

La compassion réservée aux femmes?

Jason Simard assure que le maître des centres Paramita, Lama Lobsang Samten, voit d’un bon œil la présence de leaders féminins au sein du mouvement bouddhiste. « En ce sens, nous suivons l’enseignement du Bouddha et celui du dalaï-lama. Dans toutes ses conférences, Lama Samten affirme qu’il ne faut faire aucune discrimination de genre, de religion, de nationalité. »

En 2009, le dalaï-lama a affirmé qu’il se considérait lui-même comme féministe. « N’est-ce pas ainsi que vous appelez quelqu’un qui se bat pour les droits des femmes? » a-t-il dit. Il a même évoqué la possibilité que le prochain dalaï-lama soit une femme. Cependant, d’aucuns disent qu’il s’agirait d’une stratégie pour empêcher la Chine d’intervenir dans le processus de nomination et d’ainsi nommer un dalaï-lama dont les décisions seraient prises à l’avantage du gouvernement chinois. Selon Jason Simard, la question importante est simplement : qu’est-ce qui sera le plus bénéfique dans le contexte actuel?

Sur son blogue, le moine bouddhiste Matthieu Ricard — célèbre depuis la publication de ses livres Le moine et le philosophe et Plaidoyer pour le bonheur — s’affiche également comme féministe. « Les femmes sont naturellement plus disposées à la sollicitude et à la compassion que les hommes […], écrit-il. Placés devant la nécessité de favoriser le développement d’une société plus altruiste, il semble donc souhaitable d’entrer désormais dans l’“âge de la femme”. Pour ma part, je me considère donc comme un “féministe”. »

Des propos comparables à ceux de M. Ricard ont récemment été tenus par le dalaï-lama et n’ont pas manqué de semer la controverse par leur caractère nettement différentialiste (les hommes et les femmes seraient, par nature, différents). Danielle Lamoureux explique que, dans la tradition tibétaine, on parle d’énergie masculine et féminine. « C’est vrai qu’on associe l’énergie masculine à l’action, et l’énergie féminine à la réception, à la compassion, à l’étendue de l’esprit. Mais les hommes et les femmes sont invités à développer ces deux énergies en eux-mêmes. Une personne équilibrée est capable d’ouverture, de réceptivité, et est aussi capable de passer à l’action afin de travailler pour une société plus juste. »

Lorsqu’on lui demande si la place des femmes dans le bouddhisme en Occident est un sujet chaud, elle répond que, dans sa communauté, le sujet de l’heure est surtout celui du bouddhisme engagé. « Comment concilier la vie spirituelle et l’engagement social? C’est ce dont on discute beaucoup, car ça va mal dans le monde! » conclut Mme Lamoureux.

  1. * Selon la conférence « Femmes et bouddhisme » de Gabriela Frey, présentée le 5 décembre 2013 à Paris dans le cadre de l’événement « Femmes et féminismes dans les religions et courants de pensée ».


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