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Redonner aux femmes le contrôle de leur accouchement

Accouchements : encore trop de femmes en position de vulnérabilité devant la figure d’autorité que représente le médecin.

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Depuis quelques années, le déroulement des accouchements en milieu hospitalier est remis en question. Que l’on parle d’humanisation des naissances ou de violence obstétricale, l’interrogation est la même : comment redonner aux femmes le pouvoir d’être au cœur de leur accouchement?

« Une véritable réflexion s’amorce sur les conditions de mise au monde des enfants, affirme Stéphanie St-Amant, docteure en sémiologie et chercheuse postdoctorale à McGill, évoluant depuis plus de 20 ans dans le milieu de la périnatalité. Les femmes ne devraient pas être simplement partie prenante de leur accouchement : elles doivent en prendre le contrôle. »

Il faut dire qu’historiquement, obstétrique et patriarcat allaient de pair. « Le système qui s’est mis en place depuis des siècles a pour fondement une lecture débilitante du corps des femmes, dit-elle. Il fallait les accoucher sur le dos parce qu’elles étaient faibles et, sans le médecin salvateur, on avait l’impression que les femmes mourraient comme des mouches! »

Photographie de Stéphanie St-Amant.

« Les femmes ne devraient pas être simplement partie prenante de leur accouchement : elles doivent en prendre le contrôle. »

Stéphanie St-Amant, docteure en sémiologie et chercheuse postdoctorale à McGill

Étonnamment, l’arrivée des technologies et des méthodes d’intervention modernes n’a pas amélioré les choses. Apparu dans les années 1960, le moniteur fœtal aurait par exemple contribué à une vision « machinique » du corps des femmes. « Tous les regards sont désormais tournés vers le moniteur : c’est lui qui accouche… » ironise la chercheuse.

Des agressions subtiles

Les situations désagréables qui se déroulent lors d’un accouchement et qui contribuent à la perte du contrôle des femmes relèvent le plus souvent d’agressions subtiles : commentaires déplacés du personnel, interventions réalisées sans explications, examens vaginaux de routine, rejet du plan de naissance, refus d’accoucher dans certaines positions, épisiotomies non consenties, etc. Placées en position de vulnérabilité et devant la figure d’autorité que représente le médecin, peu de femmes osent remettre ces comportements en question.

Hadjer Salam, mère de deux enfants en attente du troisième, en sait quelque chose. Son premier accouchement lui a laissé un goût amer en bouche. « Après plus d’une heure de poussées, je sentais le médecin excédé. Puis, je me suis rendu compte qu’on m’avait non seulement ajouté de l’anesthésiant sans m’en parler, mais qu’on avait également utilisé une ventouse. C’est quand celle-ci est tombée sur le sol que j’ai compris ce qui se passait », se souvient-elle. Effrayée, la jeune mère a précisé qu’elle ne voulait pas que la ventouse soit utilisée. Non seulement son souhait a-t-il été ignoré, mais elle a réalisé par la suite qu’on utilisait également des forceps sans préavis. « Avec tout ça, j’avais de la difficulté à me concentrer sur mes poussées. J’étais en mode panique. »

Photographie de Lorraine Fontaine.

« C’est toute une génération de femmes qui est en perte de pouvoir. Si le mouvement féministe ne s’intéresse pas à la naissance, on est à côté de la track. »

Lorraine Fontaine, coordonnatrice du Regroupement Naissance-Renaissance

Mais attention : en salle d’accouchement, agression ne signifie pas nécessairement mauvaise intention. Une étude menée il y a quelques années et financée par le Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes de l’Université de Montréal (CRI-VIFF) conclut notamment que la plupart des situations d’intervention obstétricale excessive ne sont pas liées à la mauvaise foi du personnel hospitalier. « Les intervenants ne sont pas nécessairement conscients de leur rapport malsain à l’accouchement, explique Lorraine Fontaine, coordonnatrice du Regroupement Naissance-Renaissance, qui a participé au projet. Les gens font partie d’un système et ont des pratiques liées à leurs croyances. C’est un problème d’éducation. »

Le savoir, c’est le pouvoir

« Les mères ont graduellement perdu confiance en leur capacité d’accoucher par elles-mêmes. Qui est responsable de cette réalité? La question est complexe », observe le Dr Guy-Paul Gagné, obstétricien-gynécologue et directeur du programme AMPROOBOB(Approche multidisciplinaire en prévention des risques obstétricaux), mis sur pied par la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. Financé par le gouvernement du Québec et implanté dans tous les centres hospitaliers de la province depuis 2008, ce programme incite les professionnels des établissements à suivre les directives cliniques nationales ainsi que des formations visant à améliorer la pratique obstétricale. Les sages-femmes ont été impliquées dans la formation des équipes hospitalières, et sont représentées dans toutes les équipes hospitalières AMPROOBOB. Cela a d’ailleurs contribué à augmenter la visibilité de la profession et à affirmer l’expertise des sages-femmes en matière de maternité. « Le programme a pour but de réduire les accidents et les situations désagréables dans les salles d’accouchement, et d’augmenter la rétention du personnel, car la pratique obstétricale est souvent considérée comme très stressante », explique le Dr Gagné.

Le programme vise également le développement des compétences non cliniques — le volet psychologique — essentielles à cette pratique. « Quand on peut créer une meilleure communication entre les professionnels, ils deviennent plus efficaces dans l’urgence, mais aussi dans l’accompagnement, le respect de la patiente, les examens de routine. Je pense qu’on a vu une amélioration sur ce plan grâce à AMPROOBOB », avance l’obstétricien.

Il reconnaît aussi que, pour certains professionnels, la gestion de l’anxiété passe parfois par le contrôle de l’accouchement. « Les gens perfectionnistes préfèrent pouvoir contrôler les étapes, prendre le travail en charge. Or, ce réflexe peut parfois devenir une tendance organisationnelle. Il faut revenir à une gestion personnelle de la naissance », croit-il.

Photographie de Noémie Carrière.

« Il n’y a pas beaucoup d’éducation populaire sur l’accouchement. On pense qu’on sait ce que c’est, mais en réalité tout est basé sur des peurs, des films, des histoires de notre entourage, etc. »

Noémie Carrière, doctorante en études féministes et de genre à l’Université d’Ottawa et bénévole accompagnatrice à la naissance

Pour le Dr Gagné, les plus grands freins demeurent le manque de connaissances et les croyances liées à l’accouchement. Et ce, de tous les côtés. Noémie Carrière, doctorante en études féministes et de genre à l’Université d’Ottawa et doula bénévole (accompagnatrice à la naissance), est bien d’accord. « Il n’y a pas beaucoup d’éducation populaire sur l’accouchement. On pense qu’on sait ce que c’est, mais en réalité tout est basé sur des peurs, des films, des histoires de notre entourage, etc. », remarque-t-elle.

Agir comme patiente et comme professionnel

« Plusieurs femmes vivent des expériences formidables à l’hôpital, mais ça prend beaucoup d’éducation, notamment pour comprendre le processus de grossesse et d’accouchement. Il ne faut pas hésiter à s’interroger sur le système », dit Stéphanie St-Amant.

Photographie d'hélène Vadeboncoeur.

Hélène Vadeboncoeur, chercheuse en périnatalité, a travaillé avec l’Alliance du Ruban blanc à l’élaboration d’une charte internationale pour le respect dans les soins de maternité.

C’est ce qu’a fait Hadjer Salam quand est venu le temps de mettre au monde sa deuxième fille. Échaudée par sa première expérience, elle a changé d’établissement et de médecin pour repartir à neuf, et a pris le temps de discuter de ses préférences avec son obstétricien. « Je lui ai dit dès le début que je ne voulais rien savoir des interventions pour m’aider à accoucher. En salle d’accouchement, j’ai rappelé au personnel que je ne voulais ni ventouse ni forceps. » Elle s’est également assurée que son conjoint soit bien au fait de la situation et qu’il intervienne au besoin. Résultat? Le deuxième accouchement s’est déroulé comme un charme.

Heureusement, la conscientisation progresse, ici comme ailleurs. « Même si le problème existe depuis toujours, l’ouverture sur le sujet s’est vraiment faite dans les cinq dernières années », confirme Hélène Vadeboncoeur, chercheuse en périnatalité. Elle a d’ailleurs travaillé avec l’Alliance du Ruban blanc, une organisation militant pour la sécurité entourant la naissance, à l’élaboration d’une charte internationale pour le respect dans les soins de maternité. S’inspirant des conventions des droits de la personne, cette charte est un outil de sensibilisation mais aussi de recherche.

Les institutions font également plus d’efforts. En Angleterre, des « formations à la compassion » sont offertes pour le personnel médical. Plus près de chez nous, l’Hôpital Brome-Missisquoi-Perkins, à Cowansville, applique depuis 2013 une approche de l’International MotherBaby Childbirth Organization qui établit des normes pour les interactions entre patiente et professionnels. « Ce sont des gestes de base : se présenter en entrant dans une pièce, fermer la porte lors des attouchements vaginaux, etc. », explique Hélène Vadeboncoeur, qui a participé à la création de l’initiative. À ce jour, il s’agit du seul hôpital au Québec à avoir adopté ce programme.

« C’est toute une génération de femmes qui est en perte de pouvoir. Si le mouvement féministe ne s’intéresse pas à la naissance, on est à côté de la track », conclut Lorraine Fontaine.

En complément d’info

Un avis publié en 2012 par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS).