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Femmes et pouvoir : l’inacceptable statu quo

Pourquoi la sous-représentation des femmes en politique persiste?

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Les femmes en politique changent le monde. C’était la conclusion du précédent essai * de l’auteure et journaliste indépendante Pascale Navarro. Dans Femmes et pouvoir : les changements nécessaires, elle affirme que celles-ci doivent être plus nombreuses, jusqu’à atteindre la parité avec les hommes, afin que nos Parlements reflètent enfin le visage de la population qu’ils représentent. Entretien.

Photographie de Pascale Navarro.
Pascale Navarro, auteure et journaliste indépendante, démolit habilement l’idée préconçue selon laquelle les quotas favoriseraient injustement les femmes au détriment de la compétence des candidats.

Pour Pascale Navarro, la sous-représentation des femmes dans les sphères politiques est tout sauf un enjeu secondaire. « Si on attend que l’économie soit au beau fixe pour agir sur l’égalité, on va attendre longtemps! » lance-t-elle.

L’auteure a déjà atteint une partie de son objectif : amener la question sur la place publique. Rencontrée chez elle un vendredi matin, elle l’admet d’emblée après une semaine exigeante durant laquelle elle a présenté le contenu de son livre sur toutes les tribunes médiatiques : presse écrite, Web, télé, radio. Il faut dire que Pascale Navarro propose un essai fouillé, qui s’appuie sur un travail terrain de plusieurs années qui l’a menée un peu partout au Québec, à New York, en France et en Suède, entre autres, sur les traces de plusieurs chercheuses à qui elle donne la parole à maintes reprises tout au long de l’ouvrage.

Au fil de la discussion, la thèse de l’essayiste coule de source, s’impose : les Parlements ne sont pas représentatifs de tous les citoyens qui composent la société, dont 50 % de femmes. Il faut y remédier, ça presse. « L’objectif de la parité en politique, c’est de créer une société plus juste, équitable et démocratique », explique-t-elle.

Comment se fait-il que nous soyons encore enfoncés dans ce marasme, 75 ans après l’obtention du droit de vote des Québécoises, alors que les textes de loi et les chartes proclament l’égalité des sexes? Selon l’auteure, nous vivons dans une société qui projette une illusion d’égalité, puisque les femmes ont investi le marché du travail, sont sur les bancs des universités, mais, en contrepartie, se retrouvent toujours sous-représentées dans les hautes sphères du pouvoir.

Vice démocratique

« Pouvons-nous reconnaître la légitimité des décisions pour lesquelles près de 50 % de la population n’est pas représentée? » s’interroge Pascale Navarro. À titre d’exemple, elle rappelle l’exercice budgétaire du gouvernement du Québec en février dernier, qui prévoyait des investissements majeurs dans des domaines à forte prédominance masculine (construction et infrastructures) tout en coupant massivement dans les milieux de la santé et des services sociaux, champs majoritairement investis par les femmes. Critiqué à ce sujet, le ministre des Finances avait prétendu qu’un budget est un exercice « neutre et non discriminatoire ».

Ces propos ont troublé Pascale Navarro. « Ils démontrent que des responsables de haut niveau n’ont pas les connaissances de base en matière d’égalité pour mesurer les impacts de leurs politiques économiques, déplore-t-elle. On a l’impression de revenir en arrière, de devoir tout réexpliquer, ça n’a aucun bon sens! » Selon elle, l’atteinte de la parité dans les gouvernements et Parlements, soit un nombre à peu près égal de femmes et d’hommes dans une proportion de 40 à 60 %, est plus que nécessaire pour que les décisions reflètent la population représentée.

Et ne venez pas lui dire que c’est la faute des femmes si elles ne se lancent pas en politique! « “Les femmes n’y vont pas” n’est pas une réponse recevable », tranche l’auteure, qui a exploré de fond en comble les mesures à adopter pour parvenir à la parité. La stratégie attentiste, la pensée magique et l’espoir d’une éventuelle conjoncture favorable aux femmes n’y feront rien, à son avis. « Au Québec, on a tenu pour acquis que l’égalité faisait partie de la culture et que ça se traduirait automatiquement dans les sphères politiques, mais c’est une erreur. Le parcours historique et politique du Québec et du Canada des 30 dernières années a démontré que c’est faux. »

Se donner des règles claires

Pascale Navarro démolit habilement l’idée préconçue selon laquelle les quotas favoriseraient injustement les femmes au détriment de la compétence des candidats. Pour elle, présumer qu’une candidate présentée en fonction de quotas est moins qualifiée constitue ni plus ni moins que « de la pure discrimination ».

« On ne présume jamais de l’incompétence d’un homme qui se présente à une fonction de député, expose-t-elle. Les candidats doivent convaincre l’électorat qu’ils sont les meilleurs pour le représenter, peu importe leur sexe. » Selon elle, les hommes profitent déjà d’un contexte sociohistorique qui les avantage. « Les candidats sont recrutés selon des critères traditionnels de réseautage. Les hommes se choisissent entre eux, alors on peut dire qu’ils bénéficient déjà de quotas par défaut. »

Sans affirmer qu’ils constituent LA solution parfaite, les quotas de candidatures au sein des partis sont, selon Pascale Navarro, l’un des meilleurs outils disponibles. « Puisqu’on ne bouge pas, il va falloir des quotas, résume-t-elle. Se contenter du statu quo équivaut à se résigner à l’inégalité des femmes dans les instances politiques. »

L’auteure souhaite que « ça vienne de l’intérieur », que tous les partis consentent à présenter autant de candidates que de candidats. Les quotas seuls, sans réelle volonté politique, ne suffiront pas, croit-elle. « Il faut convaincre les hommes, faire d’eux nos partenaires. La parité et l’égalité doivent être défendues par les deux sexes. »

Des changements nécessaires

La parité dans la représentation politique devrait être le plancher de base de l’égalité, selon l’auteure, qui souhaiterait voir autant de femmes que d’hommes dans toutes les sphères décisionnelles financées par les deniers publics. « Plus je le dis, moins j’en reviens que ce ne soit toujours pas le cas, s’insurge-t-elle. Le but n’est pas d’imposer une vision féminine, mais bien de partager l’espace de discussion pour que les décisions soient plus égalitaires et que l’on redevienne une société progressiste. »

Celle qui a choisi la bibliothèque de l’Assemblée nationale pour le lancement de son livre à Québec souhaite interpeller les partis. « Je ne prétends pas avoir toutes les solutions, dit-elle. Je veux mobiliser les femmes, qu’elles arrêtent de se résigner, et je veux convaincre les hommes de la nécessité de la mixité dans la sphère politique. Il faut s’obliger à le faire, ce débat-là. »

  1. 1Les éditions du Boréal
Page couverture du livre Les femmes et pouvoir.

Pascale Navarro, Femmes et pouvoir : les changements nécessaires. Plaidoyer pour la parité, Leméac, 2015, 96 pages