Aller directement au contenu

Équatoriennes à la défense de la terre mère

En Équateur, des agricultrices défendent leurs territoires, se mobilisent et luttent contre l’industrie minière.

Date de publication :

Auteur路e :

Dans le décor enchanteur des campagnes entourant la ville de Cuenca, en Équateur, vivent des femmes en colère. Au sein du Front des femmes défenseures de la terre mère, elles luttent contre un mégaprojet minier piloté par une entreprise aurifère canadienne, INV Metals.

Elles se surnomment affectueusement les abuelitas, ou « petites grand-mères ». Leur métier : agricultrices et mères de famille. La Gazette des femmes a eu l’occasion de visiter leur coin de pays.

Photographie d'Isaura Arévalo Pugo Francisca Zhagüi Chuchuca.
Les femmes (en colère!) du Front des femmes défenseures de la terre mère luttent contre un mégaprojet minier piloté par une entreprise aurifère canadienne.

« Regarde ces papayes comme elles sont belles; elles sont naturelles. L’eau qui coule ici est propre », nous dit Isaura Arévalo Pugo, membre du Frente de mujeres defensoras de la pachamama (Front des femmes défenseures de la terre mère). Devant nous, s’offre à nos yeux un paysage splendide fait de montagnes et de pâturages paisibles. À nos pieds, la rivière Tarqui se déverse dans une vallée verdoyante. C’est là que se niche la petite communauté de Tarqui, où Isaura et sa fille, Carmen, vivent et traient leurs vaches tous les matins.

Cette harmonie avec la nature est un équilibre précaire; les femmes du Front ne le savent que trop bien. En 2000, sans avoir organisé de consultation libre et éclairée des communautés touchées, le gouvernement équatorien a accordé à l’entreprise canadienne d’or IAMGOLD une concession pour la prospection du Kimsakocha. Douze ans plus tard, IAMGOLD a vendu le projet et ses droits d’exploitation à une société canadienne de plus petite envergure, INV Metals, tout en gardant 47 % des actions. INV Metals a alors rebaptisé le projet Loma Larga.

Les hauts plateaux du Kimsakocha sont situés à 3 000 mètres d’altitude dans les Andes. « Ce lieu isolé dit de páramo [plateau dénudé] agit en véritable zone éponge », explique le chercheur William Sacher, double doctorant en sciences atmosphériques et océaniques de l’Université McGill puis en économie du développement à la Faculté latino-américaine de sciences sociales, et coauteur de Noir Canada et de Paradis sous terre (éditions Écosociété). Le Kimsakocha, qui signifie « trois lacs » en kichwa (langue indigène parlée en Équateur), forme un palier climatique où pousse peu de végétation, mais où les précipitations abondent. Selon M. Sacher, malgré la taille relativement petite du projet Loma Larga (comparativement aux autres exploitations minières en Équateur), l’emplacement visé demeure problématique, car il s’agit d’une zone de formation d’eau : le Kimsakocha alimenterait en eau près de 2 000 familles paysannes et indigènes.

Masculinisation des territoires

Francisca Zhagüi Chuchuca, une voisine d’Isaura également membre du Front, fixe l’horizon, un seau rempli de lait de vache frais sur le dos. « Pour le gouvernement, les femmes ne valent rien. Il n’accorde pas de valeur à notre voix. Pourtant, nous autres campesinas travaillons la terre. Comment pourrons-nous continuer à produire des aliments sains avec une eau contaminée? » Ces agricultrices habitent une région laitière importante pour le canton de Cuenca. Leur principale source de revenus est le lait de leurs vaches, ainsi que la vente de leurs fruits et légumes.

Photographie de Francisca Zhagüi Chuchuca.

« Pour le gouvernement, les femmes ne valent rien. Il n’accorde pas de valeur à notre voix. Pourtant, nous autres campesinas travaillons la terre. Comment pourrons-nous continuer à produire des aliments sains avec une eau contaminée? »

Francisca Zhagüi Chuchuca, membre du Frente de mujeres defensoras de la pachamama (Front des femmes défenseures de la terre mère)

Pour la présidente du Front, Lina Solano Ortiz, l’industrie minière engendre une véritable « masculinisation des territoires ». Cette sociologue explique qu’en créant des emplois essentiellement destinés aux hommes, cette industrie dépouille les femmes de leurs moyens de subsistance. Cette dépendance financière les rend plus vulnérables à la violence intrafamiliale. Des dynamiques qui renforcent le patriarcat, dénonce-t-elle dans la revue Droits et libertés.

Une fois les ressources épuisées, les minières plient bagage et abandonnent les territoires contaminés, laissant derrière elles une population aux prises avec des problèmes de santé. Pour les membres du Front des femmes défenseures de la terre mère, c’est la pérennité des générations futures qui est menacée. « Ces compagnies nous condamnent à une mort lente », déplore Isaura. Et puisque le soin des malades incombe souvent aux femmes, leur charge de travail s’en trouvera alourdie, ajoute Lina.

Gagner la faveur populaire

En 2008, le gouvernement équatorien s’était engagé à réduire la dépendance économique au secteur extractif en diversifiant l’économie et en faisant la promotion d’une conception alternative de développement appelée « Buen Vivir ». De tradition indigène, ce principe rejette la croissance économique illimitée et promeut un style de vie en harmonie avec la nature.

Isaura Arévalo Pugo dans son jardin de plantes médicinales.

« Nous n’arrêterons pas de vivre, de dénoncer, de lutter! »

Isaura Arévalo Pugo, membre du Frente de mujeres defensoras de la pachamama (Front des femmes défenseures de la terre mère)

Aujourd’hui, le gouvernement Correa propose un « nouvel extractivisme » vantant les mégaprojets miniers comme moyen de développer le pays et de combattre la pauvreté et les inégalités sociales. Tout est mis en branle pour encourager la population à soutenir les minières. « Le gouvernement achète les gens. Il nous ment. Il dit que la mine n’affectera rien, ne contaminera rien. Mais nous savons que c’est faux! » s’indigne Francisca.

Dans le village de Victoria del Portete, un complexe éducatif est en cours de construction. Derrière ce projet à caractère social se trouve une entreprise étatique, Ecuador Estratégico, qui assume la totalité de son financement. Pour la coordonnatrice du programme d’Amérique latine de Mines Alerte, Jennifer Moore, ce n’est que de la poudre aux yeux. « Pour l’État, ces projets stratégiques servent à convaincre la population que l’Équateur a besoin des mégaprojets miniers pour financer les programmes sociaux. Mais le débat sur leurs effets néfastes à long terme sur les communautés locales, lui, est évacué », déplore-t-elle.

Contestation risquée

Pour se faire entendre, les membres du Front des femmes défenseures de la terre mère organisent des marches, des sit-in et d’autres formes de protestation publique pacifique. Elles offrent également des formations et des séminaires, en plus de tisser des liens avec d’autres regroupements de femmes à travers l’Amérique latine. Ces abuelitas sont en outre actives sur les médias sociaux, et ont même leur propre émission de radio.

Mais cette prise de parole publique et cette mobilisation ne sont pas sans conséquence. Malgré l’adoption, en 2008, d’une Constitution progressiste du point de vue des droits de la personne, la criminalisation des opposants aux projets miniers en Équateur ainsi que la restriction de la liberté d’expression sont devenues monnaie courante.

Les membres du Front ont fait l’objet de différentes accusations, notamment d’« obstruction de la voie publique » et, plus sérieusement, de « terrorisme organisé ». Selon Me Fernanda Venzon, avocate à l’Environmental Defender Law Center, aux États-Unis, il s’agit d’une véritable forme d’intimidation.

Le scénario se répète ailleurs en Équateur, entre autres dans la vallée de l’Intag et aux frontières avec le Pérou, où d’autres mégaprojets miniers sont en cours. Quelques jours avant notre rencontre avec les abuelitas, un leader de la communauté shuar et activiste antimines était retrouvé mort dans la rivière Zamora, dans le sud-est du pays.

Malgré les risques, le Front des femmes défenseures de la terre mère continue son combat. « Nous n’arrêterons pas de vivre, de dénoncer, de lutter! » conclut Isaura Arévalo Pugo dans un cri du cœur.

En complément d’info

Le blogue du Front des femmes défenseures de la terre mère (en espagnol).