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L’égalité vue par Boucar Diouf

Si on a dix femmes et un bébé mâle en couche, il faut employer « ils ». Ça, c’est aberrant!

Date de publication :

Boucar Diouf, originaire du Sénégal, est installé au Québec depuis 1991. Tout à la fois humoriste, biologiste, animateur et auteur, c’est en 2008 qu’il publie son premier essai : La Commission Boucar sur le raccommodement raisonnable, sur les questions de l’identité et de l’ouverture à l’autre. Depuis 2011, on peut également lire ses textes d’opinion dans La Presse. « Mon grand-père disait toujours », dit (presque) toujours Boucar. Mais ici, c’est en son propre nom qu’il parle d’égalité; et d’inégalités.

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L’égalité entre les femmes et les hommes sera atteinte quand…

Elle sera atteinte le jour où on arrêtera d’en parler. Si on continue d’en parler, c’est que les problèmes sont encore là. Si tous les hommes sensés étaient féministes, on arrêterait d’en parler. Et quand on arrêtera de se battre pour des choses qui sont censées être acquises, comme l’avortement, par exemple, l’égalité sera atteinte. Bref, quand les femmes et les hommes qui sont sensés et féministes pourront dormir sur leurs lauriers sans s’inquiéter, elle sera atteinte.

La société québécoise est une société où l’égalité hommes-femmes est quand même assez bien avancée. Les femmes s’assument et les hommes ont cheminé, même s’il reste du travail à faire. Et c’est rare sur la planète. Le jour où les politiciens d’ici vont réaliser que, de ce point de vue, la société québécoise est une minorité et qu’il faut la protéger, je crois que ça va aider.

Quand j’entends [insérez ici un préjugé sur les femmes], les veines me sortent du cou!

Quand j’entends les gens dire que les femmes sont libres de porter la burka, avec le grillage. Quand je les entends dire qu’elles ont choisi librement de la porter, j’ai vraiment de la difficulté avec ça. Parce que quand on regarde l’historique de la chose, on voit que c’est une liberté imposée par une culture, un environnement social. Une liberté induite. Elles l’ont peut-être choisi librement, mais ce sont des circonstances et un environnement social qui ont déterminé ça. C’est comme les femmes qui, au Québec, avaient librement décidé qu’elles n’avaient pas besoin du droit de vote, que ce n’était pas nécessaire. Quand tu regardes en arrière, tu vois aussi le travail du mari et de la société derrière tout ça. C’est la même chose. C’est une liberté, mais une liberté induite par une pression sociale.

L’affirmation ou la remarque la plus sexiste que vous ayez entendue?

Je suis un amoureux de la langue française, j’en ai contre l’ambiguïté que le français maintient. On utilise encore dans les textes « le sexe faible ». C’est une expression qui me dérange. Je trouve qu’on devrait l’enrayer. Parce que c’est une façon subliminale d’inculquer le machisme aux jeunes. L’autre problème, c’est le masculin qui l’emporte sur le féminin. Si on a dix femmes et un bébé mâle en couche, il faut employer « ils ». Ça, c’est aberrant! Ces particularités de la langue française, je lutte pour les supprimer de la grammaire. Je dis qu’il faut les enlever. Parce que c’est subliminal et que ce n’est pas une nécessité.

Dans l’actualité, qu’est-ce qui vous fait le plus grincer des dents ces temps-ci en matière d’inégalité femmes-hommes?

L’homme qui tue sa femme parce qu’il n’arrive pas à concevoir qu’elle puisse l’avoir quitté et être heureuse dans les bras d’un autre. Ça, c’est une poche de résistance extrême contre une société qui a avancé. J’y vois une corrélation avec le taux de divorce. On entend souvent les gens dire qu’au Québec, on a beaucoup de divorces et que c’est ce qui explique que notre société ne marche pas. Moi, je dis que c’est le contraire. En vérité, dans les sociétés où l’égalité femmes-hommes a fait son chemin, les femmes peuvent partir. Ailleurs, ce n’est pas une option. Et même quand c’est une option, souvent, la société ne soutiendra pas la femme qui divorce. Ici, les femmes partent parce qu’elles savent qu’elles peuvent partir. Elles savent aussi que la société sera derrière elles et qu’il y a une structure qui les aidera. Au Québec également, ça a déjà été une société où on ne pouvait pas divorcer. Et les gens n’étaient pas plus heureux dans leur mariage. Aujourd’hui, certains hommes plus Cro-Magnon que d’autres veulent que les choses soient comme elles étaient avant. Mais pour moi, le divorce, c’est un signe de santé sociale.

Un moment-clé dans votre vie personnelle, dans votre carrière, où vous avez pris conscience que l’égalité n’était pas réellement atteinte?

Qu’une clinique Morgentaler ferme [NDLR : au Nouveau-Brunswick, en 2014], ce n’est pas normal. L’avortement, c’est une chose qui devrait être acquise. L’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire, moi, ça m’a ébranlé. Ayoye! Que ces gens qui ont un mode de pensée si rétrograde soient plébiscités, y’a un gros bogue. Y’a un grand nombre de gens derrière Stephen Harper qui pensent que le rôle de la femme, c’est de rester à la maison. Que le divorce, c’est pas bien, que Dieu n’aime pas ça, et que l’avortement, c’est mal. J’ai écrit un texte quand le député Stephen Woodworth a déposé une motion sur les droits du fœtus. Mon texte s’appelait « Crédibilité nulle » J’ai reçu des lettres d’acharnement de gens du mouvement pro-vie avec des photos de fœtus. Ayoye! On est rendus là? Moi, je voulais juste dire qu’une gang de gars assis qui s’acharne sur le libre choix des femmes, y’a quelque chose d’indécent là-dedans. Et ça a déchaîné beaucoup de passion. Et de voir tous ces gens qui militent pour la régression des femmes et qui sont majoritairement plébiscités à travers le Canada, pour moi, c’est un problème..