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Coupe du monde de soccer féminin : un réel tremplin?

Comment sortir de l’ombre le soccer féminin?

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Un an après celle des hommes au Brésil, le Canada accueille la septième Coupe du monde féminine de la FIFA du 6 juin au 5 juillet. L’événement pouvait-il attirer les foules et l’attention médiatique au Québec, où le soccer féminin est davantage un loisir estival qu’un sport d’élite? Analyse.

Photographie de Marie-Josée Legault.
Rudy Doliscat, ancien joueur de l’Impact de Montréal et aujourd’hui sélectionneur de l’équipe de soccer féminin du Québec, souligne qu’il manque une ligue professionnelle au Canada pour que les joueuses soient plus ambitieuses.

« Certes, nous avons perdu 9-0, mais les Québécoises n’ont jamais joué à un niveau aussi élevé. Elles ont beaucoup appris », résume Rudy Doliscat, ancien joueur de l’Impact de Montréal, aujourd’hui sélectionneur de l’équipe de soccer féminin du Québec. Ce mercredi 3 juin, au Complexe sportif Bois-de-Boulogne de Laval, un petit millier de spectateurs est venu encourager les jeunes Québécoises face à l’équipe de France, en préparation pour la Coupe du monde. Une rencontre amicale conçue comme une fête par la Fédération de soccer du Québec, qui compte profiter de la Coupe du monde pour promouvoir le soccer féminin dans ses 15 régions.

À l’échelle nationale, le comité organisateur du Mondial espère vendre 1,5 million de billets pour les 52 matchs joués à Vancouver, Edmonton, Winnipeg, Ottawa, Moncton et Montréal. La compétition, qui accueille cette année 24 équipes, a débuté le 6 juin à Edmonton avec le premier match des Canadiennes face à la Chine – le Canada a gagné 1 à 0 grâce à un but de Christine Sinclair sur un tir de pénalité durant les arrêts de jeu*. La finale aura lieu le 5 juillet à Vancouver.

« Le Stade olympique de Montréal sera plein pour le match du Canada face aux Pays-Bas le 15 juin [NDLR : 45 420 spectateurs étaient présents]. Mais lors des autres matchs de poule**, il risque de sonner un peu creux », prédit Michel Dugas, chargé de communication à la Fédération de soccer du Québec. Montréal accueillera un huitième et un quart de finale, ainsi qu’une demi-finale. Suffisant pour attirer le public tout au long du tournoi? « Non. La ferveur populaire dépendra du parcours du Canada. Le public québécois n’est pas assez friand de soccer féminin pour suivre toutes les équipes », estime Jessica Silva, adjointe au développement du soccer féminin à la Fédération.

Participer plutôt que compétitionner

Selon une récente enquête de la FIFA, 53 % des joueuses de soccer dans le monde sont nord-américaines; 21 % sont asiatiques et 20 % européennes. « Tous les sports américains sont mixtes, c’est ancré dans notre culture de jouer aux mêmes jeux que les hommes. En Europe, le soccer masculin brasse des milliards, il occupe tout le marché. Les filles souffrent d’un retard économique et médiatique qu’elles n’arrivent pas à combler », affirme Jessica Silva. La Fédération de soccer du Québec compte 200 000 licenciés (joueurs titulaires d’une licence sportive de la Fédération), dont 80 000 femmes, soit 40 %. Celles-ci ne représentent que 7 % des licenciés en France. « Le soccer est considéré comme un sport plutôt féminin ici. En raison d’un manque de pratique et d’éducation, beaucoup d’amateurs de hockey estiment que c’est un sport lent, sans action. Pourtant, le soccer est un sport violent dans les duels, mais la comparaison avec le hockey empêche les Québécois de le considérer comme tel », croit Mme Silva.

Photographie de Michel Dugas.
Michel Dugas, chargé de communications à la Fédération de soccer du Québec, avait prédit que le Stade olympique de Montréal serait plein pour le match du Canada face aux Pays-Bas, tout en analysant qu’il risquait de sonner creux lors des matchs de poule.

Il y a aujourd’hui deux fois plus de licenciés en soccer qu’en hockey. Et le soccer permet de se dépenser… sans presque rien dépenser. Pas plus de 100 $ pour un ballon et des chaussures, contre plusieurs centaines pour l’équipement de hockey. « C’est un sport de participation au Québec. Beaucoup de joueuses sont juste heureuses de se trouver un loisir estival. Elles ne rêvent pas de carrière ou même d’atteindre un haut niveau, explique Rudy Doliscat. Il manque une ligue professionnelle au Canada pour que les joueuses soient plus ambitieuses. Il y a beaucoup de Québécoises dans les sélections canadiennes des moins de 17 ans et de 20 ans. Mais lorsqu’elles quittent le centre national à 18 ans, elles n’ont pas d’autre choix que d’aller dans des universités américaines ou de choisir une profession. »

Trois Québécoises se sont glissées dans la liste des 23 joueuses canadiennes qui disputent ce Mondial : l’indéboulonnable défenseure Rhian Wilkinson, l’attaquante Josée Bélanger, qui a offert la victoire face à la Suisse avec son but lors du dernier match de poule, et l’arrière Marie-Ève Nault.

Malgré son développement effréné, le soccer se heurte toujours à un manque de culture au Québec. « La plupart des entraîneurs sont européens. Mon père nous entraînait quand j’avais 8 ans, à Longueuil, mais il n’avait jamais joué au soccer! D’ailleurs, aucun parent n’y avait joué », souligne Magali Laramée-Vézina, joueuse des Canons de Longueuil. Le climat raccourcit les saisons et entrecoupe l’évolution des joueuses. « Il existe des terrains de 100 mètres couverts à Montréal, mais ils sont rares, poursuit-elle. Seules les très bonnes joueuses y ont accès l’hiver. Pour les autres, il reste les ligues d’été, où les équipes sont assez informelles. Les filles y entrent par contact; on préfère prendre une copine que la meilleure candidate. »

Encore un sous-sport

« Le tirage nous est favorable », déclarait Philippe Bergeroo, le sélectionneur de l’équipe de France, en découvrant le groupe qui allait les opposer à la Colombie, au Mexique et à l’Angleterre. Chez les hommes, ce serait un groupe très dur à affronter. Chez les femmes, la poule la plus relevée est composée de la Suède, de l’Australie, du Nigeria et des États-Unis. Les meilleures équipes se trouveraient-elles dans les pays les moins machistes? « Bien sûr. Nos avancées féministes se sont conjuguées à celles du sport féminin. Même si nous souffrons encore de discrimination, elle n’a rien à voir avec celle des pays latins, où les joueuses de soccer sont considérées comme des garçons manqués. Ici, ces préjugés touchent davantage les joueuses de hockey; beaucoup croient encore que le hockey féminin est un repaire de lesbiennes », explique Magali Laramée-Vézina.

Photographie de Lydya Assayag.

« Les filles souffrent d’un retard économique et médiatique qu’elles n’arrivent pas à combler. »

Jessica Silva, adjointe au développement du soccer féminin à la Fédération de soccer du Québec

Il y a quelques années, humiliées par l’indifférence médiatique après leur qualification pour la Coupe d’Europe 2009, les joueuses de l’équipe de France ont posé nues en portant un message : « Faut-il en arriver là pour que vous veniez nous voir jouer? » La campagne a trouvé un écho spectaculaire, mais éphémère. « Notre meilleure joueuse de tennis, Eugenie Bouchard (numéro 6 mondial), est toujours assaillie de questions sur sa jupe ou son chum. C’est décourageant. Le sport féminin reste un sous-sport », s’attriste Magali Laramée-Vézina.

Les idoles des joueuses de soccer québécoises sont Lionel Messi ou Cristiano Ronaldo, et non pas Mia Hamm ou Christine Sinclair. « Le soccer féminin n’est pas diffusé. Les hommes ne s’intéressent aux équipes féminines que lors des Jeux olympiques. Il faudra un exploit du Canada au Mondial pour réveiller le grand public », estime Jessica Silva.

* Mise à jour : Le 27 juin, l’équipe hôte a quitté la compétition en quarts de finale après une défaite de 2-1 face à l’Angleterre, à Vancouver. « Elles ont tout donné. Mais ce ne fut quand même pas suffisant », a déclaré l’entraîneur John Herdman. Au total, 241 904 spectateurs ont assisté aux matchs des Canadiennes. En demi-finales, les États-Unis ont affronté l’Allemagne le 30 juin à Montréal et le Japon a rencontré l’Angleterre le 1er juillet à Edmonton.

** Matchs de poule : la première partie de la compétition où les équipes s’affrontent dans des groupes de quatre; seules les deux meilleures équipes passent ensuite en huitièmes de finale.

Le gazon est-il plus vert chez les hommes?

Le Mondial canadien se dispute sur des terrains synthétiques. Une première. L’étoile américaine Abby Wambach et 61 autres joueuses ont engagé un bras de fer avec la FIFA pour jouer sur du gazon naturel. Les poursuites judiciaires ont finalement été retirées. « En raison de nos conditions climatiques, le synthétique s’impose, dit Rudy Doliscat, sélectionneur de l’équipe du Québec. Mais j’ai vu que le Canada avait déposé une candidature pour organiser la Coupe du monde de soccer masculin en 2026. Si le pays l’obtient, je suis presque sûr que le gouvernement injectera l’argent nécessaire pour que les hommes jouent sur une pelouse naturelle. »